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Le Présent Défini
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25 février 2016

Le Magne - avant-propos

De quelle autre contrée rapprocher le Magne ? De Chios, bien sûr, pour sa minéralité, sa rusticité, son austérité, mais une Chios bariolée de vert, humide, coutumière des vents violents et des pluies d’hiver soutenues (sauf si, comme nous, vous passez entre deux dépressions). Á moins qu’il ne faille plutôt regarder vers San Gimignano, pour ses hautes tours de pierre bâties sur les collines. En fait, le Magne permet de concilier l’envoûtement des terres du Nord baignées de brouillard et secouées de rafales, avec une architecture rurale sévère et des habitudes claniques presque féodales, longtemps de mise en Toscane.

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Le Magne est la péninsule centrale du Péloponnèse, ce long doigt escarpé, montagneux, dont la crête émerge à plus de 1000 mètres. De chaque côté de cette griffe acérée, les habitants se sont installés dans de tout petits villages resserrés, tassés, isolés, protégés par les châteaux et les forteresses. Le sol aride et rocailleux, lessivé par les pluies et le vent, s’adoucit en descendant vers la mer, jusqu’à ressembler parfois aux landes irlandaises. La région est sauvage, brute, pauvre, protégée par ses frontières naturelles, et totalement discordante de l’image « paradisiaque » que l’on se fait souvent de la Grèce.

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Le Maniote n’est pas, en premier lieu, grec, il est avant tout le descendant des Spartiates - comprendre fier, libre, rétif aux envahisseurs et maîtres de tout poil. Après la chute de Sparte, un certains nombre de citoyens, plutôt que de reconnaître l’autorité des « souverains oppresseurs » se seraient retirés dans les montagnes du Magne, y faisant souche. Même les Ottomans se cassèrent les dents sur ce coin du bout du monde, qu’ils ne purent jamais totalement conquérir. Bien évidemment insoumis, réfractaires à un pouvoir central, les Maniotes se sont, des siècles durant, regroupés en famille, en faction, n’obéissant qu’à leur Protogéros, protégés derrière leurs hautes tours de pierre. L’absence d’organisation, de concertation, d’entente au sein de la région a favorisé la rivalité entre les clans locaux ; on affirme sa puissance en construisant des forteresses, des citadelles, épaisses, rectilignes, sans une once de fioriture ou de décoration (plus de huit cents au début du XIXe). Ces saillies souvent plantées sur les promontoires, protègent le clan et annoncent le prestige et la puissance de son patriarche. Excédées par la vendetta permanente, certaines familles Maniotes s’exilèrent en Corse au XVIIe... de quoi tomber de Charybde en Scylla… Repliés sur eux-mêmes, les Maniotes se sont construit une existence à part, qui fut difficile à concilier avec la notion d’État et les lois d’une société structurée, après l’Indépendance de la Grèce. Désenclavé, inscrit dans le développement du pays, le Magne se vide peu à peu de ses habitants, qui recherchent une vie moins difficile dans les grandes villes.

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Aujourd’hui, les centaines de tours se dressent dans le silence, abandonnées, malmenées sous un climat hostile. Des villages entiers se sont tus, enveloppés d’un brouillard qui se déchire sous les assauts du vent. Le contraste est souvent abrupt, entre le golfe de Laconie, baigné de soleil, et les contreforts montagneux, prisonniers des brumes. C’est sans doute ce qui frappe d’emblée, lorsque l’on quitte Gythion pour rejoindre Aréopolis, porte d’entrée de cette autre finis terræ ; la douceur du bord de mer disparaît sous les ombres des montagnes, le ciel bleu se dérobe, les nuages bas voilent de gris le paysage, l’atmosphère se rafraîchit, les premières tours fantômatiques se dessinent… dans un décor que le roman gothique anglais ne renierait pas.

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13 février 2016

Mystra sous le soleil

Merci à I.G pour son cours dense mais très clair sur Mystra

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La situation géographique de Gythion permet à la fois de parcourir le Magne mais aussi de remonter vers une Sparte toute proche pour retrouver Mystra, vingt-quatre ans après ma première visite, au printemps 1992. J’ignore quelle est la fréquentation du site en pleine saison, mais en janvier, le lieu est d’un calme absolu et quasi-désert (nous ne croiserons en tout et pour tout qu’une quinzaine de visiteurs durant les trois heures et demie nécessaires pour arpenter cette cité fantôme construite à flanc de colline).

Si vous faites une légère overdose de colonnes, de temples et de théâtres antiques lors de votre périple dans le Péloponnèse, Mystra est là pour vous renvoyer tout droit à l’époque de la Quatrième Croisade, de la prise de Constantinople et de la famille de Villehardouin. Certes, la place forte franque a vu le jour en 1249, sur un piton rocheux qui surplombe la plaine de Sparte, mais elle est d’abord le résultat de la déconfiture des Byzantins devant les Italiens et les Francs en 1204, qui se partagèrent la bête vaincue en créant l’Empire latin de Constantinople. Geoffroy Ier de Villehardouin obtient la Principauté d’Achaïe* ou de Morée**, en récompense de ses loyaux services. Son second fils, Guillaume, devenu Prince d’Achaïe à la mort de son frère aîné, agrandit encore ses possessions en avalant toute la côte Est de l’actuelle Laconie. On peut accorder au garçon un certain goût pour les citadelles imprenables grandioses, au vu des forteresses qu’il bâtit, Mystra et Monemvassia. De ce nid d’aigle posé à 621 mètres d’altitude reste aujourd’hui le château fort à double-enceintes, une tour de guet et une chapelle. La montée ne vaut que pour la vue…

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Les Byzantins, retirés dans leur Empire de Nicée (pour faire simple, en Asie mineure), n’entendent pas laisser Constantinople aux mains de leurs ennemis et préparent leur revanche pour reprendre les territoires perdus. En 1259, c’est chose faite, lors de la bataille de Pélagonia, où Guillaume Villehardouin est fait prisonnier. En guise de rançon, il cède les forteresses d’Achaïe : Mystra bat désormais pavillon byzantin et va devenir une cité florissante, la « Florence de l’Orient ».

La stabilité politique y est pour beaucoup ; l'empereur de Byzance Jean VI Cantacuzène enverra son fils Manuel diriger la région, ce grand despotat de Morée dont Mystra est la capitale. Le long règne de Manuel (1348-1380) pacifie la région, calme les rébellions des gouverneurs locaux, et fait de la cité un important centre politique et culturel. Lorsque la famille rivale (les Paléologues) arrive aux affaires, elle mène une politique expansionniste ; Mystra s'agrandit, construit églises et monastères, sort de sa première enceinte, dévale toute la pente de la colline jusqu'aux maisons de maître construits par les familles nobles, bien plus bas. Certains monastères, construits d'abord à l'écart des habitations, sont rattrapés par une urbanisation galopante et se retrouvent englobés dans une large seconde enceinte. Cette période prospère s'étend du milieu du XIVe au milieu du XVe. Mystra est alors le siège d'une Renaissance hellénique, politique et culturelle. C'est un carrefour d'échanges intellectuels et religieux, où se croisent prélats de l'église orthodoxe,  savants, copistes, penseurs, philosophes... dans cette émulation commune, on retourne aux mythes anciens, on relit les auteurs antiques, jusqu'à fonder une nouvelle école philosophique néo-platonicienne qui résonnera jusqu'en Italie, à Florence.

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Las, des querelles de famille chez les Paléologue, qui se partagent trois despotats dans le Péloponnèse, affaiblissent leur autorité. Des stratégies d'alliances contraires, des divisions, les coups de boutoir des Ottomans qui frappent à la porte de Constantinople, précipitent la chute de Mystra qui tombe en 1460.

Mystra est donc le lieu d'un rayonnement de l'art byzantin au sein d'une cité entière, en liaison avec la redécouverte de l'Antiquité grecque. Et ce qui est stupéfiant, c'est qu'aujourd'hui encore, la ville semble toujours respirer. Si on retape les églises, les monastères, le palais du Despote pour les rendre pérennes, ce sont encore une fois les constructions en déliquescence qui me touchent le plus. Les édifices religieux, mélange de briques et de pierres sont évidemment remarquables (Sainte-Sophie, Vrontochio, les coupoles, les fresques - tout est matière à émerveillement) - mais le souffle vient plutôt pour moi des maisons en ruines, des escaliers, des passages, des ruelles étroites toujours lisibles, harmonieux. Dans ce silence qui règne en hiver sur le site dépeuplé, avec cette légère brume flottante qui s'accroche le matin aux arbres, les vieilles demeures de pierres semblent s'éveiller lentement de leur long sommeil. On ne serait pas étonnés de croiser un bout de manteau d'un seigneur franc, la capuche d'un prélat, ou l'épée d'un chevalier. Le décor fait bouillonner l'imagination parce qu'il est brut, naturel, originel et qu'il fait revivre une époque révolue.

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Vous viendrez sans doute à Mystra pour l'architecture byzantine, pour les fresques qui s'éloignent doucement des images religieuses traditionnelles, pour les plans un peu compliqués des églises, pour les monastères toujours en activité. Moi, j'y entrouvre pour quelques heures un livre d'histoire. 

 

* La principauté d’Achaïe englobe à l’époque une grande partie du Péloponnèse, rien à voir donc avec la région qui porte aujourd’hui ce même nom, située au Nord du Péloponnèse (chef-lieu Patras).

** Morée, autre nom du Péloponnèse

6 février 2016

Gythion - une reine, un temple, un pantin

La petite ville de Gythion, aujourd’hui bien paisible et sage, pelotonnée sur la courbure du golfe de Laconie, réalise le grand écart entre le mythe et la grande histoire ; c’est ici, sur le petit îlot de Kranaï (appelé aussi Marathonissi), que le roi de Sparte Ménélas fût cocufié par sa reine pour la première fois. Pâris, en route vers Troie, fit une halte nocturne avec la belle Hélène sur ce petit bout de verdure isolé, avant de filer au matin pour d’autres horizons. La légende veut que sous l’ombre des pins, il s’en passa de belles… aujourd’hui, le lieu fait moins rêver, rattaché à la terre ferme par une digue étroite. On peut s’y promener, visiter la tour Tzanetakis du XVIIIe aménagée en musée, mais franchement, rien de bien mémorable. Ce nom de Kranaï viendrait de κράνος, casque oublié par un Pâris énamouré et étourdi sur l’îlot, lors de son embarquement pour Cythère, avant de rallier Troie (« Va, pars pour Cythère ! Sur cette galère, coquette et légère… » - Offenbach a décidemment laissé dans ma mémoire plus de souvenirs qu’Homére… ).

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Gythion, d’abord dépendante de Sparte, passa ensuite aux mains de Rome, puis fut délaissée après un important tremblement de terre (en 375 ap J.-C.), qui engloutit sous un raz de marée une part importante de la ville antique. Les recherches effectuées dans le port ont mis au jour des fondations de constructions romaines et surtout une importante installation de thermes. Redevenu un simple village au travers des épisodes byzantins et ottomans, Gythion se réveille pendant la guerre d’indépendance grecque et devient un important bastion de résistance aux envahisseurs de tout poil (des Turcs à Othon de Bavière), et surtout à tous ceux qui voudront mettre la Laconie au pas - comprendre, briser la toute-puissance des quelques familles dominatrices de la région.

Les Romains ont laissé une empreinte toujours visible aujourd’hui, le théâtre antique, très bien conservé, malheureusement ceinturé de grillages. C’est là qu’intervient Yiorgos Hassanakos, artiste peintre et plasticien originaire du Pirée, installé à Gythion depuis 1987. Nous l’avons rencontré par hasard, dans la boutique que tient son épouse au pied de l’hôtel Aktaion. Entrés pour une simple carte routière du coin, nous sommes repartis après moultes palabres (mélange de grec et d’anglais) en nous promettant de nous revoir le lendemain, pour visiter avec lui un lieu qui faisait saliver ma moitié, le musée du théâtre d’ombres. D’un théâtre à un autre, il n’y a qu’un pas. Alors que Yiorgos nous véhiculait dans sa propre voiture dans les rues de la ville, il nous mena d’abord sur l’ancien site (bâti sous Auguste), à côté duquel l’armée s’est construit une caserne. Le planton de service a bien commencé à s’époumoner en nous voyant nous approcher mais la présence de Yiorgos a immédiatement calmé le galonné. Pire, il a détourné le regard quand l’artiste de la ville a écarté deux pans de grillage pour entrer sur le lieu même, construit à flanc de colline et entouré d’oliviers. Oh, rien à voir avec la magnificence d’Épidaure ; l’endroit est tout petit (la scène faisait moins de 100 mètres), mais joliet comme un théâtre de poupée, toujours très lisible avec ses gradins de pierre (seul le premier rang était en marbre). On a tout loisir de grimper, de s’asseoir en hauteur pour admirer le demi-cercle gris qui tranche sur l’herbe bien verte. Les thymeliques (musiciens qui intervenaient durant les représentations de théâtre), se mesuraient ici dans des concours dédiés à Dionysos lors de grandes fêtes ponctuées de défilés devant le gratin romain local. Aujourd’hui, le lieu n’est ouvert que l’été pour quelques événements culturels.

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Yiorgos, féru d’art populaire, est photographe, peintre mais aussi "montreur d’ombres" et responsable du musée Karaghiozis de la ville. Il gère le fond, organise des représentations pour les enfants, fabrique de nouveaux pantins pour coller à l’actualité et prend un plaisir non dissimulé à vous emmener dans son antre. Car au-delà de la visite proprement dite qui vous entraîne sur les origines (supposées ou improbables) et l’évolution physique du personnage à travers le temps, Yiorgos vous fera rentrer dans l’envers du décor, derrière le rideau et vous initiera au maniement des pantins. Inutile de signaler que je me suis sentie bien godiche à tenter vainement de faire bouger "naturellement" les personnages. C’est un tour de main qui demande des années de pratique, surtout lorsque, en sus du maniement manuel, il faut aussi effectuer les bruitages... au-delà de ma pathétique tentative qui a fait, bien gentiment, rire notre hôte, nous avons passé une grosse demi-journée instructive et sympathique, en compagnie d’un homme généreux qui aime transmettre son savoir, faire découvrir sa région et aider les touristes en détresse (c’est par lui que nous sommes passés, après le désastreux épisode hôtelier de la "Saga pension", pour nous trouver un nouveau point de chute). N’hésitez pas à pousser la porte de sa boutique - sa femme est tout aussi avenante - pour papoter, et plus, si affinité.

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