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Le Présent Défini
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19 mai 2014

Corfou (Kerkyra), la trop domptée des Ioniennes - Introduction

Cela devait bien arriver un jour ou l’autre, une première déconvenue, un léger désenchantement, un petit dépit, un rendez-vous manqué, un tête-à-tête ajourné, bref, une non-rencontre avec une île grecque. Si, c’est possible. Et avec une Ionienne, en plus, ce qui nous a bigrement tourneboulés, ma moitié vouant un culte incommensurable à Céphalonie, ma pomme contemplant Ithaque avec les yeux d’Ulysse. 

Corfou pâtit lourdement des symptômes déjà observés en Crête, le bétonnage, le tourisme bas de gamme, le non-respect de l’environnement, le laisser-aller ; elle donne la sensation d’une île sur son déclin, qui ne peut plus entretenir son rang et qui mise désormais sur le vol incessant des charters venus d’Allemagne, d’Angleterre et de Russie pour survivre : hôtels low cost déjà défraîchis, villages de vacances sinistres, infrastructures vilaines, plages jonchées de détritus, nombre d’endroits transpirent la fin de règne. On enrage d’autant plus que la côte Nord recèle quelques sites de toute beauté, qui auraient dû être laissés à l’état sauvage et non transformés en protectorats de buveurs de bière. 

Autre source de déception pour une île qui a vu défiler nombre d’occupants (Rome, Byzance, Venise, Maison d’Anjou-Sicile, Venise à nouveau, les Français, les Britanniques…), l’absence quasi-totale (à l’exception de Corfou ville, j’y reviendrai longuement dans d’autres posts) de vestiges, de sites archéologiques, de monastères, de chapelles, de fresques, de tout ce qui donne à une île sa tonalité particulière. On cherche fébrilement un village typé, singulier (après Tinos et Chios, la barre est très haute, mais tout de même…), on veut respirer une atmosphère originale, unique, distincte des autres îles et … ça ne vient pas, l’insatisfaction s’installe. 

Alors, faut-il bouder Corfou ? Eh bien non, malgré toutes ces réserves, l’île nécessite une visite pour son « chef-lieu », sa « capitale », Corfou-ville étant pour moi un joyau incomparable. Nous sommes tombés sous le charme immédiat de sa saveur italienne, de ses couleurs, de son dédale de ruelles, de sa richesse culturelle, de sa gastronomie. On flâne des heures entières, le nez en l’air pour capter les détails d’une architecture superbe, où chaque « prédateur » a laissé sa marque. Alors que nous devions loger au Nord, après les deux premiers jours passés à l’arpenter en tous sens, nous y sommes revenus à fond de train, tant elle a su nous ravir par sa simplicité, son naturel, sa sincérité.  

Je crois qu’il s’agit, en quinze ans de Grèce, du premier voyage qui ne se déroule pas du tout comme nous l’avions prévu. En neuf jours nous avons fait et défait quatorze fois nos sacs et mangé du kilomètre : pas de vrais coups de cœur, d’innombrables atermoiements sur nos lieux de chute, une météo capricieuse, comme si l’île devenait un brin revêche, voire hostile. Nous avons alors écourté notre séjour et rappliqué plus tôt que prévu à Athènes, sous un franc soleil qui nous a redonné la pêche et le sourire. 

Quand ça ne veut pas, c’est que cela ne devait pas… on aura plus de chance en septembre, du moins je l’espère !

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13 juillet 2012

Ithaque - Á table !

La meilleure table d’Ithaque ne se situe pas les pieds dans l’eau mais en plein cœur du village de Stavros. Πολυφημο (Polyphemus) est un endroit assez unique… qui tient de la chair et de l’esprit. Si vos convictions personnelles s’épanouissent amplement sous des doctrines « libérales débridées », passez votre chemin. Car le premier étage de la bâtisse vénitienne abrite un musée dédié au Che, et un drapeau cubain flotte à l’entrée (la bobine de Lénine est aussi accrochée en bonne place). Vous savez où vous mettez vos sandales…

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Si une chef grecque règne sur les cuisines, la propriétaire du lieu est une suissesse polyglotte, haute en couleurs, avec qui nous avons plus d’une fois refait le monde à pas d’heure, en sirotant un excellent mais perfide tsipouro. Les tables sont disposées au cœur d’un grand jardin, décoré d’objets de récup' retapés et judicieusement agencés, dont les chats ont fait leur terrain de jeu. La carte mélange des mezzés traditionnels, des plats végétariens avec des recettes plus créatives :  la chef usant des épices, aromates, marinades, nos papilles jubilent devant les saveurs et le bouquet des plats, comme cette daurade marinée « psari savoro » dont la recette date de l’occupation italienne « pesce in saor » ou cet agneau en papillote, d’une succulence et d’un fondant jamais égalé. Pour trempouiller dans la salade d’aubergines, testez la pita craquante faite à la minute, qui arrive toute chaude sur votre table, c’est un must. Alors, évidemment, tout cela a un prix, supérieur aux tavernes traditionnelles. Mais il serait vraiment dommage de ne pas goûter au moins une fois à cette cuisine simple en fait, légère et délectable.

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Et puis, il y a le cas Kalypso… on va dire que je m’acharne sur le village de Kioni, mais cette table est à l’image du lieu, prétentieuse et fausse. Même si on y dîne très bien. Je crois que c’est la première fois que nous sommes confrontés à un serveur aussi … peu grec. Comme Kioni est le port des voiliers loués par les Anglais (beaucoup de frime, pas beaucoup de voileux qui savent manœuvrer), le serveur vous parle d’office dans la langue de Shakespeare, tapote votre commande sur un PDA (!!!) et insiste lourdement pour vous faire consommer davantage (business is business). Il cajole les tables de Grands-Bretons qui s’empiffrent en vidant leurs pintes, bruyamment. Même si les plats se sont révélés excellents (poulpe parfaitement cuit, la salade de figues rôties, feta et noix ultra fraîche et savoureuse, comme le tirokafteri), nous avons dès le lendemain délaissé le lieu, pour du couleur locale plus accueillant et amical.

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Á l’opposé de cette attitude de courtisan servile, à Frikes (décidemment, les villages ont les tavernes qu’ils méritent !), on vous accueille, on vous dorlote, on échange avec vous… et on vous surprend. Chez Penelope (encore une), il faut venir tard, en même temps que les Grecs, pour le meilleur rapport/qualité prix de l’île. Plats locaux, tout simples mais très bons, belle ambiance, chaleur humaine et bonne humeur. Un jour que nous avions manifesté notre enthousiasme pour Anogi, nous avons vu le sourire de Constantina, la femme du patron Stathis, s’épanouir jusqu’aux deux oreilles : native de ce bel endroit, elle posa sur notre table un plat de fromage au thym et la menthe, lové dans une feuille de filo croutillante, avec un sourire entendu : ce fromage de brebis fondant descendait tout droit d’Anogi. 

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Les deux tavernes contiguës à Penelope (Symposium et Rementzo), sont tout autant dignes de combler votre appétit, avec peut-être une préférence pour la dernière, souvent pleine. Nektarion et … Poppy (oui, encore) sont plein d’attention avec leurs clients, prennent le temps de bavarder, d’expliquer les plats, s’excusent parfois de la lenteur du service mais comme tout est fait maison et savoureux, on attend en souriant que les copieuses assiettes arrivent sur la table, arrosées d'un second "lefko krasi", offert par la maison.

 

9 juillet 2012

Ithaque - « plages » du nord, et plus encore

L’île d’Ulysse se distingue de ses consœurs ioniennes par son dédain total des étendues de sable. La mer l’aborde sur de minces rivages de galets blancs polis (au mieux), voire de cailloux coupants au possible. Les plus belles criques sont bien souvent impossibles d’accès sans bateau. Cette inaptitude au farniente au long cours, aux jeux de plages turbulents, et au regroupement familial bruyant, préserve Ithaque de l’envahissement touristique.

En-dessous de Stavros, après quelques lacets, l’anse de Poli n’attend que vous, à côté d’un tout petit port où se dandinent des bateaux de pêche. Le lieu est connu pour abriter les ruines d’une ville engloutie après un violent séisme en 967 ainsi que la grotte de Loïzos, où fut trouvé le fragment de terre cuite portant l’inscription « Vœu à Ulysse ». S’il n’y a plus grand' chose à voir de ce sanctuaire dédié au plus grand des marins grecs, à demi-immergé par le dernier tremblement de terre, en usage dès l’époque mycénienne et dont les découvertes archéologiques sont visibles au musée de Stavros, la petite anse à gauche du port vous offrira une eau transparente pour vous ragaillardir.

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Poli cache aussi un autre lieu de culte, un peu moins archaïque mais plus touchant, tout de suite à droite : une petite chapelle de pierre, bien discrète, un peu écroulée, protégée par un vague toit de bois. La rencontre est inattendue : on reste stupéfait de découvrir, parmi les vestiges, que les ravages du temps ne découragent pas les visites des fidèles. Peut-être, est-elle devenue le lieu des offrandes à Ulysse pour les pêcheurs du port de Poli, qui restent ainsi sous sa protection depuis l’effondrement de la grotte primitive ?

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De l’autre côté de Stavros, on atteint en peu de temps la baie d’Aphalès, toute au Nord, déserte en ce début juin. Nous n’y croiserons qu’un jeune couple de Finlandais, sacrifiant à Hélios dans le plus simple appareil. Sa côte découpée, qui plonge brutalement dans l’eau, aligne une suite de toutes petites criques, assez risquées pour de jeunes enfants. Même la mer, plus froide ici, oppose un méchant courant dont on se méfie très vite. L’ambiance est celle d’un chaos total de pierres, dégringolant jusque dans l’eau. C’est sauvage, brutal, primitif, un paysage indompté où les éléments se fracassent crûment.

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Et puis, il y a « notre » plage, la plus belle, Aspro Gialos, proche du village de Lefki, en face de Céphalonie que l’on pourrait presque rejoindre à la nage - presque. On laisse sa voiture, on descend un chemin dans la végétation et on arrive sur une petite plage de galets tout ronds. L’eau est translucide, le silence, total, le calme, absolu. La mer est pour vous seul, en juin… nous avons aperçu des transats empilés (peu nombreux, les rivages étant très étroits à Ithaque) qui témoignent d’une certaine fréquentation en haute saison, loués 10 euros la journée !!!!

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Si des impératifs vous obligent à venir en juillet ou en août, vous trouverez de la tranquillité en louant des petits bateaux à moteur (40 euros la journée), au port de Kioni. Nous avons testé, c’est très maniable et on s’amuse beaucoup lorsqu’il faut jouer de l’ancre et du bout’ en même temps pour amarrer le frêle esquif avant de plonger dans une eau émeraude.

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4 juillet 2012

Ithaque - en passant par Anogi (Ανωγή)

Après le goulet d’étrangement qui ceinture l’île comme un corset bien sanglé, deux routes permettent de relier Stavros selon votre humeur du jour. Soit vous restez au niveau de la mer, Céphalonie bien visible à main gauche, sur une corniche qui sinue parmi une dense végétation verte et touffue, soit, vous prenez de la hauteur en partant à droite, en suivant une saillie de la roche qui vous monte sur les flancs du mont Neritos, culminant à 806 m. Cette route est bien plus attachante, même si elle vire souvent sec. Domaine des quadrupèdes à poils, plus ou moins longs, et à laine, il est recommandé de ne pas dépasser le 30 à l’heure, pour éviter de freiner comme un sauvage devant des biquettes qui traversent nonchalamment devant votre pare-chocs. Elles sont chez elles et leur regards hautains, voire dédaigneux vous le font vite sentir. Le paysage s’assèche, les oliviers et les pistachiers se raréfient, on circule dans une quasi garrigue brossée par les vents, constellée de pierres imposantes qui émergent des broussailles.

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Le premier arrêt, à 600 mètres, sera pour le Monastère de la Panagia ton Katharon, lieu de pèlerinage des habitants de l’île. La vue sur Vathi est époustouflante, mais attention au souffle d’Éole, redoutable, qui vous empoigne sans ménagement. Un moine venu du Mont Athos s’est établi dans le monastère, en grands travaux pour le moment, mais il est toujours possible de visiter l’église, qui protège l’icône sacrée de la Nativité de la Vierge, attribuée à Saint Luc ainsi que l’hôtellerie, qui nous a laissés comme deux ronds de flan. Le long bâtiment blanc, décrépi et vétuste repose en l’état. Les cellules à l’abandon, qui accueillaient les pèlerins, sont encore encombrées de lits et de couvertures, le tout poudré d’un bon centimètre de poussière, de toiles d’araignées épaisses, qui ne datent pas d’hier. On parcourt ce corps de logis dans le silence, le vent sifflant à travers les vitres brisées et les portes disloquées. Ambiance singulière…Mais c’est aussi dans ce Monastère qu’on redoute visiblement de voir s’envoler les cloches…le Moine, qui ne manque visiblement pas d’humour, ouvre t-il la cage à Pâques, au moins ?

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Si vous êtes gourmand des belles découvertes, il faut reprendre la route jusqu’à Anogi, village médiéval tranquille, où les belles maisons de pierre se sont endormies depuis des années. La petite centaine d’habitants, âgés pour la plupart, parlerait encore un dialecte fortement influencé par la présence dans l’île des Italiens ; le campanile vénitien se dresse d’ailleurs à côté de l’église de la Dormition de la Vierge, bâtie au XIIème siècle. Et si vous arrivez à une heure orthodoxe, allez chercher la clef au café d’à coté : boom, vous allez en prendre plein les yeux. Au XVIIème siècle, tous les murs furent recouverts de fresques byzantines, par un artiste de l’école de Vraggiana Agrafa, qui perpétuait alors cette tradition. Restaurées après le tremblement de terre de 1953, les peintures murales alignent La Vierge et les Martyrs, les Saints et les Anges, Sainte Hélène et Constantin, dans une débauche de couleurs. On s’agite d’un bout à l’autre de l’église, on tourne, on s’approche, on veut tout voir, on s’émerveille et on s’y attarde sans voir le temps courir.

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Ce qui est étonnant, c’est qu’Anogi est davantage réputé pour ses énormes rochers qui se dressent autour du village, dans un sol désolé et stérile, certains dotés même d’un petit nom, - Psilolithari, Irakles – que pour son église. Ce n’est pas la première fois que nous soupçonnerons les Ithaquiens, un peu taquins, de se faire discrets sur les trésors cachés de leur île, et qu’il faudra quelquefois mouiller le tee-shirt pour tomber nez à nez avec des splendeurs. Un post suivant le confirmera.

 

2 juillet 2012

Ithaque - les trois villages du Nord

Village le plus important de la partie Nord de l’île, Stavros n’a rien d’original ou d’attractif et pourtant, on s’y sent très bien ; église solide, grande place centrale ou trône un arbre centenaire - lieu de rassemblement des habitants dans la fraîcheur du soir -, buste d’Ulysse, musée archéologique, point de vue sur la baie de Poli, rien de frelaté. Un des rares endroits où la présence du roi d’Ithaque aurait laissé deux empreintes, un fragment en terre cuite d’un masque portant l’inscription « Vœu à Ulysse » datant de 300 av et la colline de Pilikata, conforme à la description d’Homère et sur laquelle le palais aurait pu se dresser.

Comme une benête que je suis, j’ai suivi moutonesquement les commentaires des guides et sites internet pour le choix de notre point de chute. Tous décrivent Kioni comme le plus beau village de l’île, classé et protégé, blotti au fond d’une baie croquignolette : et de vanter ses trois moulins à l’entrée du port, ses maisons traditionnelles, son site séduisant et gracieux. Même le Routard enfile les lieux communs, dévotement. Alors, tout cela est vrai… et ennuyeux au possible. Il est extrêmement compliqué de mettre des mots sur une impression, surtout quand on ne peut l’illustrer par des exemples concrets et vérifiables : or, Kioni, c’est très pittoresque, mais ça sent le factice, le ripolinage trop coquet, le trafiqué pour plaire aux touristes et la magie n’opère pas (en tout cas pour nous). Le village qui dégringole au-dessus du port pourrait se situer dans n’importe quelle anse de la Méditerranée : c’est un peu comme si les spécificités grecques avaient été gommées au profit d’une standardisation touristique, d’une neutralité pratique, faussement idyllique, sans aspérités (mais cela semble ravir les Anglais qui y accostent vers 18h00 leurs voiliers de location). As far as we are concerned,  c’est bien fâcheux.

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Si vraiment vous voulez séjourner ici, je ne peux honnêtement que vous recommander notre lieu de villégiature, Likoudis Villa, qui propose des studios avec de grandes terrasses privatives, piscine d’eau de mer, pierres du pays, poutres apparentes, fresques sur les murs… c’est limite « too much », tant ça se veut folklorique. Mais impossible d’y trouver quoi que ce soit à redire, on sent que l’adorable propriétaire (Pénélope…si si !) s’est mise en quatre pour que ses visiteurs soient rassasiés.

Si Kioni nous a laissée sur notre faim, Frikes a su combler notre appétit de simplicité plus modeste. Imaginez un port minuscule, collé au bas de deux falaises qui contrarieraient les velléités de toute nouvelle construction, où rien n’a changé depuis un demi-siècle (à l’exception gourmande et sucrée d’un fringuant Δωδώνη). Les ruines des belles demeures écorchées durant les tremblements de terre de 1953 sont toujours là, pas question de faire table rase pour construire un hôtel, les villageois vivent avec le souvenir de la colère de Poséidon sous leurs yeux.

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Je crois que je pourrais y passer des heures à ne rien faire, humant le temps qui passe, suivant la course du soleil, la journée rythmée par la vie calme des quarante habitants. Le matin, les pêcheurs aux visages bien burinés remaillent leurs filets après avoir frappé les poulpes sur le quai, les mamies papotent, leur balai à la main, les hommes repeignent de vieilles barques, les chats cavalent, les voiliers prennent la mer. Le soir, les papis refont le monde en prenant le frais, les enfants jouent pendant que les femmes bavardent, savourant leur Frappé, les voiliers sont de retour. Ce Katapola* en miniature agit comme un analgésique, un baume réconfortant, une dimension parallèle où l’on flotte, béat, dans un continuel bien-être, un sourire permanent aux lèvres.

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* l’un des deux ports d’Amorgos, le plus attachant des deux

 

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28 juin 2012

Ithaque, l’unique (prologue)

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« Garde toujours Ithaque présente à ton esprit.

Y parvenir est ta destination finale.

Mais ne te hâte surtout pas dans ton voyage.

Mieux vaut le prolonger pendant des années ;

et n’aborder dans l’île que dans ta vieillesse,

riche de ce que tu auras gagné en chemin,

sans attendre d’Ithaque aucun autre bienfait.

 

Ithaque t’a offert ce beau voyage.

Sans elle, tu n’aurais pas pris la route.

Elle n’a rien de plus à t’apporter. »

 

Κωνσταντίνος Καβάφης          

Extrait Ιθάκη, 1911

 

Pour nombre de voyageurs, l’évocation de cette toute petite île ionienne, séparée de Céphalonie de quelques brasses, fait naître des images épiques, des envies d’errance, des aventures fabuleuses, des héros nobles et intrépides, une épopée légendaire. On aborde Ithaque lesté du mythe, en retenant son souffle, avec un mélange de respect et d’exaltation. La traversée entre Sami et le modeste port de Pisaetos ne prend que 20 minutes, bien courtes pour changer d’époque et d’ambiance. Ithaque, c’est une rencontre forte, une tombée en amour, aussi brutale et définitive qu’a été pour moi la plus belle des Cyclades, Amorgos (d’ailleurs, les deux îles, bien qu’ancrées dans des archipels contrastés, ont bien des points communs).

Les querelles d’archéologues, les empoignades des exégètes homériques, les chicanes entre habitants des ioniennes, les fouilles sans résultat ou si peu, entretiennent le flou sur le lieu exact de l’île d’Ulysse. Chacun se forge sa mythologie selon sa lecture de l’Odyssée. En ce qui me concerne, que ce tout premier routard ait construit son palais ici ou là-bas m’indiffère. Les quelques lieux qui corroboreraient la présence du vagabond de la Méditerranée sur Ithaque, sont bien chiches et déprimeraient par leur discrétion n’importe quel prof de grec. Quelques pièces de monnaie, une unique pierre gravée portent son nom, un lieu désigné en haut d’une colline cerclée de murailles de pierre, habitée des Mycéniens aux Romains, aurait été l’emplacement de choix pour la demeure d’un roi. Mais rien de probant.

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Ithaque, c’est avant tout une terre, deux émeraudes posées sur un saphir, reliées par un isthme de quelques mètres, un havre épargné du développement touristique (pas de plages de sable, quelques criques de galets et de cailloux, les plus belles accessibles uniquement par bateau... que tout l'Olympe en soit remercié !), cinq villages au Nord, une route qui fait le tour de l’île, un chef-lieu au Sud, des monastères, des fresques byzantines, pas de constructions anarchiques, des falaises abruptes (le paradis des chèvres), des zones boisées et de douces collines où le travail de dame Nature reste intact. Je ne sais pas à quoi ressemblait la Grèce il y a 50 ans mais nul doute qu’Ithaque offre encore une sincérité incontestable. Les habitants n’ont pas vendu leur âme au tourisme de masse, à l’argent facile, à une croissance artificielle qui n’entretient que les faux semblants. Les villages restent isolés et silencieux (bémol pour Kioni, j’y reviendrai), les hôtels et les restaurants ne poussent pas comme des mauvaises herbes, l’homme reste discret et humble face à son environnement. Et les quelques touristes qui posent leurs sandales à Ithaque, comme les voileux qui viennent mettre leurs bateaux sous la protection des baies bien abritées, respectent ce caractère unique de l’île.

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Ithaque, c’est un rythme particulier, une atmosphère sereine et paisible, une lenteur communicative, une mise entre parenthèse, une rêverie en solitaire tout éveillé dans un calme permanent, un écrin sauvage, peint de vert et de bleu.

 

22 juin 2012

Délaissez Skala pour Old Skala

Les guides touristiques balisent couramment pour nous les curiosités des pays que nous découvrons, mais il arrive parfois qu’un hasard espiègle enraye l’emploi du temps prévu et nous envoie sur d’autres chemins, bien plus émouvants.

Á la pointe Sud-Est de Céphalonie, on trouve un village anglais*, Skala, station balnéaire sans charme, bâtie récemment dans une totale cacophonie (et son expansion continue de plus belle), un chaos de constructions bétonnées plus hideuses les unes que les autres. Les tour-opérateurs d’outre-Manche y cantonnent leurs ressortissants, qui y rôtissent leur blanche carnation en vase clos. Si vous entendiez parler grec à Skala, ce serait de l’ordre du prodige. Cette édification à marche forcée est d’autant plus dommageable que la plage qu’elle borde est magnifique. Seules, une imposante villa romaine du IVème et ses mosaïques, sont une raison de s’y arrêter.

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Nous préférons poser nos serviettes un peu plus loin sur la petite plage de sable de Kaminia, à Ratazakli, lieu de ponte des tortues de mer. Des jeunes d’une association écologique passent d’ailleurs vers 18h pour ramasser les déchets « oubliés » par les gorets et qui risqueraient de polluer le site.

En rentrant un soir vers Poros, nous avons souhaité essayer un autre chemin, à l’intérieur des terres. On va dire que ma lecture de la carte un peu personnelle et mon sens inné de la désorientation nous ont menés … à Old Skala, ancien village construit sur les hauteurs, totalement ravagé par les tremblements de terre de 1953. Il en reste encore aujourd’hui des ruines, de vieux murs de pierre écroulés, des vestiges poignants, un petit cimetière où certains rescapés d’hier ont choisi de revenir pour l’éternité. Il n’y a en fait plus grand-chose à découvrir sur ce champ du souvenir, la nature reprenant peu à peu ses droits. Mais ce retour en arrière, cette promenade silencieuse sur les traces des premiers habitants de Skala, est comme un modeste hommage que l’on adresse à ceux qui ont tout perdu le 12 août 1953** et que l'on vient saluer, avec amitiés.

 

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* encore que…. Albion n’est pas fils de Poséidon pour rien…

** vous pouvez trouver à Skala une petite monographie de Jean Baker « Memories of the Earthquakes of 1953 », très bien faite et riches de photos d’époque.

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20 juin 2012

Céruléenne Céphalonie

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Le retour à Céphalonie s’imposait… il est parfois étonnant de voir la métamorphose subite de son conjoint en gamin boudeur et grognon, tout chiffon de quitter le petit port de Poros, où nous avions passé une semaine l’année dernière, pour s’en aller découvrir Leucade. J’avais pour mission cet été de le ramener en terre promise, de lui rendre ses petites habitudes estivales, sa plage… et son « yaourt au miel sur la terrasse à l’heure où le ferry arrive ».

Nous avons donc re-posé nos sacs à l’hôtel Oceanis de Poros, (Sud-Est de Céphalonie), que je vous recommande avec emballement : prix gentils, grande piscine, petits-déjeuners généreux, linge lavé gracieusement et situation panoramique qui domine toute la baie.

Si j’avais tenté d’expliquer l’année passée pourquoi nous aimons cette grande île ionienne (c’est ici), on va donner aujourd’hui dans le pratique :

Se rendre à Céphalonie :

Pas d’avion direct depuis la France, passage par Athènes obligé. Ensuite, soit vous enchainez avec un vol Athènes/Argostoli qui vous coûtera un bras sur un coucou d’Olympic Air (05h40 ou 20h35, horaires plus incommodes, on a rarement fait…) ou bien, vous faites comme les vrais gens. Vous vous rendez au terminal A de la gare routière (un quartier d’Athènes un peu moisi mais pas périlleux) pour trois heures de bus pour Patras : vous serez entourés de popes, de mamies en fichus noirs, de grecs qui beuglent dans leurs portables, de papis qui s‘interpellent d’un bout à l’autre du véhicule. C’est très charmant ! Á Patras, vous embarquez sur un ferry de la compagnie Strintzis Ferries qui vous amène au port de Sami (le bus, qui monte avec vous dans le bateau, continue vers Argostoli). Évidemment, vous y laissez une journée, mais on aime ce sas de décompression, ces quelques heures de transition où on glisse doucement d’un pays à un autre, d’une langue à une autre, retrouvant peu à peu nos repères, nos habitudes, nos traces laissées douze mois plus tôt.

Manger à Céphalonie :

Á Poros, voilà deux « cantines » où nous avons nos habitudes, pour des raisons très différentes.

- Ταβέρνα Ηλιοβασίλεμα (Taverne Iliovasilema / Sunset), au dessus du quai des ferries. Cuisine simple et bonne, pas chère et pratique, situé à 20 mètres de l’hôtel Oceanis. On y vient surtout pour sa patronne (qu’on entend en général rire de très loin, on sait toujours quand elle est là…), Βουλα Πετρη, qui aime sa moto, les chats… et la musique. Car la demoiselle chante, et pas qu’un peu (elle a même enregistré deux CD). Il faut venir à l’heure grecque (pas avant 22h), envoyer de bonnes ondes, ne pas la stresser, et si les oracles l’ont décidé, elle prendra sa guitare. Vous passerez alors un bien joli moment, surtout lorsque les tablées de locaux reprennent avec elle des chansons traditionnelles. On a soudain l’impression jubilatoire de faire partie de la famille, de partager une culture, d’être les témoins privilégiés de ce qui fédère une communauté, la fraternité par la musique et le chant.

- Ταβέρνα Ο Τζινας, sur le quai des voiliers. Tenu par un franco-grec, vous allez très bien dîner au bord de l’eau. Les recettes traditionnelles de l’île sont affinées (si vous souhaitez goûter la kréatopita, c’est ici qu’il faut venir) et son agneau au romarin vous laissera tout remué. Excellent bar rôti, desserts goûteux… et puis il a raison de remplacer les sempiternelles frites qui alourdissent les plats par un moelleux gratin dauphinois.

- Nous avons un gros souci avec son voisin direct, Διονυσος, que l’on retrouve dans nombre de guides mais qui ne nous a jamais plu (il faut dire aussi que cette table nous a rendu malades). J’ignore si le propriétaire a changé, s’il s’agit juste de la faute à pas de chance, mais nous ne partageons pas les lauriers qui lui sont souvent tressés. Á vous de voir.

Á deux kilomètres de Sami, nous conseillons avec enthousiasme la Ταβερνα Καραβομυλος, quasiment les pieds dans l’eau, sous l’ombre de grands arbres. Table des dimanches des familles du coin, on y mange très bien (excellent poisson, le patron est pêcheur) et on y trouve même des petits calamars* frais. Et quel bonheur sucré de se voir offrir avec le café des baklavas, aussi bons que ceux de l’Ouzeri Boudaraki de Parikia, à Paros.

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Á Assos, encore un excellent déjeuner au Ο Πλατανος, grande taverne familiale où l’on déguste les produits de leur ferme : J-P maintient son appréciation, les meilleurs Παιδάκια (côtelettes d’agneaux grillées) se mangent là. Carte bien fournie, salades originales, fraîcheur des produits, nous, on aime beaucoup, comme le yaourt au glika de cerises, offert en dessert. Le service des ados de la famille, attentionné et  sincèrement soucieux de votre bonheur gustatif, est très touchant.

La suite au prochain post…

 

*Je sais, B., que l’on doit dire en français « calmars », mais bon, l’usage fait loi aussi parfois…

 

15 juillet 2011

Céphalonie, la douce

Grande sœur de Leucade, située plus au Nord, Céphalonie/Kefalonia est la plus grande et la plus montagneuse des Ioniennes. On la connaît pour une espèce particulière de pins qui ne pousse qu’ici, pour son mont Aïnos qui culmine à plus de 1600 mètres, pour son parc national où vivent en liberté des chevaux sauvages, ses côtes où viennent se reproduire tortues de mer et phoques moines. On y ajoute un vin local très reconnu (le Robola), des grottes et des lacs souterrains, la plage de Myrtos la plus photographiée de Grèce, des villages de pêcheurs de carte postale… une île donc qui mérite le détour.

 

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Tout ceci est bien réel mais reste digne du dépliant touristique. Il se dégage de cette île un sentiment d’apaisement, de respiration profonde et facile en même temps, grâce à ses grands espaces ouverts : les hautes collines n’étouffent pas, les vallées s’épanouissent  sans asphyxier, les routes de montagnes dégagent à chaque large lacet des rivages amples et généreux. On y enverrait bien quelques phtisiques s’y refaire les poumons. Ces 1 000m² permettent aussi à chacun d’y trouver le point de chute qui convient le mieux, selon ses attentes et son niveau de misanthropie : du chef lieu très touristique, vivant et animé (Argostoli), aux stations balnéaires pensées pour les touristes qui pratiquent la bronzette à outrance (Skala, Lassi), en passant par les villages de montagne intérieurs, calmes et silencieux et les petits ports dissimulés aux trop pressés, il serait étonnant de ne pas dénicher son havre de paix. Cette mosaïque permet au voyageur de ne jamais s’ennuyer à Céphalonie.

 

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Si cette île n’a rien de mémorable, de remarquable (Oui, je sais, Assos, Fiskardos...mais très touristiques tout de même), elle est paradoxalement celle d’où on a le plus de mal à s’extirper. Elle accueille, elle reçoit, elle propose et on s’y fond paisiblement, comme si notre empreinte nous y attendait déjà. Ardu ensuite de détacher la patelle de son rocher.

Je soulignerai pour finir l’extrême gentillesse des habitants de l’île qui vous adoptent très rapidement (je parle hors saison…), heureux de vous voir ressentir leur île avec autant de délice et de béatitude.

 

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12 juillet 2011

Leucade, la dissonante

Pour les coutumiers des Cyclades, l’arrivée dans les Ioniennes est un choc. Oubliées les maisons blanches et les chapelles aux toits bleus, les plages douces, les collines arides, la végétation rare… ici nous sommes en paysage montagneux, aux arbres très verts, les côtes sont dentelées, la flore abondante, les maisons plus robustes, les toits protégés de tuiles roses (la saison des pluies dure d’octobre à mars).

Entre Corfou et Céphalonie, se trouve Leucade/Lefkas ou Lefkada (« la blanche »), en référence à la couleur de ses falaises de craie. Cette île est une vraie douche écossaise à elle tout seule : elle offre le pire, comme le meilleur, une nature esquintée mais aussi très préservée, des villages truqués comme des endroits authentiques, des plages abîmées mais des plateaux de montagnes à couper le souffle.

Leucade souffre du fait qu’elle est reliée au continent ; facile d’accès, elle doit absorber le week-end et l’été un tourisme assez envahissant : toute la côte Est est pour moi totalement sinistrée, bétonnée sans plan d’urbanisme, sans respect de l’environnement, les petites plages collées à la route. Il faut fuir Nydri comme la peste, principal centre touristique de cette côte, où comme le souligne un guide bien connu, le grec est la seule langue dont on n’a pas besoin : tout y est fait pour le tourisme bas de gamme.

Leucade est surtout reconnue pour ses plages de la côte Ouest, qui ornent bon nombre de calendriers, de dépliants ou de sites sur la Grèce. Porto Katsiki, Egremni, Gialos, Kathisma, sont des endroits d’une très grande beauté, aux eaux turquoises, protégées par de hautes falaises crayeuses. Mais, et ce mais est d’importance, elles sont toutes aménagées dès le début de saison, avec des parasols et des transats sur 5 à 6 rangées tout le long du rivage. On image ces endroits en avril et en mai, quand tout ce foutoir ne pollue pas encore la vue et les oreilles.

 

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Mais faut-il alors passer par Leucade ? Eh bien oui, mais pour ses montagnes, ses modestes villages intérieurs, ses monastères en ruine si paisibles, ses deux petits ports du Sud (Vassiliki et surtout Sivota), pour son Profitis Ilias (seul toit bleu de toute l’île), pour ses sommets dans la brume, ses routes en lacets dans les genêts et les oliviers, ses plateaux désertiques où souffle un vent du diable (Englouvi).

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L’intérieur de l’île secrète un réel enchantement. Vous y serez certainement tout seuls, avec quelques troupeaux de chèvres et leur pâtre qui se demandera ce que vous faîtes sur ses hauteurs au lieu de bronzer idiots. Vous vous perdrez beaucoup à la recherche d’églises oubliées, vous croiserez un peintre hollandais dans une chapelle dont le vent fait tinter les cloches, vous aurez une pensée pour Sappho en arrivant au Cap Doukato et vous l’aimerez beaucoup, cette île de Leucade, le cœur empreint d’un sentiment de plénitude, de la certitude d’un lien unique avec une nature protégée, d’une révélation improbable, de grands moments de bonheur à la découverte d’endroits dérobés, discrets, qui font aussi de Leucade une île miraculeusement préservée.

 

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