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Le Présent Défini
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31 août 2011

Spa Nuxe… the first, the one

309859_spa_nuxe_de_montorgueil_le_spa_nuxe_du_0x384_1Depuis quelques années, les SPA fleurissent dans la capitale ; toute marque se doit d’avoir son espace dédié, question de standing, de crédibilité… et de rentabilité. J’ai du en tester une bonne douzaine, étonnée parfois de l’amateurisme de certaines praticiennes, de l’hygiène pas toujours au rendez-vous, de l’exigüité des cabines individuelles, de la mauvaise isolation phonique, des réflexions vachardes entendues derrière le dos des clientes… pas toujours glamour et beauté.

Je me souviens d’un endroit situé dans le XIème, où je me suis retrouvée entre les mains d’une gamine visiblement en stage d’études, qui questionnait fébrilement sa consœur moins novice (mais j’ai l’ouïe fine), sur le soin corps qu’elle devait effectuer. Refroidie par la mine inquiète de cette débutante, je finis par rire nerveusement lorsque je la vis amener dans la cabine (où des cheveux traînaient), un seau (genre récipient industriel de 5 litres en plastique) contenant le gommage prévu. Ce lieu était pourtant recommandé dans une « box » assez  fameuse… méfiance donc.

A l’opposé de ces pratiques suspectes, je reviens toujours au SPA Nuxe, découvert il y a dix ans. Oui je sais, les tarifs y sont ruineux. Mais comparé au grand n’importe quoi qui règne souvent chez les concurrents, je préfère espacer mes visites mais être assurée de l’excellence de l’endroit.

Le SPA s’est agrandi en ajoutant un numéro à l’adresse originelle du 32, rue Montorgueil. J’ai testé à deux reprises le N° 34 qui ne m’a pas convaincue : les cabines sont plus petites, les couloirs de pierre sont étroits et vite étouffants, et on a un peu l’impression de manquer d’air (genre cachot des Serpentards…). Le bassin est un tantinet mesquin dans ses proportions et sert à des « activités » singulières, tel le Watsu (sic ???) et le modelage aquatique (re-sic ???). Un peu fumeux.

A contrario, le 32 possède tout ce qu’on l’on peut attendre d’un grand SPA. Des espaces larges, des hauteurs sous plafond (sauf pour une petite cabine à la fin d’un couloir), une jolie décoration, le goût des petits détails (éclairage à la bougie, senteurs agréables, thé Mariage Frères, petits sablés…). Celles qui dispensent les soins sont de vraies professionnelles, pas forcément toutes très jeunes mais elles connaissent leur métier, les bons gestes, pour allier efficacité et bien-être, et n’abandonnent pas leur cliente le temps de pose d’un produit. Chaque soin est pensé pour procurer un maximum de détente et de relaxation, pour une peau toute nette et satinée. L’ambiance y est très calme, feutrée et l’on s’y sent comme … une personne unique. Les massages prodigués le sont avec savoir-faire et sérieux (mention spéciale pour le maître Shiatsu). On en ressort reposée, déstressée, sereine… mieux disposée envers soi et envers les autres.

http://www.nuxe.com/spa-nuxe/spa-nuxe-32-34-montorgueil-spa-1.html

 

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25 août 2011

Le Messie – 2ème partie – Musique et voix

guide_messiah_02Quand une mise en scène captive autant le spectateur, quelle place pour la direction d’orchestre et les chanteurs ? Force est de constater que le parti pris scénique ne s’est pas doublé d’une conduite d’orchestre très habitée. Je l’ai trouvée très plate, sans passion, avec des lenteurs injustifiées. Aucune fulgurance, pas de rythme, rien d’insolent pour coller à la hardiesse de ce qui se passe sur scène : ça se traine. On pourra m’objecter qu’il y a d’autres chefs baroqueux qui malmènent les tempi, et de citer en tête de proue Minkowski (on se souvient d’Anne-Sofie Von Otter pestant devant le ralenti très marqué du Scherza Infida d’Ariodante). Oui mais justement, Minkowski est baroqueux et dirige avec relief, fougue, un goût des accélérations soudaines, des cordes bien marquées, bref une marque de fabrique personnelle totalement assumée (ce que d’aucuns lui reprochent vertement) mais je m’ennuie rarement quand il est au pupitre. Ici, la direction mollassonne déteint sur un chœur sans nerf, sans souffle, surtout dans la première partie. Voilà un ensemble charmant et très policé qui peine à se mettre au diapason de  la violence des rapports humains qui se déroulent à côté de lui. A se demander si cette distorsion entre la musique et la mise en histoire n’est pas voulue.

Heureusement, les cinq solistes, parfaitement à leur aise dans cette recherche de sens, sont à la hauteur de leur « rôle ». Le premier à s’emparer du public est Croft, qui venu du fond du plateau traverse la scène vers la fosse. On prend son récitatif en pleine figure, tant sa voix projette son énergie, ardente et habitée. Il occupe l’espace à lui seul, comme son Jupiter dans Sémélé.Il suffit qu’il entre sur scène pour capter toute l’attention : gestuelle bien exploitée, extrême concentration, technique remarquable, voix posée et solide comme un beau marbre, il vit son personnage avec intensité. J’avoue avoir découvert Florian Boesch, que je n’avais jamais entendu, avec enthousiasme : il porte sur ses larges épaules solides et puissantes un des plus beaux airs du Messie, avec force et sens du drame. Claus Guth fait de lui un personnage tourmenté, le plus démoli par le décès de son frère, qui erre seul dans les longs couloirs ou qui vient perturber la fausse bienséance hypocrite du reste de la famille avec sa tessiture prophétique. Les deux interprètes féminins sont au diapason, avec mention spéciale pour Cornelia Horak qui distille une émotion palpable dans son rôle d’épouse qui a trahi. Le duo avec Mehta « He shall feed his flock » est  un très beau moment suspendu de délicatesse et de fragilité. Quant au contre-ténor…il hérite d’un rôle ingrat de félon fragile, qui a ravi sa belle-sœur négligée et qui tente de faire bonne figure devant les autres. Et c’est à lui que revient la gageure de chanter le « He was despised » alors qu’il porte une lourde responsabilité dans le suicide de son frère. J’ai toujours avec lui ce problème de timbre que je trouve aigre, sans chaleur ni velouté, manquant de rondeur, trop à l’étroit. Je lui reconnais une virtuosité rare, une technique éprouvée, une large gamme de teintes (ses graves sont bien audibles). Toutefois je lui préfère des voix sans doute moins agiles dans les vocalises mais plus pleines, plus chaudes et robustes. Moins de cristal, plus de moelleux. Il faudra voir dans quelques années comment va évoluer sa voix et si elle va garder cette limpidité assez surhumaine qui me laisse en dehors de ses interprétations.  

24 août 2011

Le Messie – 1ère partie – La mise en scène

imagesGeorg Friedrich Haendel, 1741 – Enregistré à Vienne en 2009 / DVD 2010

Charles Jennens, déjà librettiste pour Haendel de deux précédents oratorios, lui propose durant l’été 1741 une suite de textes sacrés tirés de plusieurs sources, Ancien Testament, épîtres de Saint Paul et Apocalypse selon Saint Jean. Ce livret sans intrigue, sans action et sans personnage est en quelque sorte une méditation sur les prophéties annonciatrices du Messie, sa venue, sa résurrection et son rôle de rédempteur. Avouons-le clairement, le Messie n’est pas l’œuvre d’Haendel que je préfère… Mais vouant un quasi-culte à Richard Croft, je me résignais à une longue soirée de musique sacrée juste pour la voix du ténor. Et puis le miracle eut lieu (soit dit sans sarcasme aucun). Avec l’idée toute simple de matérialiser devant nous celui dont on parle pendant deux heures et demie, de donner un rôle au sein d’une histoire aux cinq solistes, bref, de mettre en scène, de donner une réalité contextuelle et surtout humaine à des fragments des Ecritures, le spectacle devient lumineux, et les émotions suscitées par la musique et le chant s’en trouvent décuplées.

Le metteur en scène Claus Guth n’a pas ambitionné la modernisation artificielle du Messie, ou l’irrévérence injustifiée devant un tel monument, il a juste cherché ce qui est immuable depuis sa création et ce qui concerne encore aujourd’hui les hommes, le doute. La lecture théologique consacrée du Messie ne m’intéresse pas beaucoup. Mais cette mise en scène-là parle de notre vie, des souffrances des êtres humains, de la cruauté de leurs rapports, des coups bas, de l'extrême solitude qui peut mener au geste fatal. Ouvrir Le Messie sur une scène d’obsèques, avec un cercueil sur la scène en dit long sur le peu d’espoir qui règne encore ici bas. Et tout l’oratorio va tourner autour de la question de la foi, de cette lutte implacable pour garder l’espérance d’un salut possible. Les solistes, excepté Richard Croft dans le rôle du pasteur, sont tous de la famille du défunt suicidé (figure christique interprétée par un danseur au regard fixe) : ils l’ont tous trahi, abandonné, ils sont porteurs de culpabilité et se retrouvent pour le dernier repas, dans une scène (Cène ?) d’anthologie. Le Jugement dernier va avoir lieu. La superbe voix de basse de Florian Boesch a raisonné pour moi comme celle d’un commandeur qui accuse, accable les convives, qui baissent tous la tête de honte : y aura-t-il quelqu'un pour leur pardonner ? La partition de l’oratorio a beau se refermer sur un message d’espoir et le triomphe reconnu de celui qui s’est sacrifié pour sauver l’humanité (mais chanté par le chœur, pas par les solistes), je ne suis pas sûre que le metteur en scène partage cet optimisme béat. Le Messie n’est pas seulement le claironnant « Hallelujah », il n’a rien d’une "ode à la joie" (dans ce spectacle, il était d’ailleurs peu glorieux, et pour cause...). Certains spectateurs ont parlé de « contre-sens » de cette mise en scène, funeste et dérangeante. Je l’ai trouvée en ce qui me concerne acide, presque ironique (l’"Hallelujah", chanté à l’arrivée du cercueil d'un suicidé... quel contre-pied !), en tout cas sans illusion. Les hommes sont toujours seuls, pêcheurs, et la prophétie qui a ouvert Le Messie avec l’annonce de la venue du rédempteur résonne dans le vide.

22 août 2011

La cuisine des îles grecques

Après les bonnes tables d’Athènes, petit tour dans les îles pour les tavernes approuvées au fil des années (et fréquentées par des familles de grecs, sinon s’abstenir).

À Paros, nous avons nos habitudes à l’Ouzeri Boudaraki, au bout du quai de Parikia, bien après le débarcadère. Les deux patrons vous accueillent avec le sourire mais sans agressivité commerciale ni pousser à la dépense. Nous y allons surtout pour les aubergines confites, les croquettes de courgettes, la salade crétoise … et les baklavas offertes en dessert (je pensais détester ces pâtisseries trop sucrées, eh bien il n’en est rien quand elles sont faites maison). On s’en sort pour un prix raisonnable, dans une ambiance calme et reposante. Si vos finances sont au beau fixe, toujours à Parikia, le Levantis s’offre à vos papilles de gourmets gourmands http://www.parosweb.com/goingout/home/levantis/. Il ne s’agit en aucun cas d’une taverne mais d’un restaurant tenu par un vrai chef. La carte propose des plats savoureux et originaux en faisant la part belle aux légumes et aux viandes les plus fines, dans un petit jardin calme et serein (agneau en feuille de vigne fourré à la feta, filet mignon aux pommes et pignons sauce au vin, daurade aux herbes et citron confit en papillote…). Comptez  60 euros pour deux.

À Sifnos, une adresse sort de l’ordinaire dans les charmantes petites ruelles d’Apollonia, Okyalos http://fr.okyalos-sifnos.gr/. Si le temps le permet (les coups de vents sont très fréquents en été), on dîne sur le toit, loin de l’agitation de la rue. Là aussi, nous ne sommes pas dans une ouzeri mais de temps en temps, remplacer le stifado et l’horiatiki par une cuisine plus élaborée permet de belles découvertes. Les entrées sont typiques des Cyclades mais très fines, les salades revues pour être originales et succulentes et les plats ont de la tenue. La carte des vins vaut aussi le détour. La taverne d’à côté Apostoli Koutouki mérite qu’on s’y attable pour de bons plats roboratifs et une addition bien douce (bon fromage local, pois chiches sous toutes ces formes, coq au vin, agneau mitonné dans les petits plats en argile typique de l’île).

À Milos, dans le village de Tripiti, Ergina tient le haut de panier de la gastronomie locale (réservation impérative). Il s’agit d’une table pourtant familiale et toute simple, située sur les hauteurs avec une terrasse donnant sur la mer (coucher de soleil de toute beauté). Les propriétaires proposent des recettes déjà mitonnées par leurs grands-parents (goûtez au calamar rôti et juteux, aux pâtes maison, genre de tagliatelles dans une sauce aux tomates séchées, à leur tourte au fromage…) : on y vient une fois, on y retourne obligatoirement le lendemain. Pour les amateurs de poissons, à Pollonia, Armenaki est un incontournable, http://www.armenaki.gr/menu_it.html  . L’endroit ne propose pas d’alternative à ce qui sort de l’eau, si ce ne sont les légumes du jardin et la horta. Ramenés chaque jour par les pêcheurs du port, les produits ne pourraient être plus frais. Le patron vante Sa cuisine, Son huile d’olive et Ses vins avec un aplomb certain mais vu la qualité de ce qu’il met sur la table, on lui pardonne. Milos est très fréquentée par les Italiens, et l’ambiance certains soirs n’a plus rien de Grec…

Au port de Sivota, dans la petite île ionienne de Leucade, la Taverna Spiridoula, mérite un détour. Couverte de végétation et de fleurs sur deux niveaux, elle met à l'honneur calamars, seiches, poulpes pour un prix sensé. On y croise des tablées (bruyantes) de Grecs, gage d’une bonne maison qui ne triche pas sur l’authenticité de la cuisine. Les crevettes saganaki sont aussi très recommandables.

À Céphalonie, vous viendrez sans aucun doute à Assos. Nous avons testé et approuvé O Platanos, une taverne à l'ancienne où toute la famille met la main à la pâte ; le patron prend une chaise et s'assied pour vous expliquer les jolis plats de sa carte (produits de la ferme familiale exclusivement), femme et enfants s'occupent du service avec le sourire, ça gueule quelquefois en cuisine et tout le monde en profite, mais ça rappelle une certaine Grèce assez authentique que je n'avais pas croisée depuis 20 ans. Certainement les meilleures croquettes de courgettes jamais mangées et des salades goûteuses qui changent de la sempiternelle salade grecque. A tester aussi le resto "Assos", tout à côté mais encore fermé début juin, on nous en a dit le plus grand bien. Et pour ceux qui ont choisi Poros comme lieu de villégiature, allez dîner à la Taverne Iliovasilema, un peu en hauteur au dessus de l'arrivée du ferry, qui offre une superbe terrasse pour admirer le coucher du soleil (ceux qui ont fait du grec comprendront alors le pourquoi du nom du resto). La carte propose les classiques de la cuisine de Céphalonie (kreatopita, lapin au citron...) pas toujours très light mais certifiés conformes. Les trois filles qui officient en ce lieu aiment aussi beaucoup les chats (une bonne dizaine ronronnent pas loin, les derniers nés viennent jouer sous vos tables). Les soirs où l'humeur est au beau fixe, l'une d'elles prend sa guitare et chante des airs grecs du coin, avec une jolie voix. Le temps alors se suspend, on reprend un verre de Tsipouro, on se cale au fond de sa chaise avec un chaton dans les bras et on laisse la nuit glisser.

19 août 2011

Belshazzar

5604186_b2f882aebf_mGeorg Friedrich Haendel, 1744 – Enregistré à Aix en Provence en 2008 / DVD 2011

Cet oratorio nous raconte l’histoire de la chute de Babylone et de son régent Belshazzar, défait par Cyrus, roi des Perses. Le livret qui fait la part belle à la corruption, la dépravation, l’amoralité d’un souverain qui chute devant la droiture, l’humanité et la bonté de son ennemi aurait pu conduire à une mise en scène suffisante, alourdie de références appuyées à telle ou telle grande puissance proche du déclin. Il n’en est rien, dieu merci, l’intrigue ayant encore, hélas, suffisamment d’échos au XXIème siècle. Christof Nel propose une « théâtralisation » (peut-on vraiment parler de mise en scène pour un oratorio ?), une mise en situation minimaliste mais habile dans un décor unique, magnifiquement éclairé au fil des trois actes.

Tous les protagonistes restent sur scène, occupant l’espace de leur présence, tel Belshazzar que l’on entend très tard mais que l’on voit arpenter dès l’ouverture les hautes marches de son empire, le regard fou, la hache à la main et la couronne démesurée, symbole du roi guerrier à l’arrogance sans limite. Comme tout oratorio, le chœur est évidemment au centre de la partition, d’autant qu’il tient ici un triple rôle dans lesquels il se glisse par de simples changements de couvre-chef : tour à tour peuple licencieux du tyran, soldats enflammés du libérateur et captifs brocardés mais annonciateurs de la décadence de Babylone, le RIAS Kammerchor est fabuleux de dynamisme, d’engagement et d’énergie. Et au pupitre, un René Jacobs inspiré dirige un ensemble subtil, à la fois tout en nuances et enthousiaste.

Dans le rôle titre, le ténor Kenneth Tarver m’a semblé bien pâle, plus à l’aise dans sa gestuelle de régent dément que dans son chant, manquant de prestance et d’épaisseur, tandis que Rosemary Joshua est une Nitocris très investie à la fois sur le plan dramatique, déchirée entre son rôle de mère et la réalité politique, et sur le plan vocal, dont sa voix est aussi ciselée que parfaitement maîtrisée. Beaucoup de spectateurs ont tressé des louanges au contre-ténor Bejun Mehta : j’avouerai être absolument hermétique à sa voix, n’étant pas fan de cette tessiture improbable dans les opéras et préférant entendre ces rôles chantés par des mezzos. Il ne s’agit aucunement d’un jugement sur le talent du monsieur, juste d’une perception auditive. J’apprécie les contre-ténors dans un Stabat mater, une cantate, une aria, un motet, rarement dans un opéra, où la virtuosité, les ornements et les vocalises prennent souvent le pas sur l’émotion (je bémolise avec le Didymus de Daniels dans Theodora, qui m'avait serré la gorge, ou avec le Sant'Alessio de Jarrousky, mais là, on est chez les très grands).

 

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17 août 2011

L’Indésirable (The little stranger), roman de Sarah Waters

 

imagesEditions Denoël, 2010

On connaît la roublardise de Sarah Waters, qui excelle à concevoir des romans à tiroirs, à jouer de la naïveté de ses lecteurs, à enchevêtrer des intrigues. Si Ronde de Nuit , son ouvrage  précédent ne m’avait pas convaincu (changement d’époque, de style, rythme narratif essoufflé), celui-ci renoue avec ce qui fait d’elle une conteuse hors pair. Et pourtant, nous sommes de nouveau au XXème siècle, juste après la Deuxième Guerre. Mais les personnages sont ici une demeure géorgienne, Hundreds Hall, sise au beau milieu de la campagne anglaise, dans le Warwickshire, et ses ultimes propriétaires, la famille Ayres. Entrevoir un récit gothique mâtiné à la sauce Brontë ou Austen serait mésestimer Sarah Waters (tout au plus peut-on lorgner vers Poe et sa Chute de la Maison Usher, puisque la romancière donne carrément au fils de famille le prénom du héros de la nouvelle de Poe).

Le narrateur du récit est un médecin de campagne, originaire du comté, qui a connu enfant les fastes de cette belle demeure (sa mère fut ici domestique) et qui revient trente ans plus tard,  appelé au chevet de la seule servante encore en place. Mais les temps ont changé, la guerre a modifié la donne, la toute-puissance des propriétaires fonciers n’est plus, leur fortune a fondu, le démembrement des grands domaines a commencé. Hundreds Hall lui apparaît alors comme une immense bâtisse délabrée, peu entretenue faute de moyens suffisants, dont on condamne les unes après les autres les pièces trop larges et trop coûteuses en chauffage pour se serrer autour d’un médiocre feu de bois humide dans le seul salon encore montrable aux visiteurs. La descente a été rapide et vertigineuse. La mère rêvasse encore aux splendeurs d’autrefois, le fils traîne ses blessures de guerre et s’épuise à maintenir à flots une propriété qui n’est plus qu’un fardeau effrayant tandis que la fille laisse ses jeunes années partir pour insuffler un peu d’énergie à  ces deux éclopés. Amoureux des lieux et bouleversé par l’extrême dénuement des Ayres, le médecin va devenir le témoin d’une suite d’événements macabres qui vont toucher chaque membre de la famille, à tour de rôle : les objets se déplacent d’eux-mêmes, des incendies se déclenchent sans raison, des bruits inexpliqués retentissent dans la maison, les portes se ferment à double tour, les habitants sont harcelés par une présence étrangère, qui les persécute et qui les mènera à la folie et au suicide.

Bien sûr Sarah Waters ne se satisfait pas d’une simple histoire de maison hantée qui de toute façon ne tient pas debout (même si le traitement littéraire des scènes fantastiques est d’une redoutable efficacité). Les trois protagonistes donnent des versions très différentes de cette « ombre » et de ses agissements. Si Hundreds Hall joue avec ses propriétaires, chacun semble y voir un retour de ses propres névroses, de ses lâchetés, de ses erreurs. Tous semblent projeter d’une manière extérieure des conflits intérieurs très personnels (le fils se sent responsable de la mort de son copilote de la RAF dans les flammes et manque de périr lui-même dans un brasier mystérieusement allumé durant son sommeil, la mère est persuadée que le fantôme de sa première fille trop aimée morte en bas âge revient la chercher pour l'emmener dans l'au-delà, et la frustration sexuelle de la vieille fille pourrait tout autant être la cause de cette énergie libérée, coeur et moteur des "accidents" survenus).

Outre cette explication presque psy des hallucinations, on peut bien évidemment y lire d’une façon plus rationnelle l’allégorie d’un monde qui s’écroule, d’une maison périmée et d’une classe sociale qui n’a plus lieu d’être, remplacée par des nouveaux riches n’appartenant pas à la noblesse et qui voit ses terres découpées pour loger les ouvriers (le thème des modifications des rapports de classe avait déjà abordé dans Ronde de nuit). Le roman se clôt d’ailleurs sur le narrateur, ce médecin issu du peuple, spectateur impuissant des calamités qui se sont abattues sur la famille Ayres et qui revient parfois dans la maison, nostalgique du temps de sa splendeur : s’il a entraperçu un instant, le temps de brèves fiançailles avec l’héritière du domaine, son avenir comme nouveau maître de Hundreds Hall, il n’a pas compris et accepté que ce monde avait définitivement disparu. Il erre alors entre les murs en ruine comme un fantôme coincé entre deux mondes, celui qui a cessé d’exister depuis longtemps et le sien, qu’il a toujours méprisé.

12 août 2011

Kali Orexi ! (καλή όρεξη)

 

Bon nombre de voyages en Grèce débutent par un passage par Athènes. La ville regorge de très bonnes adresses pour se caller l’estomac, pour tous les goûts, selon les bourses.

Je vous propose quelques endroits largement éprouvés, où je traine mes sandales avec plaisir.

Si votre estomac crie famine lors d’une balade dans Plaka, Palia Taverna Tou Psara vous tend les bras. Fondée il y a plus d’un siècle, cette taverne est une valeur sûre. L’endroit est charmant, la terrasse bien agencée et les plats goûteux. La salade d’aubergines est un must, et l’agneau kleftiko, un prodige. Vous croiserez beaucoup d’Athéniens qui viennent y déjeuner en famille (toujours bon signe).

Si votre budget est plus serré, toujours dans Plaka, le Scholarhio Ouzeri Kouklis vous nourrira pour pas cher. Une autre institution du quartier où la qualité ne bouge pas. On vous amène de grands plateaux bien garnis où vous vous servez selon vos préférences (5 plats au choix pour deux, 7 plats pour trois…selon un tarif connu à l’avance).

Dans Psirri, coin plus branché d’Athènes, et si vous n’êtes pas trop ric rac, offrez-vous Oineas. On change là de catégorie : les plats sont originaux, bien présentés, les vins intéressants mais dans une gamme de prix assez différente. A deux rues, son confrère To Zidoron est tout aussi recommandable, idéalement situé dans une rue piétonne.

Et, pour les Parisiens nostalgiques qui n’ont pas réussi à décrocher de la cuisine grecque, voilà quelques lieux pour se remettre le moral dans le bons sens (je parle de cuisine, pas de la tambouille de la rue de la Huchette…).

A tout seigneur, tout honneur, la table grecque la plus connue de la capitale, Mavrommatis. Depuis trente ans, la famille native de Chypre propose une excellente cuisine grecque dans ses boutiques, ses bistrots et restaurants. C’est carton plein à chaque fois, cela ne désemplit pas. Il y en a pour tous les budgets, toutes les envies, de la vraie gastronomie à la cuisine simple de taverne. Toutefois, même si la cuisine de haute volée ne subit aucun fléchissement, je trouve que le service laisse trop à désirer et les portions à rétrécir, tant l’assurance de faire salle comble est certaine.

Toujours dans le Vème, l’inévitable Acropole, table d’habitués, des étudiants du coin et de leurs profs. Cet endroit ne paie pas de mine, il paraît même un brin vieillot de l’extérieur mais reste fidèle à une carte qui ne me semble pas avoir bougé depuis vingt ans. Il s’agit d’une cuisine simple de taverne, pas chère, sans chichi mais ultra fraîche.

Pas très loin, dans le VIème arrondissement, on peut s’installer avec enthousiasme chez Evi Evane. Aux commandes de ce petit endroit cosy à souhait, une vraie chef grecque qui propose une cuisine légère et raffinée. On y retrouve des saveurs bien connues mais revisitées, enrichies, travaillées. C’est beau, c’est bon, c’est la table que je fréquente à chaque fois que la morosité pointe son nez (l’addition est à la hauteur… donc faites vous inviter).

J’ajouterai bien un autre endroit intéressant L’Olivier, dans le IIIème. Les plats y sont particulièrement goûteux et originaux, très loin des classiques usés jusqu’à la corde, mais quelque chose d’assez impalpable avait douché mon enthousiasme. La salle ne dégage rien de très agréable : ça manque de chaleur et de cordialité, on ressent comme un décalage entre la qualité des plats et un service plus qu’approximatif. A vous de tester.

 

10 août 2011

Madame de…

de2Max Ophuls - 1953

Qu’est-ce qui différencie un vieux mélo suranné d’un grand film qui resplendit encore plus d’un demi-siècle après sa sortie? La grâce. Si Max Ophuls a consacré tant de films à des portraits de femmes, c’est qu’il est passé maître dans l’art de filmer leur complexité. Chez lui, les hommes font corps avec leur époque, en acceptent les codes et se plient aux exigences sociales, les femmes s’y opposent et rejettent les conventions qui les étouffent. Mais le prix à payer est alors exorbitant. La comtesse Louise de… va mettre à mal les petits accommodements de sa classe, choisir de suivre ce que lui dicte son cœur plutôt que les règles établies, mais elle sera broyée par les bas compromis de sa caste.

La comtesse est au début du film une parfaite femme du monde, coquette, frivole, inconstante, qui brille dans les bals et fait chavirer les cœurs. Son mari, qui lui aussi s’occupe hors des liens du mariage, accepte cet état de fait avec amusement : du moment que tout le monde joue selon les règles établies, les convenances sont sauves. Mais Madame de… va croiser le baron Fabrizio Donati, et s’en éprendre. La valse légère va faire place au drame. La comtesse se donne en spectacle, s’évanouit en public, fuit pour tenter d’éteindre les sentiments qui la submergent puis finit par les accepter. Qu’importe ce que les autres peuvent dire derrière son dos, elle rentre, s’affiche avec le Baron. L’être humain singulier s’est enfin éveillé sous le mensonge de la femme futile formatée. Mais le monde auquel elle appartient ne va pas admettre que l’on brise les codes. Le comte va séparer les deux amants. Madame de… s’enfonce alors dans la dépression et la maladie. Son mari refuse de croire en sa sincérité : « le malheur s’invente » et comprend trop tard qu’elle est perdue. Son dernier sursaut d’orgueil le pousse à provoquer le baron dans un duel à mort pour mettre définitivement fin à cet amour qui le dépasse.

La comtesse est tellement prisonnière du joug social qu’elle est incapable d’exprimer à Donati ce qu’elle ressent. La plus célèbre réplique du film « je ne vous aime pas, je ne vous aime pas », murmurée plusieurs fois au baron telle une femme qui se noie dans une passion destructrice est un aveu déchirant du combat intérieur auquel elle doit faire face. Admettre son amour pour cet homme, serait faire voler en éclat tout ce qui portait son existence.

L’objectif de Max Ophuls accompagne le trio (Danielle Darrieux, Charles Boyer et Vittorio de Sica) avec de longs travellings, des mouvements amples, un montage fluide qui lient les séquences entre elles. Les boucles d’oreilles de la comtesse passent de main en main dans une ronde folle, la comtesse et le baron voient leur amour naître pendant les bals où la caméra suit les danseurs dans une longue et unique valse qui durerait toujours, le film s’ouvre et se referme sur une même séquence tournée dans une église où venait prier la comtesse : la boucle est bouclée, Madame de… n’a pu s’échapper.

 

5 août 2011

The Fairy Queen : to listen eyes wide open

The_Fairy_Queen_DVD_155x225Henry Purcell, 1692 – Enregistré à Glyndebourne en 2009 / DVD 2010

On ne peut qu’applaudir lorsqu’autant de talents se réunissent pour proposer un spectacle total. Je râle souvent devant l’arrogance de certains metteurs en scène qui nous imposent leurs obsessions souvent très éloignées des livrets et qui s’imaginent imaginatifs et talentueux alors qu’ils ne sont que dédaigneux de l’œuvre originale. Mais quand une troupe entière se met au service d’une féerie avec l’envie manifeste d’emmener le public avec lui, le résultat est jubilatoire.

Tout comme King Arthur, The Fairy Queen est un semi-opéra, genre anglais du XVIIème, où se mêlent théâtre, musique, chant et danse. Librement inspiré du "Songe d’une nuit d’été", The Fairy Queen imbrique trois univers, trois « histoires » qui vont s’entremêler, jouées par des acteurs : les chamailleries du roi et de la reine des fées, Titania et Oberon, les chassés-croisés amoureux de deux jeunes couples athéniens et une troupe déjantés d’ouvriers qui répètent la tragédie de Pyrame et Thisbé. Durant une nuit où tout est possible, dans une forêt enchantée, royaume des fées, des personnages qui n’auraient jamais dû se rencontrer, vont être soumis à des sortilèges, des métamorphoses et vivre bien des rêves et des désordres amoureux.

Ce socle théâtral est enrichi de parties instrumentales, de ballets, de chœurs et d’intermezzo chantés par des solistes, symbolisant des figures allégoriques (la Nuit, le Sommeil, Le Secret, Le Mystère, Les Saisons et des dieux). La trame narrative totalement invraisemblable est un tremplin pour toutes les inventivités de mise en scène. Avec des effets visuels de toute beauté, des lumières splendides, un imaginaire débridé et une audace sans limite (comme seuls les anglais en sont capables…), les quatre heures de spectacles filent à cent à l’heure.

Les tableaux s’enchaînent avec fluidité, évidence, ajustés sans que l’on sente que l’on passe d’un genre à l’autre. Cette cohérence de l’ensemble, dont le nerf principal reste la pièce de théâtre offre dans « les divertissements chantés » une liberté absolue. Machinerie baroque, couleurs rouge et or, masques et trappes, lyrisme mais aussi bouffonnerie, voire paillardise, les airs sont des odes à la folie. Même le superbe lamento « If love is a sweet passion » est chanté devant une Titania endormie dans les bras d’un Bottom à tête d’âne, au creux d’une barque manœuvrée par un gondolier à tête de perroquet. Les moments d’émotion, de poésie, intenses et délicats (« Oh let me weep ») se coulent dans la drôlerie, la frénésie délirante. Le spectateur reste ébahi devant la générosité de cette Fairy Queen, où tous les intervenants s’amusent autant que lui. Pas de « grandes stars », personne pour tirer la couverture, juste une bande de joyeux drilles qui connaissent leur partition et qui donnent le meilleur d’eux-mêmes au service de la fantaisie. Quant à la direction, c’est du William Christie, inutile d’en rajouter.

 

3 août 2011

Mens sana in corpore sano – pratiquer la méthode Pilates.

On trouve sur internet pas mal d’articles sur le Pilates, et il m’est arrivé de lire parfois des choses qui me laissent pantoise, à croire que ce que je pratique depuis 4 ans est une tout autre activité.

La méthode Pilates n’est en aucun cas un machin à la mode (genre “aquabiking” et autre vide-poches) mais un ensemble d’exercices physiques qui date d’un siècle. Ces exercices sont issus de la réflexion de Joseph Pilates, un Allemand né en 1880, qui a cherché à concilier forme physique et bien-être mental (il connait bien les arts martiaux, le Yoga, le Taï Chi). En Angleterre, puis aux Etats-Unis, il développe son enseignement qui trouvera un écho immédiat chez les danseurs. L’objectif est de développer sa force et sa souplesse d’une manière douce et progressive en insistant sur ce qu’on appelle le “power house”, la sangle abdominale qui maintient le corps. Ce centre fort permet aux muscles du corps de se développer dans la longueur. La posture s’améliore, la colonne vertébrale se redresse. Les mouvements sont effectués selon une respiration spécifique, que l’on doit contrôler rigoureusement. Une grande concentration est demandée durant les cours pour effectuer des séries courtes mais variées, avec précision et maîtrise. Pas de musique en Pilates, on doit s’entendre expirer sur l’effort.

Le cours se déroule sur des tapis (on parle alors de “Mat”), avec quelques accessoires pour corser la difficulté et mettre souvent le corps en déséquilibre. On peut aussi pratiquer sur des machines (“Wall Unit”, “Cadillac” ou “Reformer”), où l'on travaille sur des résistances, des sangles, des ressorts selon son niveau. Autre avantage, si un cours de Mat peut accueillir jusqu’à 14 participants (ensuite, ce n’est plus un cours de Pilates, c’est du rendement en batterie), les cours sur machines ne dépassent pas quatre personnes. Le professeur est alors parfaitement disponible pour corriger ou améliorer une posture.

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J’ai souvent lu sur le net que le bénéfice du Pilates, c’est un corps tout neuf en trois mois. Carabistouilles. La méthode Pilates, c’est comme le yoga, une hygiène de vie, pas une recette miracle. Si votre emploi du temps ne vous permet qu’une heure d’activité sportive par semaine, vous n'en tirerez aucun intérêt. Trois heures sont nécessaires pour en percevoir tous les bienfaits. Si je fais le bilan après quelques années de pratique, j’en retire :

- une disparition progressive mais réelle de mes maux de dos

- un renforcement musculaire

- une souplesse accrue

- un ventre presque plat

- une meilleure gestion du stress

- une silhouette tonique

Et pour être claire, non le Pilates ne fait pas perdre de poids, puisqu’il muscle. Mais il affine là où il faut. Dans un cours de Pilates, on rencontre aussi bien des danseuses filiformes, des quadras passées par trois grossesses que des retraités qui se bougent. La méthode profite à tous quelle que soit sa date de naissance, sa morphologie, son passif médical : on fait ce que l’on peut, à son rythme.

Le défaut majeur du Pilates réside dans son coût. Un cours de “Mat” revient entre 14 et 20 euros selon l’abonnement (au dessus, fuyez, c’est du racket), comptez le double pour un cours sur machine. Et très peu de centres proposent des abonnements illimités pour les cours de Pilates.

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2 août 2011

Les Yeux Noirs (Oci ciornie)

 

les_yeux_noirsNikita Mikhalkov – 1987 – Prix d’interprétation pour Marcello Mastroianni au Festival de Cannes / DVD 2010

Enfin il est possible de redécouvrir ce très beau film, presque 25 ans après sa sortie en salle. Et force est de constater que le film a très peu vieilli : sans doute parce qu’il raconte une histoire immuable, celle de la lâcheté des hommes, de leurs trahisons, de leur laideur .Celle-ci est filmée par un virtuose qui embringue le film dans des directions très différentes (la comédie, le burlesque puis le drame) et portée par un casting de légende : un serveur vieillissant qui travaille sur un bateau (Romano), rencontre un voyageur russe et entreprend de lui raconter ses amours malheureuses avec une de ses compatriotes, séduite dans une ville d’eau puis abandonnée. Ce qui commence comme une échappatoire à la beuverie en solitaire d’un séducteur déclinant ravi de prononcer crânement le seul mot de russe qu’il a retenu, va devenir au fil des confidences une mise à nu d’une âme veule et méprisable. Le personnage joué par Mastroianni aura tout raté dans sa vie : jeune architecte, il se marie avec une riche héritière et oublie rapidement ses velléités de créations urbaines au profit d’une vie confortable, pratique et soporifique. Il s’en échappe comme un enfant, en dormant en douce après avoir esquivé des soirées assommantes ou en faisant le pitre devant les invités. Il s’invente des pathologies insolites pour quitter la maison romaine où il étouffe et se rend dans une station thermale, son emploi du temps rythmé par ses conquêtes féminines : une vie facile et légère, sans conséquence. Mais il va croiser une jeune femme russe (Anna) mariée à un homme qu’elle n’aime pas, droite, honnête, fragile et sensible, qui va croire  à tous les bobards du joli cœur. Elle s’enfuit après lui avoir cédé, lui laissant une lettre d’amour qui va bouleverser la vie de ce séducteur ; il la suivra jusqu’en Russie, la retrouvera, lui promettra de revenir définitivement après avoir tout avoué à sa femme et qui bien évidement ne réapparaîtra jamais.

Je ne vois pas quel autre film montre une telle chiffe, un couard pareil, dont la vie n’est qu’une série de traîtrises. Mastroianni s’engouffre dans le personnage avec jubilation, en fait des tonnes, cabotine, épaissit le trait, joue comme grisé par la bassesse de son personnage. Car dans sa vilenie, Romano est toujours sincère, il n’a aucun scrupule à mentir, tricher puisque de toute façon ses actes n’auront pour lui aucune conséquence dommageable. Comme un petit garçon que l’on a sans doute empêché de grandir, il reste prisonnier de son propre bien-être, de son confort, semble imperméable aux préoccupations de ses proches, au mal qu’il leur fait. Au lendemain de la seule nuit qu’il passe avec Anna, totalement anéantie par sa propre faiblesse, Romano ne voit rien de son désarroi, continue de plaisanter tout en bâfrant sa pastèque, insensible à tout ce qui est étranger à son plaisir personnel. Et pourtant cette femme lui dit en russe qu’ils ne se reverront jamais, mais il ne l’écoute pas.

La fuite de Romano en Russie à la recherche de cette femme qui est son contraire, a tout de la panique de l’adolescent exalté : sous un prétexte totalement improbable, il traverse la Russie, croise des personnages comme sortis d’un roman de Gogol (les fonctionnaires imaginent des histoires à dormir debout pour éviter de signer son autorisation d’avancer dans le pays), ne tient pas la vodka, danse avec des tsiganes, saute à pieds joints sur des carrés de verre incassable devant des dignitaires ébahis, traverse la steppe sur une carriole en compagnie d’un contestataire du régime, tout cela à cent à l’heure comme la course effrénée de quelqu’un qui ne veut pas réfléchir à ce qu’il fait, presque effrayé de sa propre audace. Les retrouvailles avec Anna est une des plus belles scènes du film : avertie par son mari qu’un étranger arrive d’Italie et qu’il faut le recevoir, elle se dérobe, décampe, cavale pour ne pas croiser l’homme qu’elle aime toujours mais à cause de qui elle est parjure à ses liens du mariage. Et Romano, de la poursuivre, comme un chasseur qui traque sa proie, ne lui laissant pas de répit, jusqu’à l’acculer dans un poulailler où il lui promet qu’il reviendra pour de bon.

Bien sûr, il ne dira rien à son épouse légitime, la seule capable de lui offrir une vie facile. Celle-ci pourtant a tout compris des raisons qui ont poussé son mari à partir précipitamment pour Saint-Pétersbourg. Et quand elle lui demande calmement et presque maternellement de ne pas lui mentir et de faire preuve une fois dans sa vie d’honnêteté, il se défile, nie avec aplomb et trahit dans un sourire celle à qui il jurait un amour éternel quelques semaines plus tôt.

A l’opposé de cet immature, les femmes du film possèdent une lucidité acérée doublée d’une immense capacité d’aimer. La femme de Romano, jouée avec une classe toute viscontienne par Sylvana Mangano, n’est en rien une épouse fortunée froide et raide. Elle aime toujours autant son mari, ne regrette pas ce mariage pour lequel elle a dû batailler, le défend devant les perfidies de sa propre famille, aime cette légèreté et cet anti-conformisme qui lui sont tellement étrangers. Mais elle sait aussi qui elle a épousé, un petit garçon capricieux qu’elle a trop protégé et qui ne changera plus. Elle est responsable de cette inertie, de cette paresse et n’a pas l’indécence de le lui reprocher.

C’est Anna, (délicieuse Elena Safonova) qui va payer le prix fort des caprices de Romano. Prisonnière d’un mariage d’argent avec un rustre, elle accueille cet homme si différent, attentif, gentil, séduisant, comme un assoiffé un verre d’eau. Anna s’épanouit, sourit, puis rit aux éclats devant la drôlerie et les histoires invraisemblables de Romano. Mais elle sait aussi mettre fin à cette histoire car elle lit très bien dans le jeu de cet homme qui n’avait qu’un but : la faire chuter. Elle a compris qu’elle ne doit rien attendre d’un grand gamin désinvolte qui savoure un petit mot de russe comme il sucerait une sucrerie. D’ailleurs elle ne lui demande rien, elle le quitte pour ne pas (trop) souffrir.

Le voyageur russe qui a écouté l’histoire de Romano va lui opposer à la toute fin du film une autre conception de la vie : fidèle, loyal à son unique amour, il a courtisé une femme durant de longues années en attendant qu’elle perçoive sa bonté et la sincérité de ses sentiments et qu’elle l’épouse enfin.

Romano, va alors baisser le masque, concéder avec une sincérité bouleversante « que sa vie n’a été qu’une mauvaise copie » et qu’il n’a plus rien, si ce n’est le souvenir de la berceuse que lui chantait sa mère, le visage de sa femme la première nuit et les brumes de Russie. Il aura tout reçu, rien donné et tout perdu.

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Le Présent Défini
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