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Le Présent Défini
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16 février 2014

I ♥ Martine*, au Musée en Herbe

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Les filles de ma génération (nées entre 1970 et 1980) suivaient dans leur lecture une immuable progression : Caroline et Martine, Fantômette, Le Club des Cinq et Alice. Impossible d’y couper, aussi inévitable que nos sous-pulls acryliques et les couleurs flashy de nos pantalons en velours côtelé ! Les photos de classe sont, à ce sujet, accablantes…

Martine fête cette année ses soixante printemps et le Musée en Herbe** propose une petite exposition pour les enfants (et pour ceux qui le sont restés) autour des albums. Beaucoup de petites filles accompagnées de leurs mamans (plus émotionnées que leur progéniture d’ailleurs pour cette parenthèse un brin nostalgique) déambulent dans les deux salles consacrées à l’héroïne belge. La première ravira les grands, puisqu’elle salue le travail des deux créateurs, l’illustrateur Marcel Marlier et le scénariste Gilbert Delahaye. Les dessins préparatoires aux albums sont les pièces maitresses de cette salle : Marcel Marlier dessinait plus de 600 esquisses par album pour ne garder que 18 dessins définitifs. Ces dessins au crayon levé sont presque plus vivants que leur version finale, écrasée par les aplats de couleurs.

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Dans la seconde salle, les albums sont présentés par thématique (Martine apprend, Martine et le sport, Martine et le voyage.) autour d’objets issus de l’univers un peu daté de la petite fille : paire de skis des années 50, bureau d’écolier, machine à laver à l’ancienne… les enfants sont invités dans une sorte de jeu de piste interactif avec un quizz, des puzzles, pour s’approprier une époque qui doit leur apparaître bien archaïque.

On suit ainsi, au long des dessins qui parsèment les murs, l’évolution de Martine à travers sa coupe de cheveux, ses vêtements, ses activités, mais aussi celle de toute une société qui n’a plus rien à voir avec celle de 1954. Même le style des dessins a bien changé entre le premier album Martine à la ferme et l’ultime Martine et le prince mystérieux, en 2010 : moins vif, moins « école belge », au profit d’un univers « évoquant la peinture romantique allemande », dixit l’éditeur Casterman. L’univers s’est peu à peu affadi, s’est « aquarellisé » à outrance et c’est bien regrettable.

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J’ai cherché un peu perfidement dans les dessins accrochés les fameuses petites culottes blanches que Marlier dessinait sans arrière-pensées, à un moment où toutes les gamines portaient de très courtes robes. Il a fallu attendre notre époque qui voit le mal partout pour rendre pervers ce qui était parfaitement innocent, et qui ne choquait ni les jeunes lectrices ni leurs parents. Le regard des pères-la-vertu est devenu bien vicieux… Alors Marlier rallonge les robes de Martine et ses cheveux par la même occasion (hé oui, Tomboy avant l’heure avec ses cheveux courts, à ses débuts, notre Martine !), et aseptise un univers qui n’a plus rien de réaliste.

Je reprochais d’ailleurs à Martine sa perfection, sa sagesse, son dévouement, son bon caractère, ses dons innombrables et son goût aberrant pour les tâches ménagères : nous nous sommes définitivement quittés avec la parution de Martine, petit rat de l’Opéra, les bornes étant pour moi dépassées. Je n’ai jamais compris l’engouement de certaines de mes camarades de l’école primaire pour les tutus roses et les pointes, les chignons et les rubans, tout ce qui me les faisait ranger dans la catégorie définitive des « pimbêches chichiteuses », alors que je trouvais formidable de jouer au foot, de rouler à fond sur mon vélo et d’escalader les arbres ; ça c’était le programme d’un mercredi réussi ! Alors j’ai délaissé Martine pour Caroline, l’autre héroïne beaucoup moins lisse, moins nunuche, affublée d’une salopette rouge, de couettes blondes et d’une bande d’animaux très dissipés dont deux impayables chats. Caroline est, elle aussi, sexagénaire : dommage qu’aucun musée ne s’en soit aperçu.

Caroline

 

* I ♥ Martine …je cherche toujours le pourquoi du choix d’un titre pareil….

**Le Musée en Herbe
21, rue Herold
75001 Paris

Jusqu’au 02 mars 2014

 

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14 février 2014

Nauplie sous la pluie - Nafplio sous la flotte

Deux heures trente de bus (au départ du terminal A – Kifissou) séparent Athènes de Nauplie. Si en nous levant, le ciel affichait pour la première fois plus de gris que de bleu, nous étions loin d’imaginer la quantité d’eau qui allait nous accompagner toute la journée en Argolide. Le soir, au retour, c’est Athènes qui s’imbibera sous la rincée et comme d’habitude, la pluie en Grèce fait rarement semblant. Nous prenons d’ordinaire le bus jusqu’à Patras pour gagner les îles ioniennes mais cette fois-ci, passé l’isthme de Corinthe qui fait toujours son petit effet, nous bifurquons sur la gauche vers Nauplie, via Argos. Visiblement, cette région est un vaste verger d’agrumes ; durant une bonne demi-heure, le bus traverse des orangeraies chargées de fruits bien mûrs (la récolte ne devait plus tarder)  - lorsque l’on voit cette profusion, on se demande pourquoi le prix du jus d’oranges frais est aussi cher…

Tous les Guides parlent de Nauplie avec un vibrato dans la plume : « plus jolie cité du Péloponnèse », « authentique carte postale », « ruelles chaudement colorées par le soleil couchant »… j’étais venue ici lors d’un voyage d’étudiants il y a, approximativement, environ, à peu près deux décennies, et force est de constater que mes souvenirs manquaient, malgré ces louanges extasiées, de netteté. C’est devant le musée du Komboloï que la lumière s’est rallumée, me renvoyant en effet à des déambulations folâtres sous le soleil, à une bruyante euphorie juvénile et à des dégustations de glaces : après les visites studieuses d’Épidaure et de Mycènes, musarder dans Nauplie nous avait ravigotés !

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L’intérêt de revenir à Nauplie en hiver, sous un ciel brouillé qui se répand abondamment en pluie continue, c’est que vous êtes quasi les seuls à déambuler. Passée l’heure de la sortie du lycée, 14h, les rues se vident, le silence s’installe, la ville se fige. Une brève accalmie nous a permis de passer le museau hors de la capuche pour goûter l’évidente beauté de Nauplie, mélange architectural harmonieux qui fait cohabiter des bâtiments d’époques et d’influences variées, sans discordances. Les Byzantins, les Francs, les Vénitiens (par deux fois), les Ottomans (par deux fois itou) mirent successivement la main sur la cité, carrefour commercial entre l’Orient et l’Occident, capitale du Péloponnèse puis brève capitale de la Grèce (1829 - 1834). L’ancienne mosquée côtoie l’arsenal vénitien, le Lion des Bavarois* cohabite avec celui de la Sérénissime, l’église catholique des Francs est bâtie sur l’emplacement d’une mosquée qui avait déjà pris la place d’un monastère vénitien… avec ses balcons, ses fontaines, ses ruelles étroites, ses façades aux couleurs chaudes, ses toits de tuiles, la ville basse possède une saveur et une douceur très italiennes. Mais le fort Bourtzi construit sur l’îlot en 1473 à l’entrée du port rappelle très vite que Nauplie tient une situation stratégique au fond du Golfe Argolique et que la ville est restée durant des siècles une citadelle, bien à l’abri de ses murs d’enceinte.

L’Akronauplie est la plus ancienne partie fortifiée de la ville, dès l’Antiquité jusqu’au XVe siècle, sur les hauteurs de la presqu’île : les Francs construisirent deux enceintes, séparant le centre militaire et les habitations des Francs, du quartier grec, qui bénéficiait déjà d’un rempart dès l’époque byzantine. En 1470, les Vénitiens qui se savaient sous la menace ottomane prolongèrent les fortifications et ajoutèrent au « Castello dei Franchi » et au « Castello dei Greci », une nouvelle enceinte plus à l’Est, le « Castello di Toro ». Enfin, en 1706, après la première parenthèse ottomane, les Vénitiens bâtirent en 1706 le dernier bastion, dit « Grimani », qui n’empêcha pas les Turques de reprendre la cité en 1815. On grimpe à l’Akronauplie facilement en suivant les escaliers qui partent de la ville basse. Il suffit ensuite de se balader sur les hauteurs des fortifications, austères, dépouillées, pour découvrir un panorama de toute beauté, même avec un ciel bouché. N’ayant plus un poil de sec, j’ai déclaré forfait devant le fort Palamède à la rectitude tout militaire, (857 marches à gravir sous le déluge, même un canard aurait décliné), déjà bien impressionnant vu de l’Akronauplie, tel un vaisseau fantôme de pierre se révélant fugitivement dans un brouillard dense. Construite entre 1711 et 1714, c’est la pièce maîtresse de la défense de la cité, composée de huit bastions que l’on atteint après un long escalier zigzagant.

Nauplie   Nauplie

Nous avons préféré nous mettre à l’abri et croquer des gâteaux aux amandes chez Glykos Peirasmos, tailler le bout de gras avec un traducteur grec quadrilingue qui nous alpaguera dans une ruelle, étonné de découvrir deux Français tout sourire malgré l’ambiance détrempée, et arpenter le quai avec le Bourtzi pour panorama, laiteux, embruiné, presque irréel, comme une Mer du nord au clair de lune sous le pinceau de Friedrich…

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* Othon de Bavière fut imposé comme souverain de la Grèce en 1833 par les puissances européennes, remplacé ensuite par un Danois en 1862…

 

5 février 2014

Sounion sous le soleil

L’Odyssée, chant III (Voyage de Télémaque à Pylos)

« Nous naviguions ensemble, au sortir des combats,
Quand, devant Sunium, le cap sacré d’Athènes,
Phœbe-Apollon tua de ses flèches sereines
Phrontin, fils d’Onétor, nocher de Ménélas. »

Un camp de base de plusieurs jours à Athènes permet non seulement de profiter des différentes facettes de la ville mais aussi de rayonner dans les îles saroniques, en Argolide ou en Attique. Lorsque l’on arrive de Paris avec les poumons bien encrassés, on a soif de grand air, d’embruns et de larges espaces dégagés. Surtout lorsque le ciel matinal s’est peinturluré de bleu outre-mer, à peine moucheté de cotons blancs. Rendre visite au temple de Poséidon, posé au bord d’une falaise de 80 mètres, sous un chaud soleil quasi-printanier, au bout du bout du monde, du cap, de la péninsule, était alors une évidence. Les lunettes de soleil n’étaient pas de trop, on se serait même tâté de ressortir la crème solaire – d’accord, j’exagère un brin, mais nous croiserons à plusieurs reprises, en longeant la mer avec le bus, des plages bien garnies et des baigneurs batifolant dans la grande bleue.

Pour vous rendre à Sounion en transport en commun, ne suivez pas les indications du Routard, il y a beaucoup moins compliqué : le bus orange KTEL passe aussi tout prêt de Syndagma, rue Filellinon, à droite de la place quand on regarde le Parlement. Douze euros soixante pour un trajet aller-retour, qui suit une côte trop bétonnée, peu engageante et monotone. Fort heureusement, Sounion bénéficie encore d’un environnement protégé, puisque classé parmi les dix parcs nationaux de Grèce. Aucune construction anarchique, pas de marchands du temple, le site n’est troublé que par des fouilles archéologiques.

Sounion

Que le dieu de la mer possède son temple là où une terre s’achève n’a rien d’étonnant : Zeus le lui aurait accordé pour calmer sa fureur d’avoir été recalé, comme protecteur d’Athènes, au profit d’Athéna. C’est aussi de ce promontoire que le roi Égée se serait jeté dans les flots par désespoir, croyant son fils Thésée occis par le Minotaure, en distinguant les voiles noires de son navire, que l’on avait oublié de remplacer au retour par des blanches.

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Mais plus qu’un simple temple, Sounion est depuis le VIIe siècle av. J.-C. un sanctuaire archaïque, un vaste site où deux cultes étaient rendus à deux endroits distants de 500 mètres : celui de Poséidon à l’aplomb de la mer, majestueux et imposant, et celui d’Athèna, modeste, sur une colline plus au nord et dont il ne reste que peu de vestiges. Les somptueux et imposants kouroi, que l’on peut admirer au Musée Archéologique d’Athènes, datent de cette époque (615-590 av. J.-C.) ; ils étaient au total dix sept, certains haut de trois mètres, dressés dans le téménos ; ces géants de marbre devaient faire un fameux effet aux marins qui doublaient le cap… Et c’est au début du Ve siècle av. J.-C. qu’un premier temple fut construit dans l’enceinte sacrée de Poséidon : il fut détruit par les Perses en 480, avant même l’achèvement de sa construction. Un second temple fut élevé sur le même plan, entre 450 et 440, dont il ne reste aujourd’hui qu’une sorte de carcasse dégraissée. En 412, les Athéniens bâtirent la forteresse de Sounion, qui encerclait largement tout le promontoire et le temple, pour protéger leurs navires transportant le blé des agressions spartiates. Le mur de la forteresse fut ensuite renforcé au IIIe siècle av. J.-C., avec un bastion et un double mur de fortification, au dessus de l’anse où mouillaient les bateaux. Á l’époque romaine, les temples de l’Attique sont abandonnés ou déplacés dans l’Agora d’Athènes. Le temple de Poséidon perd de sa superbe sous Auguste, et est totalement abandonné dès le IIe siècle ap. J.-C.

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Aujourd’hui, si les restes du mur de la forteresse sont bien visibles, on ne peut en dire autant des propylées et des deux portiques, que l’on devine plus qu’autre chose. Mais les vestiges très diminués du téménos sont de toute façon écrasés par la silhouette altière du temple, ces longues colonnes rendues encore plus hautes par l’effet d’optique (diamètre plus large à la base qu’au sommet). On se réjouit presque que le naos pointe aux abonnés absents et que la lumière puisse jouer sur toute la rondeur du marbre. Six colonnes au Nord, neuf au Sud, leurs architraves, deux pilastres, une unique colonne du pronaos… et c’est tout. Et cela suffit pour vous laisser tout ému devant cette succession de pleins, de vides, de courbes, de creux, telle une épure, une esquisse qui griffe le bleu du ciel d’un fin pinceau blanc. On se pose alors sous son ombre, les yeux portés vers le large, effleuré par la brise, bercé par la mélancolie d’un « culte déserté, d’un dieu négligé, immergé dans l’absence ».*

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* Jean Starobinski in L’invention de la liberté, 1964

 

Le Présent Défini
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