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Le Présent Défini
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25 janvier 2015

Athènes, la vie d'après... variations.

81Qzo7a3oiLEva (Ευα), roman d’Ersi Sotiropoulos

Stock, « La Cosmopolite », 2015

Traduction Michel Volkovitch

 

Ersi Sotiropoulos aime décidément les personnages bancals, mal arrimés à leur vie ; après la culbute d’un sous-secrétaire d’État dans la courte parenthèse prospère que furent les années 2000, la romancière nous colle aujourd’hui aux basques d’une héroïne à la dérive pendant une nuit de Noël, dans une Athènes que la crise économique vient d’harponner. Ce portrait de femme en extérieur peut dérouter à la première lecture si on le considère comme un roman contemporain ordinaire à l’intrigue rondement menée ; or, Ersi Sotiropoulos rédige comme un diesel, faisant encore une fois le choix d’une longue mise en place ronronnante, avant de laisser ses personnages partir enfin en roue libre. Pour faire simple, Eva tiendrait d’Antonioni, de Losey et de Panos Koutras.

Entre Eva et son mari Nikos, le silence, l’ennui, l’incommunicabilité, ont remplacé l’euphorie des débuts. Le couple d’artistes ratés (elle, dans la littérature, lui, dans le dessin) s’est délité mais joue les prolongations, englué dans les déceptions, les revers et les factures qu’ils peinent à régler. Une première gifle vient de désagréger le peu qu’il restait. Le livre s’ouvre sur ce qui deviendra leur dernière soirée en commun, une fête dans une boîte de nuit où s’exhibe le gratin culturel et politique d’Athènes, ramassis de « bouffons, de pseudo-intellos et de détraqués ». Le couple traverse la soirée en invisible, « personne n’est venu nous parler, tous ceux qui passaient à côté nous bousculaient et tournaient les talons sans s’excuser … Nikos absorbait cette indifférence, ce mépris, par tous les pores de la peau ». Tous les deux flirtent tristement avec d’autres perdants, durant cette notte frelatée où l’on comble le vide avec des illusions. L’irruption des premiers laissés-pour-compte de la crise, venus quémander travail et nourriture dans l’antre des nantis titubants et vaseux, précipite les fêtards dans la ville.

Commence alors l’errance d’Eva en solitaire dans la nuit glaciale, dans une Athènes déserte, comme filmée en noir et blanc. Passablement défoncée, Eva mélange réalité et hallucinations, et contemple dans les magasins crasseux d’Omonia « des bestioles à carapaces dorées… des insectes capables de diffuser une lumière d’une immuable intensité. Un halo l’enveloppait comme une auréole et les rayons aveuglants embrasaient le corps minuscule ». L’atmosphère vire à l’étrange, la ville devient ruine mortifère, linceul grisâtre où s’étendent les sans-logis. L’Athènes de carte postale est écartée au profit de sa face cachée, un décor hostile, usé, pourri, bas-fond sordide devenu repère de marginaux en tout genre. « La chaussée était crevassée, de grands trous béaient, remplis d’eau stagnante… les dalles semblaient avoir explosé, des pierres, des fils électriques et des tuyaux rouillés émergeaient à la surface du sol comme d’un ventre ouvert. Les pierres louchaient…chaque flaque emprisonnait un œil d’argent dans ses eaux troubles ». L’hôtel du Parthénon n’abrite plus qu’une faune hétéroclite de vieilles putes sur le retour, de camés, de mediums boiteuses et de pickpockets, comme exilés dans un no man’s land oublié, que les promoteurs laissent se gangréner pour mieux spéculer.

Mais, c’est ici qu’a lieu la collision frontale entre le monde réel et les visions extravagantes d’Eva, dans un temps suspendu où surgissent des personnages trop burlesques pour être réels : comme Alice suivrait son Lapin Blanc sans se poser de questions, Eva se met à la remorque de quatre individus aussi improbables que leurs noms, comme cette Moïra, dont la jarretière pend entre les genoux « parce qu’il faut qu’un truc cloche, sorte des clous. Sinon, la vie est insupportable ». Cette parenthèse chaleureuse permet à Eva de remonter le fil de son mal-être dans des monologues sans concession, jusqu’à l’élément déclencheur, un contact furtif avec un voleur à la tire pas très doué qui a su «rappeler d’autres gestes et frôlements que je m’étais moi-même interdits. Des gestes oubliés mais bien réels ». Le souvenir de sa voix  « suffisait à me réchauffer, répandant un souffle de liberté, un espoir ». La longue flânerie à travers les rues d’Athènes singulières n’est en fait qu’un voyage dans le psychisme d’une femme qui redécouvre au bout d’une nuit de divagations ce qu’elle est réellement, et la solitude de son existence qui lui a échappé. Évidemment, dans le petit matin neigeux qui la ramène chez elle, cette introspection nocturne laissera plus que des désillusions, Ersi Sotiropoulos maniant d’une plume acide l’ironie et le pessimisme.

 

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18 janvier 2015

Athènes, la vie d'avant...

41aGqBoPK-LDompter la bête (Δαμάζοντας το κτήνος), roman d’Ersi Sotiropoulos

Quidam Éditeur, 2011

Traduction Michel Volkovitch

 

Á trois milles kilomètres d’Athènes, bien audacieux celui qui espère vraiment comprendre ce qui se passe depuis six ans dans le berceau de la démocratie. On a beau y passer du temps, se vriller le cervelet sur les subtilités de la langue, laisser parler les Grecs que l’on croise en chemin, lire toute la glose journalistique, harceler de questions les amies expats’, peine perdue, on entend tout et son contraire, vérités, approximations, calomnie, mystifications… le plus simple était de demander à Ersi Sotiropoulos, née à Patras en 1953, de nous brosser le portrait d’une certaine société athénienne, celle au pouvoir au début des années 2000, avant le grand plongeon ; nul doute que la romancière connaisse son sujet de l’intérieur, on allait donc y voir un peu plus clair dans les faux-semblants.

Eh bien, on est servi. Le roman s'ouvre sur une peinture sarcastique des mœurs et coutumes des anciens opposants de gauche en exil durant la dictature, arrivés au pouvoir en cultivant des relations douteuses, totalement aveugles aux premiers symptômes du chancre qui gangrène toute la société ; corruption, paresse, cynisme, dépravation, irresponsabilité, le navire prend déjà l'eau pendant que la bourgeoisie abêtie de la banlieue chic du Nord d'Athènes danse avec insouciance et narcissisme sur le pont. La ploutocratie tient tous les pouvoirs en main, elle croit encore aux lendemains qui chantent à coup de pots de vins, de privilèges, forte d'une richesse à crédit qui semble couler à flot. Que cette prospérité aussi soudaine qu'inattendue soit déjà en sursis n'effleure pas grand monde. Aris Pavlopoulos est pourtant de ceux-là, d'une manière... indirecte. Sous-secrétaire d'État, puis simple conseiller d'un obscur ministre, clairement rétrogradé avant d'être remisé en "disponibilité", ce quinquagénaire libidineux, poète à ses heures, subit en une vingtaine de jours une dégringolade professionnelle, familiale et artistique. L'univers personnel d'Aris se délite en même temps que se referme la parenthèse frivole sur une crise du pouvoir toute proche. Il sait que cette vie facile et superficielle n'aura qu'un temps, car elle sonne faux. Son emploi est bidon, sa belle épouse italienne, anorexique et névrosée, son fils unique, retardé, sa mère, alcoolique et accro aux séries américaines, sa maîtresse, intéressée et un poil perverse. N'avait-il pas affublé son premier recueil de poèmes d'un titre prémonitoire, "Les Tambours de la Défaite"?

Il va suffire alors d'une simple question de sa mère sur un événement lointain de son adolescence pour que bascule cet équilibre précaire dans un désarroi existentiel. Comme ces lotophages qui consommaient les exquises fleurs de l'oubli, Aris a mis depuis longtemps sa mémoire en sommeil, s'est construit un passé pour supporter son présent boiteux. Mais que se passe t-il le jour où les souvenirs se réveillent et que l'on doit faire face à la vérité ?

Ce glissement subtil de la fresque sociale vers le roman d'introspection est la grande réussite du livre. À travers la chute d'Aris qui ne s'y retrouve plus dans une histoire déformée, c'est tout un pays qu'Ersi Sotiropoulos met face à son amnésie sélective. Ne plus savoir qui l'on est, d'où l'on vient, est un aller simple pour une déconfiture annoncée. Voire davantage. Aris s'imagine tenir comme il le peut sa vie en main alors qu'un concours de circonstances, de coïncidences rondement tissées par le Destin, l'amène en droite ligne vers le grand saut final.

Et, cerise sur le gâteau, la romancière fait de la ville d'Athènes un personnage à part entière, une entité fabuleuse, grouillante de vie, braillarde, paralysée par un trafic du diable mais inépuisable source de vitalité : Il aimait Athènes, une ville moche, plus moche de jour en jour... une ville pour les porcs, fantastique... elle avait, cette ville, une énergie incroyable. (p. 28). Les rues adjacentes étaient pleines de voitures qui se déversaient dans la voie principale. Où allaient-ils tous à trois heures de matin, joyeux et pomponnés, vitres baissées, musique à fond ? Grecs de merde. Il était plongé dans une mer de voitures qui klaxonnaient toutes ensemble. Dans des moments pareils elle lui plaisait, Athènes, il y avait là une intensité qui l'électrisait. Ville géniale. Il mit la main dehors et frappa la portière en cadence. (P. 174)

 

17 janvier 2015

Inauguration de la Philharmonie - "Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée"… fermée en l'occurrence, cher Musset !

L’État et la ville de Paris ont longtemps priorisé l’art lyrique au détriment de la musique symphonique : on chante à l’Opéra-Comique, à Garnier, à la Bastille, au Châtelet, au théâtre des Champs-Élysées (la multiplicité de l’offre ne faisant pas baisser les prix démesurés pour autant), mais aucune salle n’était taillée jusqu’à ce jour pour accueillir une formation orchestrale importante, contrairement à Berlin, Cologne, Copenhague ou Rome. Le projet n’était pas nouveau, Boulez la réclamait déjà il y a quarante ans...

Les amoureux de la musique se sont donc réjouis, quand, en 2007, Jean Nouvel emporta le morceau avec un projet d’envergure, audacieux et généreux. On pouvait faire confiance à cet architecte esthète, cette Philharmonie-là allait marquer son temps et les années à venir. Oui, mais. Inscrire un nouvel espace dans son siècle, rivaliser avec les plus belles salles d’Europe, être à la fois visionnaire et exigeant a un coût. Un coût réel, très éloigné de celui sous-estimé pour permettre une attribution faite d’avance, que tous connaissaient pourtant dès la validation du projet de Nouvel. Chaque « monarque » doit ajouter sa tour sur l’échiquier de la Capitale, un symbole fort, ambitieux, qu’importe s’il doit engloutir les deniers de l’État. Au bal des hypocrites, il faut ajouter une crise économique, une flambée des matières premières, des atermoiements politiques qui retardent le chantier, des combats d’egos, les hurlements de la Cour des Comptes et de l’Inspection des Finances, la mainmise des financiers sur le projet pour réduire la facture, l’éviction de Nouvel, une maîtrise d’ouvrage trop pressée qui fait, défait et refait, un projet donc taillé à la serpe, revu à la baisse, que son concepteur n’assume plus. Comme cette inauguration aux forceps, trop hâtive (mais on a déjà décommandé une première fois les orchestres invités pour une ouverture espérée en 2013), dans un bâtiment en chantier, inabouti, dans on ne voit en fait ... rien.

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Certes, le grand vaisseau en fonte d’aluminium et en inox brillant est impressionnant de l’extérieur, même inachevé ; ses courbes, ses décrochés sont magnifiques, il rutile sous le soleil comme un bijou d’argent. On passe sur les ascenseurs en panne, les escalators qui ne fonctionnent pas, le bruit des pelleteuses qui s’activent, mais on s’énerve vraiment quand on se voit refuser l’entrée de la Grande salle, au motif des répétions du pianiste Lang Lang dans le lieu saint. Il est 12h30, la foule s’entasse dehors, sur la terrasse du troisième étage par un froid de gueux, et un gentil préposé nous annonce alors que tout l’étage restera fermé jusqu’à 15h00. Vous imaginez la bronca ? Était-il si difficile de le notifier sur le site internet des journées « Portes ouvertes » ? L’état de mon dos ne nous a pas permis de patienter deux heures et demi debout, dans le froid, comme bon nombre de visiteurs accompagnés d’enfants. On tente bien de redescendre pour visiter le niveau zéro -  lieu dédié aux ateliers éducatifs et à la formation, mais il n’y a pas grand'chose à voir non plus. Des salles fermées, un seul orchestre en répétition, des couloirs rouges bas de plafond, un vide sidéral … comme l’a remarqué un journaliste dans son papier « je veux bien essuyer les plâtres, encore faut-il qu’il y en ait. » Rien n’est prêt, rien n’est terminé, rien n’est fonctionnel, sauf la Grande salle de concert, dont nous avons tous admiré l’agencement lors de reportages, mais que l’on verrouille un jour de « portes ouvertes ». Quid des 17 salles de répétition, des 10 loges, du studio d’enregistrement, de la salle d’exposition, de la salle de conférence, du toit-terrasse, du restaurant panoramique ? Rien de tout cela n’est accessible. Il est rageant de constater comment le temps des politiques n’est pas celui de la culture. Concevoir un lieu de vie dédié à toutes les musiques, dans un quartier un peu décentré de la capitale, est fort louable. Son ouverture bâclée n’est que le énième épisode d’un immense gâchis. On a d'ailleurs joué au soir de l'inauguration, le Requiem de Fauré... comme enterrement de première classe, on a rarement fait mieux !

11 janvier 2015

Christos Chryssopoulos… un rendez-vous presque manqué, mais pas tout à fait.

J’avais prévu de démarrer l’année avec lui, à l’heure où les beuglements venus d’outre-Rhin  contestent à un pays européen la plus élémentaire liberté de conscience, le choix d’élire qui lui sied. Le timing étant parfait, j’ai donc ouvert avec une mine réjouie Une lampe entre les dents (Φακος στο στομα) - Éditions Actes Sud, 2013, avant de déchanter et que le livre me tombe littéralement des mains. Je ne connaissais de Christos Chryssopoulos (né en 1968) que la réputation qu’on lui prête, ses dons multiformes (professeur, critique, traducteur, essayiste, photographe, vidéaste, lauréat du prix de l’Académie d’Athènes en 2008) et quelques avis de critiques littéraires patentés, le considérant comme « l’un des plus prolifiques et des plus originaux écrivains de sa génération ». Original, certainement. Tellement que je m’y suis perdue, incapable de trouver une place dans ce récit sec, fuyant, hybride, mais surtout anesthésié.

Une lampe entre les dents se veut le récit des déambulations de l’auteur dans les rues d’une Athènes bouleversée par plusieurs années de crise. Cette chronique tricote des éléments réels, de la fiction et des digressions générales sur la ville. Ce n’est pas un reportage, encore moins un essai, ni une réflexion, c’est un Objet Littéraire non Identifié où l’on apprend en fait peu de choses sur la transformation d’une capitale saignée à blanc par la récession. Car l’auteur parle avant tout beaucoup de lui, de son rapport à l’espace, à l’identité, à sa condition d’écrivain et même lorsqu’il échange avec un SDF, son discours le ramène toujours à son introversion. L’auteur flâne, photographie, constate froidement les modifications que le paysage urbain a subies, croise tous les laissés-pour-compte, sans empathie, sans émotion. À l’opposé, il se vautre avec délice dans l’intellectualisme le plus revêche, le plus hermétique, à grand renfort d’expressions pour moi nébuleuses : « La pensée se projette en un espace intermédiaire défini par notre répugnance à choisir une fois pour toutes l’un ou l’autre extrême (attention : je n’ai pas dit de façon disjonctive) ». Athènes fonctionnerait selon les lois de l’entropie, elle est une hétéropie, … un continuum spatial, … un gigantesque processus de subjectivation.

Page 67 : « Je regardais les passants quand mes yeux se sont attardés sur les pas d’un homme qui marchait pieds nus dans ses chaussures. Enveloppés de haillons en guise de chaussettes… Les lumières d’une vitrine voisine éclairaient une blessure qu’il avait sur la cheville gauche et ça m’a aussitôt fait penser aux chaussures du tableau de Van Gogh et au débat entre Heidegger et Schapiro* (avec entre eux l’intervention contestable de Derrida)… ». Alors, soit je fonçais questionner ma moitié sur les références philosophiques qui me font cruellement défaut - mais je pressentais de longues heures d’ennui assurées** -, ou bien je déclarais forfait, en feuilletant paresseusement les 53 pages restantes (heureusement, le Monsieur écrit court), toutes aussi assommantes. La deuxième option m’a semblé plus raisonnable. Je reposais donc le pensum en bougonnant.

1 2

Mais dans la pile de livres qui m’attendait, dormait un second ouvrage du même auteur, La Destruction du Parthénon (Ο Βομβιστης του Παρθενωνα) - Éditions Actes Sud, 2012, plus proche d’un roman - et encore… - que d’un embrouillamini égocentrique et indigeste. Quatre-vingt onze pages alignent les pièces du dossier, morcelé comme autant de vérités, un peu bancal, impartial aussi (témoignages, aveux, pièces à conviction, photographies, archives) d'un attentat fomenté par un jeune athénien contre le monument qui veille sur la ville depuis deux mille cinq cents ans, le Parthénon, l'incarnation quasi-sacrée d'Athènes dans l’inconscient collectif. Il y avait bien eu dans les années 1940 une bande d'énergumènes*** pour coucher sur le papier la volonté de faire carrément sauter l'Acropole, mais désormais c'est chose faite, le Parthénon est parti en fumée un soir d'été. Évidemment, avec Christos Chryssopoulos, ce n'est jamais limpide et on se doute bien que le Parthénon n'est qu'un prétexte tout trouvé pour nous parler d'autre chose****. Car l’édifice voué à Athéna n'est jamais nommé, il est "Lui", "Il", entité trop puissante, ou trop distante, dont il ne faut pas prononcer le nom : "Qu'est ce que la ville sans Lui ? N'était-ce pas auprès de Lui que nous trouvions refuge quand cela était nécessaire ? ... Notre ville ne Le méritait pas, elle ne Le valait pas... c'est la ville, c'est elle qui L'a tué. Car derrière le Parthénon, c’est de l’identité grecque qu’il s’agit : comment exister lorsque l’on a perdu « un point de repère unique qui, pour cette raison même, remplit de multiples fonctions. Il n’existe alentour aucun autre jalon identifiable et si ce lieu de mémoire venait à manquer, alors nous aurions le sentiment de vivre dans un monde étranger. » Faut-il sacrifier le passé, se détacher des vieilles pierres pour enfin exister ? Car après tout, l’édifice - du moins ce qu’il en reste, enlaidi d’étais et de grues -  n’a comme grandeur que celle qu’on veut bien lui prêter. « Je cherchais seulement à nous libérer de ce que d’aucuns considéraient comme la perfection indépassable. Je me voyais comme quelqu’un qui offre un cadeau, qui propose une issue, qui relève un défi… il devait tomber, à n’importe quel prix. » Le criminel, Ch. K. (dont les initiales ressemblent étrangement à celles de l’auteur) abomine la disparition de l’idéal antique au détriment de la laideur d’une ville indigne de son histoire : qu’ont fait les Athéniens de cet idéal de Beauté, devenue vertu oubliée ? Le monologue de l’insoumis vire alors au réquisitoire à charge contre ses contemporains : avidité, ignorance, bêtification, repli sur soi, lâcheté, torpeur, et surtout cette servitude aux colonnes de marbre mal rafistolées, tout y passe. Mais lorsque le symbole s’écroule, que là où Il se dressait, il n’y a plus que le ciel, les Athéniens, pour la première fois, « n’ont plus d’origine… le parcours doit être réinventé, l’histoire doit être réécrite. »

Le sacrilège fera t-il office de catharsis pour contraindre les Grecs à se construire un futur en tournant le dos à un passé trop accablant ? La prise de conscience n’aura pas lieu, on rebâtit à l’identique le Parthénon. Christos Chryssopoulos cite Giorgio Agamben (philosophe italien né à Rome en 1942) comme dernière pièce du dossier « le sacrilège est la tâche politique de la génération qui vient » *****. Selon l’auteur, « cela signifie que cette génération doit être capable de changer elle-même »…

 

* Je vous rassure, je ne sais absolument pas de qui on parle non plus…

** Oui, on peut être totalement sourde à la Philo, je n’y peux rien.

*** La Société des Saboteurs Esthétiques d'Antiquités, par la voix de son Président, le poète surréaliste Yorgos Makris (1923 - 1968).

**** De nombreux lecteurs grecs ont pris au pied de la lettre la provocation de Chryssopoulos, l’amenant à se justifier d’avoir choisi une telle métaphore. « La destruction de monuments est moralement fausse et politiquement inutile », a-t-il martelé à chaque interview ou conférence. Cette réaction épidermique des Athéniens justifie à elle seule le roman.

***** Profanations, trad. Martin Rueff, Rivages Poche, n° 549, 2006, 128 p. – un livre d’actualité...

 

7 janvier 2015

No Pasaran...

ch10121

 

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