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Le Présent Défini
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30 novembre 2012

Berlin - Postdamer Platz, das Brandenburger Tor und der Reichstag, karambolage émotionnel !

Les trois lieux emblématiques de Berlin se rencontrent dans la foulée, sur la Ebertstraße, en remontant vers le Nord, à partir de la station Postdamer Platz. La sortie du métro qui vous projette au cœur du renouveau urbain de Berlin, ultramoderne, planté de hauts buildings, de tours de verre et d’acier, secoue, surtout de nuit. Je suis restée plantée là, tournant au ralenti, le palpitant sur pause, éberluée par le gigantisme, la débauche de lumière, la métamorphose d’un lieu qui habite mon univers perso depuis plus 20 ans. Pour un peu, je me serais laissée choir par terre, toute perturbée et disloquée que j’étais, le temps de me remettre en phase avec le bon siècle.

Parce qu’en ce qui me concerne, Postdamer Platz, c’est ça,

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mais certainement pas ça.

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Oui, je sais, blablabla, on ne laisse pas un terrain vague, une friche, un « middle of nowhere » au sein d’une capitale européenne en pleine mutation, une ville doit se reconstruire, gommer ses cicatrices les plus béantes pour se mettre en marche vers l’avant. Tout à fait. Mais était-on obligé de faire un grand bazar aussi laid, un Manhattan artificiel, une protubérance aussi disgracieuse que disproportionnée, factice, tendance un jour, donc dépassée demain, dans une ville où les immeubles historiques ne dépassent pas six étages ?  Tout est évidemment affaire de gros sous, de rentabilité au mètre carré, de retour rapide sur investissement, Daimler mit sur la table 1,5 milliard d’euros, s’offrit monsieur Centre Pompidou, Renzo Piano, pour sa tour, Sony conçut son siège comme un vaste atrium transparent surmonté d’un toit de verre sur cercle d’acier, les bureaux poussèrent comme des champignons tchernobilisés, Le Ritz-Carlton accueille les hommes d’affaires, les larges avenues charrient les Mercedes et les Audi, tout va très bien, merci. Nous, on a fui.

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Juste un détail, au sein du Sony Center, se cache un musée du cinéma allemand très bien conçu (Filmmuseum Berlin), où, dans une remarquable scénographie, on retrace l’évolution du 7ème art ; les salles les plus passionnantes sont consacrées au muet, à l’Expressionnisme (Wiene, Lang, Murnau, Wegener…) ainsi qu’aux années sombres avec Leni Riefenstahl, les films de propagande, Veit Harlan et consorts, dans une salle cafardeuse et bouchée, murées de tiroirs secrets qui renferment l’indicible.

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En allant au Reichstag, siège du Bundestag, on passe derrière la Porte de Brandebourg, qui se trouvait, lors de la partition de la ville, pile au milieu du No Man’s land : discours de Kennedy en 63, images d’un mur débordé en 89, on ne se lasse pas de passer encore et encore au travers de ses piliers, de la regarder fièrement plantée comme symbole de la réunification, surmontée du fameux quadrige de la Victoire.

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Est-il nécessaire de rendre visite au Parlement - quand on parle du Reichstag, on pense à 1933 et on débande illico ou à ce drapeau soviétique qui flottait sur les ruines en mai 1945 - ? Il draine désormais une foule de visiteurs depuis l’installation d’une coupole de verre,  un dôme intégré à son architecture XIXème, comme le Louvre avec sa pyramide. De nuit, oui. Les billets se réservent à l’avance sur le net et la vue qui domine tout Berlin éclairé vaut le déplacement. De jour, je suis plus dubitative.

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En retournant au métro, nous remarquons une série de croix blanches, des noms, des dates…des héros fauchés par les Vopos en tentant de franchir le Mur. Le travail de mémoire de Berlin ne cessera de nous étonner durant tout le séjour.

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27 novembre 2012

Berlin - critique de la raison pratique

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On ne le martèlera jamais assez, Berlin, c’est grand. Nous avons du élaguer à la serpe le programme ébauché avant le départ, laissant pour un prochain voyage toute la partie ouest (Charlottenburg, Tiergarten, Schöneberg), Postdam et le Sans-Souci, et les quartiers plus excentrés. Il est donc important de trouver un nid placé pas trop loin des lieux qui mettent en marche votre imaginaire. En ce qui nous concerne, nous avons opté pour Prenzlauerberg, ancien quartier de Berlin-Est, rénové (mais pas trop), tendance (juste ce qu’il faut), chaleureux et accueillant, dynamique et très tard éveillé la nuit.

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Le Routard conseille dûment l’hôtel Kastanienhof (classique, bien situé, une salve de bons points pour le personnel qui se met en quatre pour la réussite de votre séjour et qui adore partager les expériences des visiteurs : écoutez-les raconter leurs souvenirs d’avant novembre 1989, ce qu’était leur vie quotidienne à l’Est, c’est à la fois passionnant et poignant). Le quartier regorge de petits cafés sympas, de restos cosy et simples, de loueurs de vélos pour vos balades, de lieux culturels : de nombreux bâtiments industriels, des fabriques, des imprimeries, sont transformés en ateliers, cinés, salle de concerts, foyers d’artistes. L’architecture du lieu est toujours respectée, mise en valeur mais dédiée désormais à une production moins matérialiste et standardisée.

Une visite à la Kulturbrauerei (ancienne brasserie devenu centre culturel) s’impose pour prendre le pouls rapide de Prenzlauerberg. On trouve aussi les programmes des bons plans musicaux, manifs, débats politiques, au café collectif Morgenrot, pas loin de l’hôtel, à côté d’une librairie anar. Café un peu militant, très végétarien, à l’ambiance conviviale et apaisante, zen attitude, éclairage doux à la bougie, vieilles tables en bois de récup, les règles de bonne conduite sont clairement affichées au-dessus du bar (excellentes bières bios, d’ailleurs, tout comme les muffins du jour et les gâteaux à la noisette) : ici, pas de propos sexistes, homophobes ou xénophobes, sinon, c’est la porte.

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On retrouve cette atmosphère intime et sereine dans les petits restos (les chandelles, c’est bien, mais on s’arrache les yeux à déchiffrer les cartes en allemand). Il y a les valeurs sûres des guides : Metzer Eck, pour les audacieux qui iront se perdre dans la plus vieille auberge de Prenzlauerberg, certifiée conforme depuis 1913, plats exclusivement « germaniques », currywurst, escalope viennoise, soupe de pois, boulettes de viande, harengs, porc fumé… toujours garnis de pommes de terre/kartoffeln, of course. Quand il fait 2°, que le vent souffle et que vous avez marché toute la journée, ce genre de plat bien roboratif ne fait plus peur. Le lieu vaut surtout pour son ambiance, ses tables d’habitués, les petites salles en bois, avec poêle prussien, ses pintes de bière bien garnies et sa belle humeur.

Restauration 1900 est aussi recommandable, si vous cherchez un endroit moins brut de décoffrage : cuisine plus fine, plats locaux revus, travaillés et allégés, mais service épouvantablement lent…  

Faites surtout confiance à votre flair, fermez vos guides, regardez les devantures, si les salles sont pleines de Berlinois à 22h et poussez les portes de lieux dont vous ignorez tout. Comme cette Osteria Fiorello, qui sentait la truffe, ou laissez-vous guider par les locaux, qui seront toujours de bons conseils : totalement perdus à 22h30 dans des rues mal éclairées, courant après un resto du Routard que nous étions incapables de localiser, deux étudiants bienveillants nous ont indiqué leur « cantine » du coin (un ami doux qui parle allemand, ça facilite les contacts), une épicerie italienne dotée de quelques tables pour goûter les pâtes du jour maison, accompagnées d’un Greco di Tufo à tomber. Je serai incapable de retrouver cet endroit dans ce dédale de ruelles mais parfois, le hasard fait bien les choses !

 

26 novembre 2012

Berlin, ville Histoire, ville Culture - prologue

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Ça devait être Athènes (avion trop cher), puis Rome (hôtel trop cher), enfin Roscoff... et  les prévisions météo, batraciennes en diable, tout juste bonnes pour les limaces, nous ont mis le projet en vrac, mode panique, 72h avant le départ. On écoute alors les bons plans des potes (merci Étienne !) et on file tout droit retrouver les anges de Wim Wenders, Postdamer Platz, les images oniriques qu’on a pu se créer, les battements d’ailes en noir et blanc, les terrains vagues où monologuent les poètes, une ville saignée en deux, qu’on imagine encore en douleur. Et là, on peut assurément parler d’une grande percussion, d’une remise à l’heure des pendules, d’un ricochet qui balaie les chromos, les épreuves sépia, les planches contact d’un autre âge, aujourd’hui révolues.

Contrairement à de nombreuses villes européennes, bien endormies ou en coma déjà dépassé, Berlin vous empoigne dans son énergie musclée, vous pousse dans le dos, vous entraîne dans une ronde étourdissante, vous brasse comme une essoreuse sous amphétamines. D’où vient ce mélange prodigieux d’activités, cette idée que tout est encore possible, cet enthousiasme, ce creuset de tendances, cette joie de vivre, cette tolérance à toutes les minorités qui enrichissent sans jamais cliver ? De leur passé brun/rouge accablant, les Berlinois ont gardé mémoire et l’assument sans ambigüité, comme s’il s’agissait du meilleur repoussoir à la bêtise, au renoncement, à l’abattement généralisé. Quand on a survécu aux totalitarismes de tout poil, qu’il fait bon créer, bouillonner, imaginer, accueillir, devenir le fer de lance des artistes, des alternatifs, des « décroissants » et autres cervelles originales et barrées.

Territoire à part, enclave culturelle, capitale économiquement encore très abordable, Berlin surprend d’abord par son étendue, ses flancs larges (neuf fois Paris), ses vastes espaces de nature, son assemblage bigarré d’architectures, cette rencontre improbable de deux idéologies contraires qui ont marqué les quartiers au burin, offrant toujours des ambiances, des atmosphères, des respirations contrastées, toutefois unies dans une même vitalité. Une semaine est bien trop courte pour répondre à toutes les sollicitations de Berlin : tant de musées, de quartiers, d’histoires, de gens à croiser, tant de choses à apprendre, à découvrir, à partager, et il faut déjà rentrer, laissant Berlin dans sa marche en avant. Selon les imaginations, les attentes, les parcours, les générations, la ville peut être appréhendée de moult façons : pour nous, les cicatrices laissées par le régime de la RDA, les quartiers Est, les traces matérielles d’un passé encore si récent, les vestiges d’une époque liberticide ont été les marqueurs les plus forts, les plus émouvants, j’y reviendrai dans un autre post. Mais libre aux plus jeunes qui n’ont jamais entendu parler d’Honecker et de Brejnev de privilégier le Berlin des musées (180 au total), du design et des galeries d’art, des concerts électro et techno, des buildings de verre et d’acier.

Il suffit d’enfourcher un vélo, d’arpenter le nez en l’air et les yeux grands ouverts les larges espaces d’une ville qui vous adopte rapidement, de pousser des portes, d’entrer dans des arrière-cours, de se montrer curieux et réceptif pour se sentir en harmonie, et un peu Berliner…

 

12 novembre 2012

Pourquoi y a-t’il rien plutôt que quelque chose ?

9782330012595Le sermon sur la chute de Rome, roman de Jérôme Ferrari, Prix Goncourt 2012

Éditions Actes Sud

Fallait bien qu’un livre de cette rentrée littéraire, cru 2012, me tombât des mains… j’ai laissé choir l’opus à trois reprises avant d’en venir laborieusement à bout, flottant dans une léthargie narcotique, assommée par la vacuité du propos et la fadaise de l’histoire. Vous me direz que la presse a barytonné des louanges extasiées et que, place Gaillon, les jurés l’ont convié au Drouant la semaine dernière, pour leur fameux déjeuner de couronnement annuel.

Les livres promis aux hautes récompenses d’automne arrivent durant l’été chez les journaleux qui s’ennuient au Cap-Ferret ou dans le Lubéron*. La livraison arrivée, on trie selon les quatrièmes de couverture lues en diagonale. Et cette année, miracle, un livre a semblé plus ingénieux que les autres, certainement bien profond et joliment spirituel, car écrit sous l’autorité de Saint Augustin et de Leibniz : ça donne envie, hein ? Alors, évidemment, pour ne pas passer pour un cornichon illettré, on s’y accroche comme la bernique sur le brisant et on bêle au prodige, allant jusqu’à comparer son auteur à Bernanos…

Jérôme Ferrari nous narre une saga familiale sur trois générations (en seulement 200 pages… on ne risque pas de s’attacher aux différents personnages), traversée d’une même fatalité, celle de l’échec, de la désillusion, de la chute inexorable car « ce que l’homme fait, l’homme le détruit » et « Dieu n’a fait pour lui qu’un monde périssable ». Pourtant, le roman s’ouvre sur le seul personnage prenant, le patriarche Marcel, né après la Grande Guerre, gangrené de maladies, passé maître dans l’art des fiascos, putréfié sous le soleil des colonies qui se décomposent en même temps que lui, acrimonieux et morbide depuis que la faucheuse lui a ravi le seul amour de sa vie, cet homme symbolise la « Chute » à lui tout seul, d’autant plus belle quand on peut y entraîner les siens. C’est lui qui financera le projet de bistrotier de son petit fils Matthieu, qui abandonne ses études de philosophie pour servir des pastis à de piteux chasseurs, dans le bar du village, berceau de la tribu : il met en marche la nouvelle calamité familiale, se gondolant d’avance de la culbute du jeune homme, qui aura effectivement bien lieu. Chaque époque de l’intrigue se distingue par un niveau de langue différent et il faudrait être bien scélérat pour ne pas souligner la beauté des longues phrases sinueuses quand Ferrari écrit sur le vieil homme : elles se déploient, s’étirent, se tendent, sans que la lecture n’en devienne pénible, jamais ballonnées ou mijaurées, toujours fluides, seyantes, souvent acides ou ironiques au point final.

On se dit alors que Jérôme Ferrari serait l’auteur d’une grand livre s’il était resté sur les basques du très périmé mais fascinant Marcel. Mais il préfère affaiblir sa langue en changeant d’époque, s’appesantir sur les propriétaires successifs ineptes du bar et sur la débâcle annoncée « par une nuit de pillage et de sang ». La lecture devient inconfortable et pénible car on distingue un peu trop les coutures lâches, le rapiéçage, les astuces et la construction bancale : les personnages contemporains sont caricaturaux (le candide, le blasé, le sauvage, le cruel, la Sainte…), sans vraiment d’épaisseur, souvent bâclés et d’un seul tenant, comme la sœur de Matthieu, qui ne traverse le livre que pour incarner lourdement la notion phare de Saint Augustin, de libero arbitrio. Plaquer gauchement des notions philosophiques, un vocabulaire mystico doloriste, osciller pesamment entre la bêtise et l’intelligence, le bien et le mal, débiter des sentences  pompeuses à défaut d’être fines, lasse rapidement. Il ne suffit pas de transposer ses cours de philosophie dans un débit de boissons contemporain pour faire un grand livre. Visiblement, rappeler le fatalisme catégorique de Saint Augustin dans une parabole pourtant médiocre, à l’heure où notre société semble, elle aussi, mal en point, plaît. Heureusement, « Dieu a-t-Il jamais promis que le monde serait éternel… ».

 

* vivre avec un critique, ça aide pour connaître l'envers du décor... :-)

2 novembre 2012

Khaos, les visages humains de la crise grecque…. le degré zéro de l’analyse.

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J’ai un souci avec ce documentaire. J’ai longtemps attendu de faire ce post, prenant la température, écoutant les spectateurs à la sortie, questionnant autour de moi ceux qui vivent depuis 20 ans entre Athènes et Paris et dont les avis, argumentés et réfléchis me semblaient nécessaires pour ratifier ou invalider mes impressions.

Khaos, est un reportage d’une heure et demie, réalisé par la franco-roumaine Ana Dumitrescu, lors de trois voyages en Grèce, effectués entre janvier et mai 2012. Á Athènes, en Thessalie, sur l’île de Kéa, elle recueille la parole des laissés pour compte de la crise économique, sociale et politique, qui vivent au quotidien les décisions insensées et contreproductives de la Troïka (FMI, BCE et UE) : paupérisation extrême, désespoir profond, avenir condamné. Les sacrifices démesurés imposés au peuple par ces créanciers, les purges budgétaires, la dérèglementation du travail, la perte de souveraineté, l’effondrement de la demande intérieure dû au chômage record, plongent le peuple dans un temps de désolation, de misère et de dépression. Ana Dumitrescu saisit avec sa camera les histoires, le quotidien des Grecs qui ont vu leur monde s’écrouler en quelques années.

La démarche est bien évidemment louable. Même si les gens qui aiment ce pays vont régulièrement y prendre eux-mêmes la température, savent aller chercher l’information et suivent très régulièrement grâce au Net, aux blogs des expats, aux sites économiques et aux journaux (comme Courrier International, Le Monde Diplo…) l’évolution de la crise, il est toujours plus percutant de donner des visages et une voix à la souffrance, pour marquer les esprits, diffuser large et éveiller les consciences. Est-ce cependant suffisant ?

Comme la réalisatrice n’est pas grecque, qu’elle est en fait restée très peu de temps sur place et qu’il lui fallait un passeur pour appréhender le pays et les gens, elle s’est associée au blogueur grec Panagiotis Grigoriou, qui intervient dans ce « road-movie » pour faire le lien entre les témoignages. Mais quand on se présente comme une journaliste, cela implique OBLIGATOIREMENT des responsabilités, un point de vue, une mise en perspective. Il ne suffit pas d’aligner 90 minutes de trop courts entretiens, morcelés, mal montés, pour donner du sens. Or, Khaos n’est qu’un constat passif et hélas bâclé, certes humainement déchirant, qui se disperse sans fil directeur, à en devenir presque anecdotique. Comment peut-on parler de la crise grecque en passant sous silence le rôle de l’église orthodoxe ? Ana Dumitrescu se contente de 25 secondes avec un pope, qui annonce froidement que tant qu’on a Dieu dans son cœur, tout va bien (à peu de choses près). Cette séquence n’aurait de signification que si on la mettait en parallèle avec le statut du clergé grec qu’il faut rappeler, ses prérogatives et ses passe-droits, les récents scandales de corruption. Et, ici, rien de tout cela, hop, on passe vite à un autre portrait.

On entend presque tous les intervenants tenir des propos évidemment très critiques vis-à-vis de la classe politique et des élus. On se dit qu’on se rapproche alors du cœur du problème et que Dumitrescu va faire son boulot d’approfondissement en insistant sur cette relation ou plutôt non relation, que les Grecs entretiennent avec leurs représentants, cette défiance s’expliquant en partie par leur histoire *. Dans le supplément livres de Libération, Vassilis Alexakis demande d’ailleurs qu’on appréhende la crise de son pays avec une lecture philosophique, et non comptable, et que le mode de vie consumériste de l’Europe ne pouvait pas fonctionner en Grèce, au regard de ce qu’elle est, foncièrement. Mais Dumitrescu préfère enchaîner les « micro-trottoirs » décousus plutôt que de creuser sur ce qui a façonné la Grèce d’aujourd’hui et a engendré « l’homo hellenicus » du XXIème siècle.

Aligner à l’écran une tentative de suicide en direct, le dénuement extrême, le désespoir profond, la faim, les larmes, la tentation de l’exil, la montée des fachos, me gêne, quand ces images ne sont pas éclairées par le recul et la réflexion. Les images « chocs », données brut de décoffrage dans leur crudité « morbide » n’ont jamais changé le monde. Elles permettent juste à leur auteur de se faire remarquer. Cette vision très parcellaire de la crise grecque ne peut à mon avis pas fonctionner seule du tout, si on souhaite toucher le spectateur au-delà de l’épiderme, de son empathie première et le faire s'interroger. Jouer uniquement sur l’émotion ou la colère, donner la parole à l’indéboulonnable Manolis Glezos, qui vous explique la crise en trois points à grand coup de « ya ka, fo kon », c’est refuser de se poser des questions sans doute moins confortables, de dépasser les lieux communs rassurants, les théories de complot organisé qui dédouane des responsabilités. Et c’est aussi fermer la porte à toute sortie de crise.

En sortant du film, j’ai entendu la remarque d’une spectatrice qui n’avait pas adhéré non plus aux choix de la réalisatrice : « Il sert à quoi son film ? On le sait que les Grecs crèvent à petit feu, mais on ne sait toujours pas, pourquoi ! ». Tout est dit.

 

* Quatre siècles d’occupation turque, mise en place à la tête du jeune état indépendant d’hommes de paille des grandes puissances (un Russe, un Bavarois, un Danois), la déroute en Asie Mineure, main mise des États-Unis sur le pays après la guerre, régime des Colonels et enfin la tentation européenne avec le résultat que l’on connaît

 

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