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Le Présent Défini
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25 octobre 2011

1Q84, roman de Haruki Murakami

1Q84_Livre-1pLivre 1 Avril-Juin, Editions Belfond, 2011

Commençons par pester contre l’éditeur : les deux premiers livres de la trilogie 1Q84 ont été traduits dans le même temps mais édités en deux volumes, qui atteignent 520 pages chacun. Evidemment, quand on utilise une typo pour myopes glaucomeux, on gonfle artificiellement la longueur du texte et on s’assure une recette dodue. Á 23€ le volume, on aura dépensé 69€ au total, plus cher qu’un tome de Pléiade. L’édition américaine complète tient en un seul volume de 944 pages, au prix de 30$ (soit, 21€). Certains sont éditeurs, d’autres, épiciers.

Ceci dit, le livre est-il à la hauteur de la réputation qui le précède ? Ventes record au Japon, files d’attente devant les librairies pour la sortie du Livre 3 à Tokyo, Murakami annoncé nobélisable,  la barre est mise très haut. Mon sentiment sera un tantinet plus nuancé. Indubitablement le style est absolument magnifique, épuré, c’est une rivière qui coule le long des pages, avec des termes tout simples, sans maniérisme : rien de frelaté, de faussement recherché, d’artificiel. L’auteur ne se paie pas de mots : ses phrases glissent naturellement, ondulent, et font preuve d’une extraordinaire mise en image, d’un rare pouvoir d’évocation. Pas de longues descriptions inutiles mais le souci du détail opportun, qui sert la compréhension d’une atmosphère. La qualité littéraire du texte est indéniable.

Par contre, la lenteur de la narration est pesante : ce Livre 1 est une quasi-mise en place de l’intrigue, une présentation des personnages principaux et l’histoire met plus de 200 pages à décoller. Sans doute, le choix d’alterner les chapitres dédiés à chacun des deux protagonistes entrave, dans la première moitié, la dynamique du récit. Que peuvent avoir en commun une professeur de self-defense et de streching – tueuse de violeurs à ses heures * –, avec un professeur de mathématiques, qui partage son temps entre l’enseignement et l’écriture de romans ? Ces deux-là, qui semblent asymétriques au possible, ont un bon bout de passé et de futur en harmonie. Et amener leur univers à s’ajuster demande des pages d’élaboration fastidieuse.

Cet écueil dépassé, l’histoire chancelle, sans que le lecteur n’y prenne garde, vers un univers décalé, onirique, pas toujours très confortable. Sans atteindre ses délires nébuleux, le glissement des personnages vers une seconde dimension (où l’année 1984, durant laquelle se déroule l’histoire principale, devient l’année 1Q84) m’a souvent fait penser au cinéma de David Lynch ; deux personnages pivot, deux versants du récit, la confusion réel/irréel, l’intrusion de détails bizarres, voir incongrus, le flou dérangeant de certaines scènes capitales (rêvées/vécues ?), ce goût de l’alternance de moments très doux et poétiques et de scènes violentes où aucun détail n’est épargné.

Á la fin du Livres 1, tous les personnages sont identifiés et construits, l’intrigue est posée (combat contre une secte de fanatiques religieux et vengeance des violences faites à des petites filles *),  il reste aux deux héros à se retrouver, à comprendre les motifs de l’existence de ce monde parallèle, à faire la lumière sur la nature d’êtres fantastiques dont on ignore les intentions. Mais comme le souligne l’auteur « Il ne faut pas se laisser abuser par les apparences ; la réalité n’est toujours qu’une ».

 * non, rien à voir avec la trilogie suédoise...

 

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23 octobre 2011

The Hours… une journée particulière

hoursStephen Daldry - 2002 -  Ours d'argent de la meilleure actrice pour Meryl Streep, Nicole Kidman et Julianne Moore, au Festival de Berlin 2003

Une autre grande commotion cinématographique, que cette adaptation du Pulitzer de Michael Cunningham - édité en 1999 – par le père de Billy Elliot. Le genre de film qui vous agrippe dès les premiers plans, qui vous traîne de force là où vous n’avez surtout pas envie d’aller, qui fait grincer, comme un violoncelle dissonant, vos cordes personnelles très à vif, et qui vous largue sans parachute, effondrement  assuré.

Stephen Daldry entrecroise, dans une unique journée, le destin de trois femmes, dans trois époques différentes : Virginia Woolf écrit Mrs Dalloway en 1923 dans une banlieue paisible de Londres, une mère de famille américaine lit le roman en 1951, une éditrice vit le déroulement de l’histoire en 2001, à New-York. Ou, comment les livres impressionnent la destinée des lecteurs, à moins qu’ils n’en soient que le reflet.

Le réalisateur conçoit le film comme un kaléidoscope, où les différentes époques s’emboîtent parfaitement par des parallélismes de scène, des gestes et des paroles répétés aux trois époques, des détails vestimentaires : les mouvements harmonieux de la caméra et un montage subtil relient toutes ces scènes de vie dans un seul et même élan. Le film ne ressemble pas à ces adaptations littéraires poussives : la destinée de Mrs Dalloway sert de pierre angulaire aux portraits d’un trio de femmes, captives d’une vie qui les détruit. Comment secouer les chaînes nouées par les proches, qui s’imaginent être les mieux disposés à vous apporter le bonheur ? Quelle est leur exacte marge de manœuvre ? Jusqu’où sont-elles et sommes-nous capables d’aller ? Á moins que le joug n’ait été serré, en définitive, que par nous-mêmes.

Virginia Woolf, dépressive et suicidaire, veut reprendre la vie qui lui a été volée par sa famille : elle quittera la campagne où elle s’étiole pour renouer avec le fracas londonien et replonger dans le tumulte de la vraie vie, même si sa santé mentale va douloureusement en pâtir. Laura Brown, la mère de famille américaine sans histoire, étouffe dans le prêt-a-vivre imaginé par son mari revenu des combats, et choisira de tout quitter, homme et enfants, pour donner un contenu individuel à son existence. Quant à Clarissa Vaughan, c’est le suicide de son amour de jeunesse qui redonnera du poids et de la valeur à sa vie personnelle et familiale.

Tous  ces choix déterminants, ces cassures, ces lignes prédestinées qui se brisent sauvagement s’ordonnent dans d’extrêmes souffrances. Stephen Daldry filme en longs plans serrés les moments de silence épais, ces temps suspendus où le désespoir devient trop accablant, et où l’on a le choix qu’entre sa propre destruction et la révolte. La musique lancinante et répétitive de Philip Glass dramatise encore plus cette impression que les personnages se cognent sans relâche dans des murs : mais ces décalages entre leurs aspirations intimes et leur quotidien se révèlent dans des nuances, des regards, des gestes à première vue anodins, avant de les amener à l’inévitable. Le personnage joué par Ed Harris, ami poète de Clarissa Vaughan, et abandonné enfant par sa mère Laura Brown, refuse de recevoir les honneurs d’un grand prix littéraire. Il est fatigué d’une œuvre qu'il n’estime pas à la hauteur de ses aspirations, de vivre avec le SIDA et d’être responsable du mal-être de Clarissa, qui s’accroche à lui comme un dernier vestige de son passé. Si la caméra n’élude pas son suicide par défenestration, elle nous montre surtout le moment où sa souffrance atteint un tel point qu’elle ne peut mener qu’au geste fatal. Ed Harris est simplement et longuement filmé assis, le visage ruisselant de larmes, la photo de mariée de sa mère sur les genoux, des cachets d’AZT à portée de main, anéanti par sa douleur, la bande son se résumant au piano obsédant de Glass et aux sirènes de police de la rue. J’ai dû voir The Hours une bonne vingtaine de fois. Mais cette scène-là, me bouleverse toujours autant.

The Hours est sans conteste un film très sombre. Cependant, toutes ces femmes ont en commun de s’affranchir de leur carcan, quel qu’en soit le prix.  Alors que Clarissa lui reproche d’avoir abandonné ses enfants, Laura Brown tient le mot de la fin : « ce serait merveilleux de dire qu’on regrette, ce serait facile. Mais ça veut dire quoi de regretter quand on n’avait pas le choix ? On supporte autant que possible… Voilà. Personne ne va me pardonner. C’était la mort… j’ai choisi la vie. »

 

2003_the_hours_010

 

 

16 octobre 2011

Drood, roman de Dan Simmons

couverture-24566-simmons-dan-droodÉditions Robert Laffont, 2011

Nombre de nos écrivains français contemporains accablent les lecteurs avec leur narcissisme, noircissant des pavés de leurs petites histoires de famille ou de leurs traumas. La rentrée 2011 est encore une fois chancie par cette pseudo-psychanalyse publique obscène (jetez un œil sur la liste des romans retenus pour les prix de novembre, c’est renversant ! Tout comme le copinage scandaleux de certains membres du jury du Médicis, au demeurant…).

Il est donc inutile de dépenser ses euros pour alimenter ces montgolfières de vanité, surtout lorsque, venu d’outre-Atlantique, le dernier Dan Simmons galvanise de nouveau ses lecteurs au long de 860 pages. Il ne s’agit pas cette fois-ci de science-fiction ou de thriller, mais d’une plongée dans le Londres de la seconde moitié du XIXème, sur les traces de Wilkie Collins et de Charles Dickens. L’auteur d’Oliver Twist meurt en 1870, laissant derrière lui un dernier roman inachevé, Le mystère d’Edwin Drood. Dan Simmons se penche sur l’origine de cet ultime récit, en reconstruisant les cinq dernières années de celui que l’on surnommait l’Inimitable. Le « journal de ce quinquennat » est tenu par Collins, confrère, ami , mais aussi principal rival littéraire de Dickens. L’auteur va fusionner avec une totale réussite des éléments fondés sur la vie des deux romanciers et une intrigue rocambolesque, pour trouver la clef du roman posthume.

Charles Dickens, rescapé d’un terrible accident ferroviaire en 1865, rencontre sur les lieux de la catastrophe, un individu singulier au nez coupé, blafard et émacié, tel un faucheur venu ravir les âmes des morts, le sieur Drood. Le romancier est captivé par le sinistre individu et entraîne Collins à sa suite pour le retrouver dans une quête échevelée : le triste Sir serait un dangereux assassin, venu de la lointaine Égypte, grand prêcheur d’un culte antique, qui règne avec ses sbires sur le monde souterrain de Londres. Les descriptions des quartiers malfamés, du labyrinthe des égouts, des fumeries d’opium dissimulées dans des ossuaires, les cryptes, les catacombes, les loculi qui abritent des cercueils empilés, où rodent des individus redoutables et patibulaires, en feraient presque un roman gothique.

Cette poursuite éprouvante, - qui serait à elle seule un très bon roman historico-policier -, se double d’un étonnant portrait minutieux d’écrivain, avec le personnage de Wilkie Collins, grand consommateur de laudanum, torturé et paranoïaque, dont la raison vacille peu à peu sous l’influence de Drood. Il est difficile d’en dire davantage sans gâter les ricochets de l’histoire très finement construite,  où Simmons manipule avec la même perversion la psychologie de ses personnages et ses lecteurs.

Car par-delà l’affaire Drood, et le duel larvé d’un monument des lettres avec son concurrent malheureux dans l’Angleterre victorienne, le livre creuse avec habilité le thème du « double », de la part obscure, de l’illusion, de la manipulation, du statut de l’écrivain et du douloureux engrenage qui mène à la création, où toutes les fourberies sont permises.

 

12 octobre 2011

Theodora, le DVD mythique des baroqueux

cn2004_theodora_christieGeorg Friedrich Haendel, 1749 - Enregistré à Glyndebourne en 1996 / DVD 2004

Cette version de l’avant-dernier oratorio d’Haendel a fait date : elle est LA référence, à la fois par la hardiesse de sa mise en scène et par l’excellence de ses voix, le trio Hunt – Croft – Daniels. Je ne comprends pas bien le choix très grinçant de Dawn Upshaw dans le rôle titre, aux antipodes de la perfection des autres solistes ; personnalité falote, oscillant entre inconsistance et frénésie, attitude caricaturale, mais demander à l'Américaine - visiblement plus à l’aise dans le registre musicals - de ressentir la complexité d’une martyre chrétienne du IVème,  relève des causes perdues. La voix maniérée a la suavité du vinaigre et les aigus qui chancèlent, crissent douloureusement. On va dire que je suis très partiale, mais ceux qui ont eu la chance d’écouter Mireille Delunsch dans le même rôle, (au cas où il resterait une équivoque, je nourris pour cette soprano une admiration sans limite) souffriront de cette interprétation de Theodora essoufflée. 

Cette erreur manifeste de casting ne doit pas obscurcir la splendeur de cet oratorio, réinterprété par un Peter Sellars visionnaire. Comment intéresser le public au destin d’une vierge pieuse d’Antioche, qui rejette le culte de Jupiter et de l’Empereur Dioclétien, persécutée par des Romains intolérants et  frustes, puis sacrifiée aux côtés de son ami, un centurion converti ? On a connu des livrets plus appétissants… le metteur en scène nous téléporte dans une Amérique qui pourrait être celle de McCarthy ou celle des Bush père et fils, où sévit un gouverneur insensé, ivrogne et vulgaire, dont l’ego s’entretient à coup de conférences de presse qui fanatisent son peuple ; ce dernier, abreuvé de Coca et de bière bon marché, idolâtre son meneur et accepte d’échanger sa raison contre « des jeux et de l’alcool », en écoutant des discours patriotiques et xénophobes. Le pouvoir politique s’appuie sur une garde rapprochée de militaires d’élite, lourdement casquée, bannière étoilée au bras gauche, FM au poing, pour faire régner la pensée unique. Les opposants et les croyants d’autres cultes n’ont qu’à bien se tenir. Cette transposition de l’histoire fait bien douloureusement sens.

Si cet oratorio émeut autant le spectateur, c’est qu’il recèle subtilité et humanité. Peter Sellars, en contraste avec la violence suintante du gouverneur et de son peuple, aligne en fond de scène de gigantesques lacrymatoires de verre fêlé, fioles translucides et fragiles qui irradient la lumière, tels des Justes qui veillent. Car on rencontre aussi, parmi ces militaires, des individus sensibles à l’arbitraire, qui n’admettent pas de servir un pouvoir oppresseur. Didymus, converti au christianisme, refuse de traiter les siens comme des hommes de seconde zone et préfère délivrer Theodora en échange de sa propre vie. Son compagnon d’armes, Septimus, va faire le douloureux apprentissage de l’éveil de la conscience, du déchirement entre son devoir et son humanité – qu’aurions-nous fait à sa place ? Le geste de sacrifice de Didymus va très loin symboliquement : ce personnage chanté par un contre-ténor (un choix signifiant) accepte de prendre la place de Theodora dans la prison en se dépouillant de ses vêtements au profit d’une femme. Voilà un soldat qui bouleverse à la fois l’ordre politique et l’ordre social.

La mise en scène téméraire ne réduit pas l’œuvre au faire-valoir d’un artiste inventif et Sellars sait très bien ne pas trop en faire. Il sait garder sa spiritualité, jouant avec les lumières, la gestuelle du chœur, les silences et les symboles. La scène finale, le sacrifice de Theodora et Didymus, mis à mort par injection létale devant le gouverneur et son peuple rassemblé, a médusé le public. Les deux lits de sangles où sont immobilisés les suppliciés, se lèvent doucement durant leur duo final d’une beauté à pleurer, et les plantent, tels des crucifiés, face à la salle, leur pouls qui faiblit, enregistré par les machines jusqu’au dernier souffle. Comme pour Le Messie, donner un sens contemporain au livret, ne le dénature aucunement : il en augmente toute la portée et exalte les émotions.

 

10 octobre 2011

Amour, Amitié, Fidélité… la Trinité selon Cartier

index« Une bague triplement saturnienne »

Telle est l’indication de Jean Cocteau à Louis Cartier en 1924, lorsqu’il lui demande de réaliser selon ses indications, un bijou enlaçant trois anneaux d’or rouge, or jaune et platine.

Cocteau la portera à l’auriculaire de la main gauche, doublée d’une autre, tout en platine. Les légendes ont la vivacité tenace : tout le monde rabâche que cette bague a été conçue pour Radiguet, comme témoignage d’affection. Mais Radiguet a été emporté par la fièvre typhoïde en décembre 1923… D’autres affirment que c’est Natalie Paley qui en est la récipiendaire, au motif que les alliances rationnelles russes sont faites de trois anneaux. Mais là encore, le calendrier ne peut soutenir cette théorie. Il faut attendre le début des années 30 pour que l’écrivain et la fille du grand-duc de Russie tombent en amour.

Un membre de la maison Cartier nous a suggéré assez astucieusement que l’imaginaire créatif de Cocteau avait pu être influencé par les costumes des danseurs des Ballets Russes, robes à cerceaux, bracelets massifs aux poignets et autres anneaux aux chevilles. Quand on connaît le procédé complexe et tortueux des réalisations artistiques de l’écrivain, cette conjecture semble nettement moins fabriquée.

Ainsi, plus simplement, l’écrivain l’a conçue pour lui, même s’il n’a pas manqué par la suite de l’offrir à ses proches. L’or gris a remplacé depuis le platine, la bague « Trois ors » est rebaptisée « Trinity » depuis 1998, mais elle fait toujours partie du mythe. Pour les Parisiens, il suffit de pousser la porte du 13 rue de la Paix, pour entrer dans la légende. Même remarque que pour les grands hôtels, ces bijouteries de luxe ne proposent pas seulement des joyaux dispendieux et il n’est pas nécessaire de passer une queue-de-pie. Vous serez accueilli avec élégance, sérieux et bienveillance, même en jean. Il me semble que nous étions là encore les seuls Français à échanger avec notre « hôte » dans de jolies et discrètes alcôves, ravi de raconter l’histoire de la maison Cartier et de parler ballets des années 20.

Petite « private joke » pour l’ami Poncelet : « aimer les beaux endroits et les jolies choses n’est pas forcément signe d’affectation. Mais avec un doigt d’audace et d’assurance, on peut découvrir des atmosphères que l’on pensait bien inaccessibles à ses origines. » Fermez le ban.

PS et pas des moindres, pour quelqu'un qui se reconnaîtra... "Merci infiniment pour ce cadeau dont je rêvais depuis mes 17 ans" / with love.

 

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5 octobre 2011

Symphonica : The orchestral Tour

POPB, mardi 04 octobre 2011 (20h30… heu… 21h10 en fait)

On l’attendait tous (surtout toutes, n'est ce pas Nathalie9712735222222 ?) ce concert d’octobre. Nous avions déjà fait la campagne de 2006 dans ce même lieu, l’offensive du Stade de France en 2007, les enthousiastes de la première heure ont tout naturellement repris possession de Bercy, lundi et mardi soir.

Aucune comparaison possible avec les deux précédents concerts, la plus belle voix de la pop anglaise - ce n’est pas moi qui l’assure, c’est Aretha Franklin, je crois que l’on peut lui faire confiance sur le sujet – nous embarque aujourd'hui pour un voyage plus intimiste, mêlant ses propres titres à des standards américains et anglais, arrangés pour un orchestre symphonique et quelques solistes.

Je craignais une ambiance un peu pâle, lustrée et de bon ton, loin du climat électrique et survolté de la dernière tournée. Eh bien non,  aucune frustration… en dehors d’une très légère baisse de régime au milieu de  la seconde partie, le concert fut colossal : ça groovait sur scène ! Alternant les titres thermodynamiques (une « Russian Roulette » d’anthologie), les standards jazzy (immense, cette reprise de « My baby just cares for me » !) et les balades revisitées (sa version de « Going to the town » transcende cette gentille mélodie), la star anglaise fait ce qu’elle veut avec sa voix : un grain très chaud, puissant, rond, qui soulève les chansons et les emmène beaucoup plus loin que prévu. Et qu’il bouge bien, l’animal ! Là où d’autres artistes cabotinent, truquent, en laissent sous la semelle, lui s’investit totalement et fait partager son enthousiasme ou ses émotions. Mon petit cœur sensible de fan a bien évidemment fondu aux premières notes de « You’ve been loved », qui me laisse en vrac à chaque fois qu’il l’interprète sur scène. Et j’ai touché le fond, lacrymalement  parlant, avec ce nouveau titre très personnel « Where I hope you’re », dédié bien sûr à Kenny, où il met véritablement ses tripes et son cœur sur scène, la tête baissée, répétant doucement « I’m so sorry ». Si vous n’êtes pas touché par la sincérité de sa douleur, c’est que vous avez la sensibilité d’un parpaing.

Et puis, quand on la chance d’être dans des gradins envahis de cinglées, de fans déchaînées hurlant comme des timbrées, de folles furieuses venues se lâcher et faire la fête avec d’autres toquées, le medley final « Amazing/I’m your man/Freedom » prend des allures de délire total : c’est le moment où l’on fait trembler la salle, où l’on braille à glotte déployée : on saute, on danse, on a de nouveau quinze ans, Wham ne s’est pas encore séparé et on ne se doute pas que le chanteur qui abuse des micro-shorts bicolores et d’autres bizarreries capillaires devenues fameuses, nous offrira « Older » et « Patience ».

Ma copine Nath n’a pas manqué de me faire enrager durant dix jours, en me mettant sous le nez son billet, un visa direct pour le 7ème rang, milieu de scène, dans le carré VIP. Mais être entourée de culs-serrés poseurs est loin d’être un privilège… il paraît que ces gens-là se comportent comme des paresseux cacochymes sous bromure,  incapables de manifester le plus petit émoi qui soit. La prochaine fois, miss, grimpe avec la plèbe, il y fait meilleur !

Ce matin, un certain compte Twitter bien connu remerciait le public pour sa chaleur :

“Hey Paris, you were truly a fantastic audience, thank you!”

You’re welcome, George, very welcome.

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3 octobre 2011

Mort à Venise (Death in Venice, Morte a Venezia)

mLuchino Visconti - 1971 - Prix du 25e anniversaire du Festival international du film de Cannes

Il est toujours difficile de parler du film qui est venu percuter vos jeunes années.

L’époque du lycée était une parenthèse ensoleillée où l’on avait du temps et de l’enthousiasme pour découvrir les films des grands réalisateurs : nous passions alors beaucoup de temps dans certains vieux cinémas peu onéreux de la rive gauche - le Champo, le Studio Galande, et surtout le Reflet Médicis. C’est dans les sièges défoncés de ce dernier, devant une copie délavée, hachurée, qui crachotait une bande son fatiguée, que je suis restée sidérée devant Mort à Venise. Le premier grand choc. Les références littéraires me passaient largement au-dessus (Thomas Mann n’était déjà plus très lu et ma professeur de philo préférait nous assommer avec Kant plutôt qu’avec la représentation du Beau chez Schopenhauer). J’ai donc accueilli le film sans recul, sans perspective, sans rien intellectualiser,  exactement comme Aschenbach reçoit la révélation de la beauté de Tadzio.

Si les palabres du compositeur et de son ami sur la fonction de l’artiste, le rôle du génie dans la création de la beauté, sonnaient pompeux à mes oreilles, la quasi-perfection du film m’avait fait toucher du doigt ce qui distingue un cinéaste majeur d’un réalisateur quelconque : une mise en images fulgurante des émotions indicibles, de ce sentiment insupportable qu’il est déjà trop tard, de la fragilité des certitudes affirmées, d’un destin qui s’effondre en même temps qu’il se révèle enfin.

Un musicien croise un visage d’ange sépulcral, qui anéantit aussitôt les dogmes rigoureux qui ont fondé toute sa vie de créateur : la beauté physique de Tadzio surpasse celle née de son travail laborieux. Alors, sous la chaleur irrespirable du sirocco, en même temps que la ville se gangrène et que le choléra saigne les habitants, Aschenbach se délite, erre dans Venise sur les traces de l’adolescent, maquille sa vieillesse sous un masque blanc et finit par s’écrouler sur une petite place, fardée de chaux, secoué d’un rire sinistre qui finit en sanglots poignants. Sa vie n’a été qu’une mascarade, une suite d’erreurs, de luttes vaines, une lente agonie, qui va prendre fin dans une ville malsaine et désertée. Visconti filme Venise comme un espace asphyxiant, sinistre, rongé de plaies, un cloaque en décomposition qui va bientôt disparaître, sous les cordes funèbres de la 5ème de Mahler.

Il n'y a quasiment pas de dialogues dans Mort à Venise et pas vraiment d’histoire : la ville, Tadzio et sa famille, le Lido, tout est vu du point de vu d’Aschenbach sans qu’il soit nécessaire d’alourdir la fluidité des images : vastes travellings glissants, zooms qui isolent les personnages et qui accentuent la fascination qu’ils exercent, une bande son qui réduit en simples bruits de fond les bavardages des clients de l’hôtel et de la plage, au profit des longs silences contemplatifs du compositeur et de sa musique.

L’issue fatale d’Aschenbach est inéluctable dès les premières images du film, qui s’ouvre sur la fumée noire d’un vaporetto, tâchant l’aube. Sa volonté se désagrège devant le gondolier lugubre qui le convoie au Lido comme s’il traversait l’Achéron, il reste dans une ville infectée alors qu’il a croisé les premiers cadavres, il choisit de rater son train pour mieux se détruire sous les regards de l’ange de la mort qui lui sourit avec douceur. Cette ultime décision, préférer un mortel enfermement volontaire au retour vers une vie saine, mais rigide, intellectualisée, donc stérile, m’a semblé un acte d’une audace prodigieuse. Il s’éteint sur la plage du Lido, les yeux tournés vers la lagune pour ce dernier voyage, la silhouette de Tadzio en contre-jour lui désignant de la main le large, l’éternité.

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