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Le Présent Défini
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29 janvier 2012

Atys - 1ère partie - Une réputation parfaitement fondée

hgvnzw1pLB_20111127PHTMN9PBSKJean-Baptiste Lully, 1676 – Enregistré à l'Opéra Comique en 2011 / DVD 2011

Trop jeune, en 1987, pour avoir assisté à la renaissance de cette tragédie lyrique, tombée dans l'oubli après une dernière représentation en 1753, il me faut remercier le mécène américain Ronald Stanton, spectateur ébloui de la première heure, d'avoir ramené Atys à Paris en 2011, pour une re-création du fameux spectacle, dont nombre de baroqueux parlent encore avec des sanglots d'extase dans la gorge. On pourra gloser tant que l'on voudra sur ces grandes fortunes venues d'outre-Atlantique, elles nous permettent aussi de sauver notre patrimoine tout en finançant des productions dispendieuses et mémorables.

William Christie et le metteur en scène Jean-Marie Villégier ont choisi, pour commémorer le tricentenaire de la mort de Lully en 1687, Atys, triomphe absolu lors de sa création à Saint Germain-en-Laye, devant un Louis XIV fasciné, qui exigera de le réentendre à plusieurs reprises. Surnommé « l'opéra du Roy », Atys est une tragédie en musique, un drame amoureux à l'issue terrible, traversé de conflits, de trahison, de cruauté et de folie. Le livret raconte les amours contrariées de la nymphe Sangaride, (déjà promise au roi de Phrygie) et du berger Atys, beau mortel convoité par la déesse Cybèle. Pourtant, rien de « pastorale » dans la mise en scène, la lecture de Villégier convoque la tragédie classique pour comprendre les enjeux de l'œuvre : ce choix s'inscrit dans une totale cohérence avec le prologue, où Melpomène, muse de la tragédie, indique à Flore et au Temps :

La puissante Cybèle

pour honorer Atys qu'elle a privé du jour,

veut que je renouvelle

dans une illustre cour

le souvenir de son amour.

Que l'agrément rustique

de Flore et de ses jeux,

cède à l'appareil magnifique

de la muse tragique,

et de ses spectacles pompeux.


Les décors multiples, la machinerie sont oubliés au profit de la règle classique des trois unités. Et puisque Cybèle veut rejouer devant nous ce que fut son amour pour Atys, Villégier nous amène à la cour du Roi, pour une commémoration funèbre jouée d'avance. Cette ambiance lugubre d'une cour où règne la morale de la soumission, de la culpabilité, des secrets devant la toute puissance de l'institution religieuse de Cybèle (ou de l'institution d'un roi absolu) répond à ce deuil perpétuel de la déesse. « Si l'on fait le voyage d'Atys, on découvre une œuvre très méchante, un XVIIème très sinistre, des personnages très souffrants. Des héros affaiblis, domptés par le Prince, maladivement fixés au seul devoir de lui plaire. C'est cette image-là qu'il faut se forger, comme un cauchemar, pour y voyager. »*

Des gravures d'époque des appartements du monarque ont inspiré le décor unique, une antichambre vide, froide comme un astre mort, toute de marbre noir et argent, d'une élégance glacée, tachetée de quelques chiches accessoires. Tous semblent lestés d'afflictions et de douleurs, parés de costumes sombres, déclinant des nuances de gris et des noirs funestes. Ce choix d'une esthétique ténébreuse, précieuse et raffinée est visuellement magnifique et compréhensible par le public, car il paraît soudain évident.

Parfaitement ordonnée, la direction d'acteur est tout aussi sensationnelle : les chanteurs bougent avec agilité, extériorisant leurs émotions, leurs sentiments, comme le feraient de vrais acteurs : cette aisance du geste donne une évidence aux ballets, qui racontent aussi l'histoire, dans un art noble réservé aux gentilshommes de France : si la musique est un divertissement où règnent les Italiens, la danse est un art politique maîtrisé par le plus grand Roi d'Europe. Les chorégraphies sont ici un régal pour les yeux, en parfaire adéquation avec le spectacle, réalisées à partir d'archives d'époque. On ne se lasse pas de ces battements, de ces frottés, pliés, glissés, de ces jambes qui virevoltent alors que le haut du corps bouge très peu. Les attitudes, les ports de tête altiers, l'arrondi d'un bras, le placement des doigts, tout est beau ; parce que l'harmonie entre le théâtre, la musique, le chant et la danse fait des choix de mise en scène et de direction, une quasi évidence.

*Commentaire de Jean-Marie Villégier, in « Un rêve noir habité par un soleil ».

Atys-Opera-Comique-2011

 

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25 janvier 2012

Il pleut à Paris, en Grèce aussi, certainement...

Αντίο Θόδωρος...

 

23 janvier 2012

Korres, la gréco-cosmétique… καλός καί άγαθός

basilic_valeurstournesol_valeurs

 

Que celle qui n’a jamais attrapé de coups de soleil en Grèce lève le doigt ? On a beau y prendre garde, les rayons d’Hélios sont fourbes, surtout sur le ferry qui vous ouvre les portes du paradis, alors que votre teint, plombé par une météo parisienne funeste, a tout de l’anémie persistante.

La pharmacienne bien urbaine de Poros me recommanda vivement les produits d’une marque alors inconnue de ma pomme, Korres. Un bref coup d’œil sur la composition on ne peut plus claire (les tartinages de parabène, silicone et dérivés d’hydrocarbure, on s’en passera) me tranquillisa, cette marque grecque avait tout pour plaire.

formula-profil

 

J’appris plus tard que cette marque fut fondée par un pharmacien homéopathe, originaire de Naxos (Γιωργος Κορρές), soucieux de proposer des produits naturels, abordables, sans fausse promesse abracadabrantesque, fabriqués en partenariat avec des coopératives d’agriculture biologique.

Je devins immédiatement addicte au lait corps hydratant après-soleil à l’aloè vera, dont j’abusais durant tout l’été, pour son efficacité comme pour son parfum subtile.  Je commis l’erreur de ne pas dévaliser la pharmacie de ses autres produits, découvrant à Paris que les prix pratiqués en France étaient multipliés par deux.

Toutefois, je déclinais ma dépendance avec de formidables gels douche (mention spéciale pour celui à la figue qui ensoleille votre salle bain, et votre moitié craquera pour ceux au cèdre et au basilic/citron, plus masculin). Les gommages et crèmes nourrissantes sont tout autant recommandables. La gamme visage au vrai yaourt tient ses promesses, haut la main, surtout en été, apaisante et rafraichissante.

 

aloes+apres+soleil


Si vous êtes un peu déprimée ou grincheuse cet hiver, en attendant de revenir en Grèce aux beaux jours, voilà un bon moyen de vous redonner la pêche, tout en soutenant une entreprise grecque, qui elle, le vaut bien.

Achats en ligne, ici : www.korres.fr

Boutique dans le 5ème, 54 rue des Ècoles et bon rayon au « Bon Marché » dans le 7ème.

 

19 janvier 2012

Destins crépusculaires (The Fall of Light), roman de Niall Williams

9782207253489FSEditions Denoël, 2003

Il y a des jours où l’on se dit qu’on a bien fait de pousser la porte de son libraire : usant et abusant des emplettes en ligne, on oublie bien souvent qu’être libraire est un métier, et que des décennies passées le nez dans les livres aiguisent forcément l’esprit et la curiosité. Alors que j’errais entre les tables des « nouveautés », qui ploient sous l’originalité la plus hardie (« ma culture et moi », « mon ego et moi », « mes traumas et moi », « ma famille et moi »), je demandais de l’aide à la recherche d’un vrai roman, avec une écriture, une histoire, des aventures, des personnages, à l’opposé des introspections nombrilistes et douteuses. Destins crépusculaires fut mis d’office dans mes mains, avec un « Ne vous fiez pas au titre traduit façon best-seller aguicheur, Niall Williams est un très grand écrivain irlandais. »

Né à Dublin, expatrié durant quelques années à New York, puis revenu sur son île en 1985 où il commence une carrière d’écrivain et de dramaturge, Niall Williams peint une fresque familiale sur fond de famine et d’exode ; la destinée du clan Foley. Issu d’une lignée de rebelles hostiles aux gros propriétaires terriens qui ne quittent jamais l’Angleterre, mais qui maintiennent les paysans irlandais dans une extrême pauvreté, le patriarche Francis Foley décrète un jour qu’il ne peut plus laisser croupir sa famille dans l’injustice, l’indigence et le mépris, met le feu à la demeure de l’invisible châtelain et fuit le comté de Tipperary pour celui de Clare, avec ses quatre fils. Le clan sera rapidement dispersé et chacun suivra sa route sur trois continents, se cherchant les uns les autres, se croisant, se perdant.

Rien de déprimant dans le roman, pas d’inclination pour le misérabilisme, d’aucuns pourraient presque reprocher un manque de réalisme. L’auteur préfère à l’énergie narrative le déroulement très lent d’une histoire familiale « merveilleuse » où les coïncidences et la fatalité jouent tout leur rôle. Les pages qui relatent le fléau de la famine, les expulsions de familles entières sous les yeux d’huissiers infâmes, les suicides, les crises de folie, les hommes réduits à manger de l’herbe et les cadavres qui pourrissent à l’air libre, tout comme les conditions inhumaines de la traversée vers New-York pour les émigrants, dans les cales de navires-cercueils, sont assez brèves. Niall Williams fait de l’épopée familiale un récit légendaire, fondateur d’une lignée : il délaisse la brutalité historique et pare le roman d’un éclairage de conte, où les morts et les vivants se répondent par symbole, où les animaux ont une part de féérie, où ceux qui ont tout perdu se raccroche aux constellations dont ils se racontent les légendes. La prose devient souvent lyrique, les phrases s’enroulent, sinuent pour décrire les paysages irlandais, ses ciels changeants et  sa nature sauvage, ces liens indissolubles que cette terre tisse avec tous ceux qu’elle a portés. Pas d’images convenues, ou de descriptions ordinaires mais une perception onirique des éléments et de leur influence sur les hommes. D’ailleurs, aucun des quatre fils Foley n’est dépositaire du combat social du père : tous semblent flotter, les yeux rivés sur leurs étoiles, qui leur fait suivre un long chemin, traverser de grands espaces vierges, tels des juifs errants à la recherche d’eux-mêmes.

 

12 janvier 2012

Orlando Furioso - 2ème partie – ça dirige, ça chante… et pourtant, ça coince

arton2738-eaeacJean-Christophe Spinosi et son Ensemble Matheus livrent sur scène, pour la première fois depuis 1727, la version originale de la partition, sans coupe, ni arrangement singulier. Suite à de longues recherches sur le livret d’époque et la partition autographe, ils proposent au public la restitution la plus authentique possible, dans la musique et dans l’esprit.

Beaucoup de musicologues, et autres exégètes patentés, (tout comme ma moitié !) délirent sur la partition d’Orlando Furioso, considérée comme la plus aboutie de Vivaldi. Tous de souligner la « maturité lyrique », sa « séduction mélodique », une « couleur instrumentale lumineuse » et une « vitalité rythmique électrisante », des « accompagnements nourris, complexes et variés », « une écriture magistrale ». Alors, pourquoi cette musique me laisse-t-elle de glace ? Sans doute parce qu’elle n’est qu’une quasi succession d’airs de bravoure, que la rythmique est infernale, que la virtuosité supplante la ligne mélodique, que les récitatifs s’enchaînent au détriment des arias : il y a en effet quatre/cinq airs d’une grande beauté (dont le sublime « Sol da te mio dolce amor » de Ruggiero à l’acte I ou la complainte d’Angelica « Poveri affetti miei, siete innocenti » au III), mais c’est bien peu sur plus de trois heures. La musique demande un réel effort pour accepter sans relâche cette exaltation continue, la folie du personnage principal, les scènes de jalousie sans fin, à grand renfort de frénésie, de fièvre, de tumulte qui finissent par me lasser.

L’orchestre est-il à la hauteur du bouillonnement de la partition ? Il est tout simplement remarquable, au service de la musique qui fulgure sans relâche. Je plains les pauvres archets qui doivent sortir lessivés de la représentation, tant leur énergie est soutenue. La fosse tient le tempo insensé et rutile, époustouflant d’agilité et de relief. Les très chiches lamenti qui leur sont offerts sont de pures merveilles, inspirés et aériens, qui contrastent d’une façon bien tranchée avec la tempête déchaînée des cordes démoniaques,  des bois et des cuivres qui flamboient. Mais tout sensationnel que soit l’orchestre, la partition reste ce qu’elle est : un magma étouffant, dont je sature très vite.

La distribution des voix est un défi : toutes se doivent d’être au-delà du remarquable, tant le niveau d’exigence atteint des altitudes himalayennes. Pas de rôle secondaire, pas de scène légère où reposer sa voix, aucun temps mort. Trois mezzo(s) et une contralto s’affrontent dans une lutte impitoyable, où celle qui faiblirait se ferait aussitôt engloutir par les autres. Ce n’est plus une scène mais un ring. Á ce jeu des rivalités, Jennifer Larmore (Alcina) sort victorieuse, tant son engagement scénique est sidérant. Elle écope aussi du rôle le plus complexe, tour à tour magicienne enjôleuse, mante religieuse dévorant le jeune Ruggiero, monstre manipulateur, harpie délirante, puis simple créature sans pouvoir, accablée et touchante. Ses da capo sont éblouissants de maestria, ses vocalises intrépides jaillissent comme des feux d’artifice, son énergie débridée déborde, alors tant pis si le timbre est un rien mat. Veronica Cangemini (Angelica) a passé l’âge du rôle - la mezzo, Romina Basso, qui interprète son amoureux Medoro, a l’air d’être sa fille - et fait pâle figure à côté de Larmore. Voix râpeuse, manque de souplesse, couleurs ternes, aigus aigres, elle est la grande déception de cette distribution. L’Orlando de Marie-Nicole Lemieux est aussi frustrant : je n’ai pas été saisie par sa version du paladin, héros légendaire qui devient sous nos yeux un homme très vulnérable. J’ai trouvé son interprétation étonnement fragile, sans fougue ni ardeur et la grande scène de folie du III, totalement surjouée. Les vocalises ne sont pas assurées, la voix s’essouffle, son manque d’aisance pour ce rôle colossal est patent.

Heureusement, il y a notre contre-tenor Philippe Jaroussky, qui irradie comme un soleil. Il ouvre ses jolies lèvres et c’est l’extase. Tout est magnifique : timbre, respiration, nuance, légèreté et agilité, sensibilité du chant et maîtrise des ornements. L’avantage du DVD, c’est que l’on peut se repasser dix fois de suite son « Sol da te », la magie opère sans relâche. 

Le baryton Christian Senn (Astolfo) est impeccable - pas désagréable d’entendre une voix grave, ferme, ample et mature dans une partition dédiée à d’autres tessitures et les deux mezzo(s), Kristina Hammarström (Bradamante) et Romina Basso, parfaitement en place, agiles, déterminées et en phase avec leur personnage.

Bilan ? Très mitigé. Á vous de voir, selon votre sensibilité, vos goûts, votre intérêt pour la seule technique stérile et la virtuosité vaine.

 

 

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10 janvier 2012

Orlando Furioso - 1ère partie – les raisons d'une déconvenue

0822186021484Antonio Vivaldi, 1727 - Enregistré au Théâtre des Champs-Elysées en 2011 / DVD 2011

Ce dramma per musica a donné lieu à une longue controverse  et à un débat nourri avec mon ami doux : comment peut-il bouillonner d’enthousiasme pour un spectacle aussi long, aussi lugubre, orné d’une partition que je qualifierai de « surabondante » et d’un livret tellement barbant ? Je ne sais pas s’il m’est donné de mettre autant ennuyée durant un spectacle, et ce malgré un orchestre fabuleux et des chanteurs, presque tous, remarquables. Le visionnage à deux reprises (dans la douleur et les ronchonnades) du DVD n’a pas opéré de miracle, Orlando Furioso est un opéra qui me laisse sur le bas-côté, malgré toute ma bonne volonté.

C’est dans un but précis que Vivaldi compose ce second Orlando, quatorze ans après un premier opéra sur ce même sujet (Orlando Furioso, 1713), - à ne pas confondre avec Orlando finto pazzo, autre opéra de Vivaldi présenté en 1714 : reconquérir la scène vénitienne, alors que les opéras napolitains et les castrats captivent la Sérénissime.  Pour résister aux œuvres de Porpora et de Vinci, Vivaldi revient aux sources du théâtre vénitien. Si plus personne ne lit l’Arioste aujourd’hui, considérables étaient à l’époque sa popularité et son influence sur les arts. Durant trois siècles, cette épopée chevaleresque et sentimentale de 40 000 vers, va inspirer un nombre impressionnant d’œuvres musicales (250 !)  chez Lully, Charpentier, Scarlatti,  Haendel (Ariodante, Orlando et Alcina,  excusez du peu….), Haydn, Gluck, Rossini…

Vivaldi refuse le recours aux castrats très en vogue (Farinelli arrivera à Venise en 1728), leurs cachets exorbitants et leurs caprices de divas, et confit le rôle titre masculin d’Orlando à une contralto, dans une distribution qui met au premier plan des voix de femmes. Et pour mener cette lutte de genre contre l’opéra napolitain, Vivaldi choisit de parler aux Vénitiens de leur ville et de leur vie, faite d’intrigues, de manipulations, de ruses, de mystifications, de déguisements et de faux-semblants. Mais aujourd’hui, comment captiver l’auditoire avec une histoire alambiquée, qui se déroule sur une île enchantée, où l’on croise une magicienne (Alcina), une princesse (Angelica), un paladin (Orlando),  un chevalier maure (Ruggiero), une amazone (Bradamente), un modeste soldat (Medoro), les cendres de Merlin, le temple d’Hécate, un philtre d’amour et un anneau merveilleux… on attendait du spectacle, de la féérie, de l’exubérance, bref, du baroque, pour occuper un peu l’espace pendant que badine tout ce beau monde. Parce que, les histoires de cœur de ces personnages, on s’en fiche un peu : 3h15 de marivaudage, entre la coquette, le pragmatique, la manipulatrice, le jaloux, la fidèle, le cœur pur… mais que c’est assommant !

La mise en scène aurait pu nous donner des moments de tension, souligner les effets dramatiques, donner de la profondeur au texte, le rendre lisible pour des spectateurs du XXIème siècle, mais sa pauvreté neutralise tous les éléments fantastiques. Visuellement, on ne peut pas faire plus sinistre. Tout est noir, gris, dépouillé, dans un pseudo salon vénitien éclairé par un gigantesque lustre de Murano, meublé de  chaises à dossiers creux (?) et d’une table, qui servira d’esquif, de lit d'amour, de grotte…on fait à l’économie, tant pis si le baroque y laisse son âme. Les costumes sont aussi charbonneusement monochromes, et on occupe l’espace à grand renfort de robes moirées qui tournoient sous des lumières très étudiées. Ne cherchez aucune subtilité dans la direction scénique des chanteurs ; tous les déplacements sont artificiels, réglés au cordeau pour faire joli ou esthétisant, dans des effets très lourds.

On passe l’acte III devant un mur de briques tout aussi funèbre, où tous les personnages ont l’œil passé au kohl baveux, le cheveu agité et le costume en lambeau, rejoignant Orlando dans son délire, agité d’une danse de Saint Guy bien trop appuyée. Les personnages se heurteraient-ils à la prison de leurs vrais sentiments, murés dans les mensonges et leurs illusions… d’accord, j’arrête de persifler… prochain post, orchestre et voix.

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3 janvier 2012

Goûter gourmand au Plaza Athénée

Entrée

 Il y a deux écoles : les filles raisonnables qui, entre Noël et le bout de l’An adoptent le régime austère d’un anachorète en plein désert pour se donner bonne conscience et les autres, les athlètes de la gourmandise qui refusent de martyriser leur estomac et assument leur vocation au partage des nourritures terrestres.

Inutile donc de faire sa bêcheuse, quand on sait que Christophe Michalak officie comme Commandeur de la Pâtisserie au Plaza Athénée, il serait superflu de chercher un autre lieu pour des agapes sucrées.

On arrive avenue Montaigne beaucoup moins stressée qu’au Ritz (c’est fou, ce que l’on s’y fait vite à ces palaces), on admire les Bentley et autres Ferrari qui attendent leurs propriétaires, occupés à faire chauffer leur Black dans des boutiques dont je n’aurais aucune envie de pousser la porte. Une certaine propension au snobisme ne saurait se confondre avec le mauvais goût…n’est-ce-pas, d’Aprequiche ? (Private Joke 0010)

Le grand hall du Plaza, décoré avec faste, mais distinction, en impose tout de même : les volumes sont beaux, c’est classieux sans être clinquant, le personnel toujours aussi charmant. Direction « la Galerie des Gobelins », où je retrouve Ισαβέλλα, qui assiège la seule table libre des réservations des clients de l’hôtel. Lustres chargés, larges fauteuils, tons reposants, ambiance feutrée, service gracieux et simple.

 

H5PE9H40

 

J'opte pour un thé « mélange Plaza », aux saveurs de figue, noisette, coing, raisin. Ισαβέλλα se laisse tenter par le chocolat chaud… intitulé bien pâle à côté de ce qui lui sera servi : de la chocolatière en argent, se déverse une réduction dense et moelleuse de chocolat intense qui sera adoucie dans la tasse par un ajout de lait. Si vous avez goûté à celui du Florian, c’est au-delà.

Le chariot des desserts approche de notre guéridon, sous l’œil taquin du serveur qui connaît parfaitement l’effet produit. Restons convenables, refrénons notre enthousiasme, on a juste envie de tout goûter. Nous sélectionnons les deux grands classiques, la fleur Red Power (base de financier, mousse de litchi et framboise) et la Religieuse au caramel salé, si appétissante que je croque voracement dans son chapeau, en oubliant les couverts. Aucun regard réprobateur, ça doit se faire, même au Plaza. Pas de déception, les goûts sont nets, les textures bien travaillées, c’est gourmand à souhait, aussi beau dans l’assiette que savoureux en bouche.

Oui mais voilà, un modeste gâteau ne saurait rassasier son monde, un deuxième round s’impose. Le Mille-feuille à la coupe étant célèbre, aussi bien pour sa présentation sur la tranche que pour la légèreté de sa crème, il sera de la partie. Un kouign-amann (en fait deux !!) viendra mettre fin à ce goûter. Ces deux gâteaux sont servis beaucoup plus généreusement que les pâtisseries individuelles, et je dois l’admettre, j’ai calé. Ce Mille-feuille est à la hauteur de sa légende, même si j’apprécie aussi la version classique avec une bête crème pâtissière.

Ce qu’il y a d’appréciable dans un palace qui s’ouvre à la plèbe,  c’est que les va-nu-pieds sont traités avec les mêmes égards que les possesseurs de Weston. Malgré le nombre de gourmands qui se pressaient à l’entrée de la galerie, personne n’est venu nous déloger ou afficher un début de commencement d’exaspération. Il est impossible de réserver sa table à l’heure sucrée. Arrivez avant 16h30,  roulez-vous dans le luxe et mordez sans remords dans les rondeurs dodues d’une pâtisserie de haute volée.

 

Red Power

D3-Millefeuille

 

1 janvier 2012

Richard Yates, le chantre des ratés

richardyatesOnze histoires de solitude (Eleven Kinds of Loneliness)
Un été à Cold Spring (Cold Spring Harbor)
La fenêtre panoramique (Revolutionary Road)
Easter Parade

Éditions Robert Laffont

Si vous avez vu l’excellent film de Sam Mendes, Les noces rebelles, adapté du livre Revolutionary Road, avec Kate Winsley et Leonardo DiCaprio, le nom de Richard Yates,  romancier américain mort en 1992, vous dit vaguement quelque chose. La classe moyenne américaine de Pearl Harbor et de l’après-guerre, les rêves de jeunesse, leur évanouissement dans les réalités implacables et matérielles  de l’âge adulte, la renonciation à ses ambitions et la vie insignifiante qu’il va falloir supporter, tels sont les fils rouges de son œuvre qui ont fait de lui un chroniqueur hors pair de ses contemporains. Tombé dans un oubli total, alors que reconnu par d’immenses écrivains, de Tennessee Williams à Joyce Carol Oates, Richard Yates creuse toujours plus profond le sillon du fiasco navrant des échecs annoncés, contemplant sans relâche cette génération perdue, qui enfantera les rebelles des années 70. Considéré par la critique et les lecteurs des années 80 comme dépassé et un brin obsolète, Yates tourne le dos  à son époque et reste collé à celle qui a fait de lui ce qu’il est, un écrivain mal aimé, alcoolique, dépressif et solitaire, fracassé par une famille décomposée et une mère chancelante.

Richard Yates observe la vie quotidienne des petites gens, la matière complexe et hétéroclite des familles, la difficulté d’être soi parmi les siens, les incompréhensions, les silences et l’extrême solitude de chaque être humain. Il dissèque avec minutie un monde clos, étouffant, où ses personnages se débattent, pris au piège de leurs ambitions trop vagues mais si faibles pour s’échapper. Le trait n’est jamais lourd, ou ironique, ou méchant. Richard Yates développe une empathie, une tendresse pour ses individus très moyens, qui vivent les uns à côté des autres, dans des mondes parallèles qui ne peuvent converger : lorsqu’ils se croisent à l'heure du dîner, le silence pèse, bas et lourd, dissipé par les feuilletons radiophoniques, qui évitent les confrontations brutales et les règlements de compte violents.

Les hommes échouent ou préfèrent ne rien voir, les femmes fuient, dans la neurasthénie, la maternité ou la boisson, les adolescents perçoivent les mensonges et l’insoutenable isolement des adultes, dont les grandes espérances sont avalées dès la fin du lycée. La chute est extrême entre les rêves de réussite et la réalité sordide du quotidien de l’usine pour nourrir les enfants nés trop tôt. Alors, on comble le désenchantement par des relectures incessantes d’événements sans intérêt qui deviennent exceptionnels, à grand renfort de superlatifs, de surenchère qualificative. Après tout, comment supporter ce vide, ces déceptions, cette certitude qu’il est déjà trop tard et que la vie est passée à côté en nous oubliant, si ce n’est dans cette réécriture du réel ?

Richard Yates regarde ce monde déçu qui n’a pas encore le courage de tout envoyer valdinguer : il y a en fait très peu de violence physique entre les personnages, qui corsettent leur ressentiment pour ne pas blesser les autres. Car tous pressentent qu’une fois la ligne franchie, il sera impossible de revenir en arrière. Alors, on s’accommode tant bien que mal, on meuble, on passe l’éponge et on attend on ne sait plus très bien quoi, dans la tristesse et l’ennui.

 

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