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Le Présent Défini
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31 décembre 2013

Montjoie Saint Denis !

Demandez à un parisien de passer le périph’ pour une expo ou un resto et il vous répondra à coup sûr : « heu, faut mon passeport ou ma carte d’identité suffit ? », « je ne sais pas si mes vaccins sont à jour », « tu crois que c’est christianisé, ces contrées-là »… oui la superbe du Lutécien est incommensurable ! Et pourtant, on découvre de bien belles choses, au-delà des portes de la capitale. Les visiteurs étrangers semblent beaucoup moins étroits du bulbe car on croise plus d’Anglais, d’Espagnols et de Russes que de porteurs de passe navigo deux zones, à la station de la ligne 13 « basilique de Saint-Denis ».

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Et c’est fort fâcheux. Car quel concentré d’extrait de jus serré d’histoire vous saute au visage sous les hauteurs des voûtes ! Que l’on soit de la génération Rois Maudits ou Game of Thrones, impossible de ne pas basculer dans un autre espace-temps, sitôt la lourde porte refermée. Parce que l’on n’entre pas seulement dans une basilique cathédrale gothique qui en impose, mais dans le sanctuaire de six dynasties royales : si l’on est sacré à Reims, on repose à Saint-Denis pour l’éternité, sous la protection d’un martyr décapité pour sa foi au IIIe siècle. Simple tombe, puis mausolée, antique basilique primitive, monastère, abbatiale carolingienne, elle devient au XIIe grâce à Suger une basilique gothique dressée vers le ciel, dont les souverains lèvent l’oriflamme sacré en temps de guerre. Saint Louis parachèvera la transformation du bâtiment en gothique rayonnant, lors de travaux dantesques et dispendieux, le rendant digne d’une nécropole royale.

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On peut être républicain convaincu et toutefois ému de déambuler entre les gisants, les urnes funéraires, les tombeaux, les orants de ceux qui ont rempli nos livres d’histoire : ils sont tous là, les bons comme les fielleux, les justes comme les scélérats, les grands hommes comme les déficients. On salue Louis XII et Anne de Bretagne, François Ier, Henri II et Catherine de Médicis, on pense à Jacques de Molay en croisant Philippe le Bel et le Hutin, on est déçu de rencontrer Robert II d’Artois et non son petit-fils, l’écarlate Robert III, on tourne, on vire pour rendre visite à Louis XIV… en vain. Comme Henri IV, Louis XIII, Marie de Médicis, Anne d’Autriche, sa dépouille est passée par la fureur révolutionnaire et a fini de pourrir dans une fosse commune. 

Les gisants sont en pierre calcaire, en bois recouvert de cuivre émaillé, en marbre blanc ou noir, tels des corps pétrifiés, muets et froids. Les pieds posés sur un chien, pour les femmes, sur un lion, pour les hommes, en armure ou en simple tunique, le front ceint de leur couronne, ces rois et ces reines ont un visage pour l’éternité, souvent très fin, un peu idéalisé sans doute, mais souvent empreint de quiétude et de douceur. Si les imposants tombeaux à baldaquin, réservés à Louis XII, François Ier et Henri II, très ostentatoires, plus m’as-tu-vu que majestueux m’ont laissée indifférente, la simplicité des statues étendues, la délicatesse de leurs traits, les drapés des vêtements, cette beauté presque dépouillée et ce contact proche, direct, abrupt avec notre histoire m’ont touchée bien plus que je ne l’eûs pensé...

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Gisant2

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21 décembre 2013

Mystic Horror... Harry Crews

LFASLa foire aux serpents (A Feast of Snakes), roman de Harry Crews

Éditions Gallimard, 1994

 

Un premier roman qui met la tête à l’envers et l’estomac en ratatouille ne se pointe pas venu de nulle part. Sans écrire nécessairement dans la plume d’un autre, des filiations, des parentés semblent parfois évidentes entre plusieurs auteurs ; Le Diable, tout le temps de Pollock pourrait ainsi être le rejeton de Flannery O’Connor et d’Harry Crews, un concentré de cette littérature rurale, âpre et féroce, qui vous colle la chair de poule. D’autant plus que ces deux géniteurs putatifs ont eu l’idée de naître en Géorgie, champ de « rednecks » mal équarris, prolifique terrain de tordus de tous poils.

La trombine de Crews (1935-2012) vous fiche déjà un peu les jetons, genre dur-à-cuire à qui la vie n’a pas fait de cadeau, entre le biker atrabilaire et l’échappé de Sing Sing. Un homme en fait cabossé, confronté très tôt à la brutalité, passé par l’uniforme des Marines, routard à ses heures, pour se ranger enfin comme professeur d’anglais. Ce type-là n’écrit pas des romans, il régurgite du vécu, du Sud certifié pur sucre, des tranches de vie imbibées de gnôle, passées au bleu ecchymose. Plus nerveux, plus sec que Pollock, il ne se donne aucune limite dans la chronique des trous perdus, de leurs bouseux affreux, sales et méchants. Et il l’a beaucoup pratiqué, ce ramassis de cul-terreux fauchés comme leur blé, à l’accent « corsé comme de la semoule de maïs ». Alors, lorsqu’il nous emmène à Mystic, pour la foire aux crotales, on se dit que la fête va très mal tourner. Ce bled est une image d’Épinal à lui tout seul, avec son équipe de foot, son quaterback vedette, son coach bedonnant, sa fanfare et ses pom-pom girls à la cuisse légère, son shérif libidineux, le trafic de whisky, les combats de pitbulls, les râteliers de flingues sur les pick-up. Tout ce petit monde adore le beau blond Joe Lon Mackey, ancien caïd des Crotales Fatals du lycée, laissé aux portes des équipes universitaires pour cause d’illettrisme. « On disait de lui que c’était le gars le plus courtois de tout le comté de Lebeau, même s’il était de notoriété publique qu’il avait commis quelques trucs assez moches ; comme la fois où il avait emmené un représentant de commerce jusqu’au ruisseau de July Creek et l’avait noyé ». L’amabilité amnistie le crime, à Mystic ! Mais Joe Lon n’est pas dans la réserve polie, c’est un taiseux, une brute, un cogneur, une grenaille dégoupillée qui menace d’exploser à tout moment. Une mère suicidaire, un père teigne et alcoolique, une sœur bonne à enfermer, ça vous colle aux chausses comme de la terre poisseuse dont on ne peut s’extirper. Et Joe Lon ne comprend pas pourquoi une autre vie est passée tout prêt sans le saisir, et qu’il reste en rade dans sa caravane, entre une épouse défraîchie qu’il tabasse et deux mioches qui braillent. Cette violence mal contenue ira crescendo jusqu’au point de non-retour, lors de cette fête annuelle aux serpents, bacchanale frénétique où tous les illuminés, les pervers, les cinglés des alentours s’abattent sur Mystic pour 48 heures de beuverie, de débauche, de sauvagerie bestiale : « y a du sang dans l’air. Je le sens. Je l’ai dans les naseaux, ce putain de sang dans l’air ».  L’hystérie collective répondra aux crimes du héros local devenu meurtrier de masse, comme expiatrice des vices de ce patelin que l’on purge de son chancre, la violence de la foule survoltée balayant celle de l’idole devenu le réprouvé.

Harry Crews décrit une certaine Amérique figée, bloquée par ses habitudes, un espace-temps comme isolé du reste du pays, qui cramponne les habitants à un mode de vie fruste, voire primitif : les générations passent et rien n’évolue dans ce vase clos. On tient le débit de boissons de père en fils, les capitaines de l’équipe de foot sortent rituellement avec les cheerleaders, les ados se défoncent aux mêmes médocs, les noirs sont toujours des déclassés… nous sommes en 1975, mais on se croirait dans les années cinquante. « Pour la première fois il savait et acceptait que demain serait pareil, demain et toujours. Pour certains individus, les choses changeaient. Mais pour d’autres, tout restait toujours pareil. » Ce statu quo permanent, cette mauvaise vie minable et interminable exacerbe les relations humaines, les rivalités, dans une compétition permanente pour exister. Mystic est un chaudron bouillant où les disputes conjugales, les raclées, les combats de chiens servent d’exutoire, avant que le dégoût de la vie emporte tout : hurler, cogner, picoler, ne servent plus à rien. Reflet de ces contrées de barbares détraqués, le plume acide de Crews colle aux névroses de ses personnages ; elle en devient parfois insupportable tant elle sonne juste de férocité et de violence gratuite. Il écrit comme ses personnages survivent, à l’instinct. L’unique scène « d’amour » du livre (8 pages) est un sommet de rage, d’insensibilité, mélange de mépris voulu et d’humiliation consentie, d’obscénité et de dégradation. C’est cru, brutal, physique. Dérangeant.

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13 décembre 2013

Expo Cocteau au Musée des Lettres et Manuscrits *

JC

Y’a comme un goût de trop peu au 222, boulevard Saint Germain. Que les acquisitions du Musée soient présentées au public est une très belle chose mais encore faut-il nourrir, étonner, désarçonner le visiteur, surtout lorsque un poète est à l’honneur, du genre à courir à contre-courant et à prendre les poncifs à rebrousse-poil. La plus belle exposition Cocteau reste, selon moi, celle organisée à Évian au printemps 2010, copieuse rétrospective de 450 œuvres, dans une mise en scène théâtrale très inspirée. Déambuler dans de petites alcôves tendues de rouge, s’immerger dans un univers singulier, ricocher de surprises en imprévus, était euphorisant.

Aujourd’hui, le banquet est plus frugal, voire frustrant. L’intitulé a d’ailleurs tout du lieu commun « Jean Cocteau le magnifique. Les miroirs d’un poète ».  Pour saluer un homme qui avait le don de la formule qui claque, on aurait pu se décrasser un peu les neurones. Les commissaires de l’exposition sont restés au milieu du gué, hésitant visiblement entre une présentation grand-public (scénographie chronologique, focus sur les grands classiques, cloisonnement des disciplines) et une volonté de mettre en valeur des inédits, des pièces rares et jamais exposées. Les néophytes passeront à côté des œuvres maîtresses, l’audace des dessins du Mystère de Jean l’Oiseleur ne leur sautera pas immédiatement au visage et le papier jauni des lettres à Jeannot Marais ne les tourneboulera pas outre-mesure, mais ils seront avant tout frustrés de voir résumer Cocteau à une vingtaine de pupitres qui n’éclairent en rien la complexité et les métamorphoses du poète. Les familiers de l’œuvre maugréeront devant les redites, les généralités, et les reconstitutions tape-à-l’œil, tout en se jetant fiévreusement sur les manuscrits autographes, les dessins inédits et les lettres originales avec une authentique émotion. Et il y a bien du sang neuf dans cette exposition réduite par la taille mais on se doute bien que le Musée a planqué d’autres trésors au profit de pièces inutiles et ressassées. Pourquoi mettre en valeur des affiches de films connues de tous quand on doit mettre genoux à terre pour boire des yeux des dessins jamais montrés ? Des poèmes à Marais, que nous récitions ados comme des talismans,  un seul et unique est exposé (quatre vers en tout)… quelle déception ! Il fallait un peu d’audace, de partialité pour n’exposer QUE du jamais vu et de l’exceptionnel, comme ces feuillets du manuscrit des Parents Terribles, où Cocteau oscille entre plusieurs titres, dessine les plans des décors et jette ses premières notes. Et comme il est impossible de tourner les pages du script de La Belle et la Bête, dont les quelques dessins originaux visibles m’ont mise en effervescence, on regrette que des copies des autres pages ne soient pas accessibles, au lieu de mobiliser un espace pour l’Eternel retour, qui est tout sauf un chef d’œuvre. A vouloir ratisser trop large, les choix du Musée chagrinent : je ne résiste pas d’ailleurs à recopier la phrase sidérante de Gérard Lhéritier, Président du Musée des Lettres et Manuscrits, dans le dossier de presse, qui en dit long : « Jean Cocteau demeure aujourd’hui une référence, une source d’inspiration inépuisable pour nombre de créateurs, de Jean-Luc Godard à Arielle Dombasle. » Je ne sais pas s’il faut en rire…

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* Jusqu'au 23 février 2014

 

8 décembre 2013

Une Traviata de travers à la Scala...

Mais c’est à désespérer ! Encore un magistral bouillon que cette Traviata montée à Milan pour l’ouverture de la saison à la Scala. Ou plutôt démontée, déformée, volontairement déséquilibrée, pour satisfaire les aspirations narcissiques d’un metteur en scène très perturbé : lire un livret, plonger dans la partition ? Non, Tcherniakov connaît seul la vérité révélée de l’œuvre et tant pis s’il enfile contresens, aberrations et inepties, en plaquant des choix toxiques sur l’œuvre de Verdi.

On ne fait pourtant pas plus simple, La Traviata est un mélodrame, porté par les airs les plus célèbres du répertoire lyrique. Passé au jus de crane gâté de Tcherniakov, on y retrouve plus ses petits. La jeune demi-mondaine fraîche, délicate et phtisique, devient une plantureuse catin de bas étage sur le retour, attifée comme une mémère, limite poissarde dans ses attitudes, la croupe trop large et le geste outré. Pas une once d’émotion, de raffinement, de grâce, mais des scènes sur-jouées et insensées (Violetta prend amicalement le thé avec Germont Père alors qu’elle accepte de se sacrifier pour l’honneur familial (sic), Alfredo passe ses nerfs en étalant de la pâte à tarte et en découpant furieusement céleris et carottes lorsqu’il comprend que sa belle est partie, Violetta finit alcoolique et camée au médocs, Alfredo vient la retrouver au III, raide et glacial, des fleurs et des pâtisseries à la main, comme en visite chez une vieille tante, alors qu’il va dire adieu à l’amour de sa jeunesse qui se meurt… Les exemples de distorsions entre la musique, le texte et la mise en scène sont pléthores). Le metteur en scène Tcherniakov serait parti du principe qu’Alfredo n’a jamais aimé Violetta. Mais de quel droit un tel postulat, puisqu’aux antipodes de la musique et de l’intrigue, méticuleusement piétinée ? Les trois actes sont esthétiquement laids, les déplacements frénétiques, les jeux de scènes saugrenus, voire incohérents et on se prend - quelle hérésie ! - à regarder sa montre. Car une Traviata sans sentiment, sans tension, sans drame, sans larme, c’est assommant. Le spectacle n’est pas décalé mais à côté.

Evidemment, les voix suivent le parti pris de Tcherniakov et Piotr Beczala a pris très cher hier soir, hué par une salle qui lui a fait injustement payer son Alfredo dédaigneux et réfrigérant. Oui, le manque de douceur, de sensibilité, de compassion était flagrant, oui, le II était plus braillé que chanté, mais la responsabilité ne lui incombe en aucun cas. Le baryton Lucic est efficace, droit dans ses bottes, bien dans son rôle, sans surprise.  Et puis il y a Diana Damrau… qui n’a plus l’âge* ni le physique du rôle, plus proche de celui d’une walkyrie. Surtout quand la voix aussi s’enlise dans des choix douteux. Violetta, c’est un subtil mélange de force et de fragilité, d’assurance et de fêlures, de maîtrise et d’abandon, ça ne doit jamais être une démonstration. Et Damrau oublie d’épouser tous les angles du personnage en chantant monocorde, bien campée sur ses cuisseaux. Comment peut-on interpréter « Dite alla giovine » sans provoquer un fleuve de larmes dans le public ? Même son « Addio del passato » m’a laissée de marbre. Émotionnellement, c’est le degré zéro, le néant, le vide. Alors la bronca lancée à plein poumon par une Scala vent debout lors des saluts, nous l’avons partagée ; les Italiens ne pouvaient se laisser prendre aux simagrées d’un metteur en scène arrogant, et ça, c’est rassurant. 

 * Oui, je persiste, il y a une date de péromption pour certains rôles... même pour Natalie Dessay en 2011...

PS : Dessay = 0, Damrau = 0, Delunsch, toujours loin devant...

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