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Le Présent Défini

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3 mars 2013

Hunger… à corps perdu

AfficheSteve McQueen – 2008

Caméra d’or du Meilleur premier film au Festival de Cannes 2008

Le thème d’un post dépend parfois de peu de choses : j’allais tenter de vous donner envie de vous plonger dans la vaste fresque d’Angelopoulos, Le voyage des comédiens, rien que pour faire bisquer P, à qui la lenteur de la narration donne des migraines et une irrésistible envie de somnoler. Je m’occuperai de son scepticisme plus tard car je suis tombée par le plus grand hasard sur un documentaire retraçant les hauts faits de Margaret Thatcher durant les douze années passées au 10 Downing Street, le genre de reportage qui me fait pousser les canines et me donne envie de les planter dans les mollets de ses vieux courtisans, toujours disposés à laver ses mains pourtant bien rougies. L’apologie d’une femme qui a laissé volontairement mourir les résistants irlandais me laisse perplexe : avant que ses hagiographes ne s’arrangent avec des faits déshonorants, il faut revenir sur le premier film de l’anglais Steve McQueen, Hunger, qui retrace le quotidien carcéral des opposants républicains dans l’Ulster occupée, au début des années 80.

En mars 1976, les Travaillistes anglais abrogent le statut spécial de prisonnier politique appliqué aux contestataires irlandais, qui deviennent de fait, des prisonniers de droit commun. Nier ce statut, c’est refuser la spécificité de leur combat, donc sa légitimité, son existence même. La voix sucrée et satisfaite de Margaret Thatcher qui parvient jusque dans les cellules, le rappelle clairement ; « There’s no such thing as political bombing, political murder or political violence. There’s only criminal bombing, criminal murder and criminal violence… there’ll be no political status. » Les détenus de la prison de Long Kesh, qui se voient dépouillés de leur cause indépendantiste, refusent de porter l’uniforme réglementaire des criminels et organisent une rébellion avec la dernière arme contestataire qu'il leur reste, leur corps. Steve McQueen le souligne dans une interview : « Hunger a des résonances contemporaines. La conception du corps comme champ de bataille politique est une notion des plus actuelles. Il s’agit de l’acte de désespoir ultime car le corps humain est la dernière ressource de contestation. » Les détenus républicains « survivent » alors entièrement nus sous une simple couverture, dans des cellules glaciales et humides, et lancent la « Dirty protest », la grève totale de l’hygiène. Ils macèrent dans leur crasse, maculent les murs d’excréments et balancent leurs urines dans les couloirs, dorment à même le sol parmi les cafards et la nourriture avariée qui pourrit, grouillant d’asticots.

Conçu comme un triptyque, la première partie du film, silencieuse, comme une chape de plomb qui s’est refermée, nous plonge dans l’ordinaire de ces hommes qui croupissent dans leurs antres putrides, avec des images brutes au cadrage serré, limite cliniques, de longs plans fixes tournés en lumière naturelle ; ils n’en n’émergent que pour des passages à tabac, des fouilles anatomiques dégradantes, des savonnages barbares d'où ils reviennent couverts d’hématomes et de sang.

dirtyprotest 504FilmwHunger

         La réalité de la Dirty Protest (DR)                                           La fiction de la Dirty Protest

Le réalisateur choisit de ne pas rappeler le contexte historique du film, de ne donner aucun détail sur les motifs qui ont mené ces hommes jeunes en prison pour de longues années de cruauté, de ne pas s’appesantir sur le parcours factuel du héros Bobby Sands (membre de l’IRA, martyr pour les uns, terroriste pour les autres), de décorréler les événements réels fameux du rythme singulier de sa narration : volonté de ne pas alourdir le film d’une emphase, d’une vision dichotomique, d’une émotion facile ou de grands discours idéologiques convenus. Ce qui se passe dans ce quartier H de Long Kesh pourrait donc être transposable dans des prisons actuelles non moins célèbres et la cause des Irlandais, à d’autres combats.

Mais Steve McQueen, d’abord plasticien avant d’être cinéaste, confère à ses images une beauté assez inattendue, vu le contexte scato : les barbouillages muraux « organiques » deviennent des fresques aux motifs étudiés très graphiques, les détenus aux cheveux longs, émaciés par les privations, la couverture autour des reins, ont tout d’un Christ du Greco. Quand ils sont roués de coup, entre deux rangées de flics armés jusqu’aux dents, l’analogie avec le chemin de croix crève l’écran. Et lorsque le visage de Bobby Sands est saisi en gros plan, la joue collée à un tabouret, le cou tordu solidement enserré entre les mains d’un maton qui lui coupe les cheveux de force, Artemisia Gentileschi et Le Caravage ne sont pas très loin.

La figure du sauveur sacrifié pour une cause, s’impose alors dans la deuxième partie du film, long face à face prodigieux de 22 minutes, dont 17 en une seule prise continue,  entre Bobby Sands et un prêtre. La parole retenue dévale comme un torrent, d’abord sous la forme d’une conversation badine, amicale et rapide, avant d’en venir à l’ultime décision de Sands, une grève de la fin dont il sait qu’il ne reviendra pas, comme ses frères d’armes : jusqu’où un homme peut-il aller pour une cause, un idéal, sa liberté ? Le prêtre lui oppose une version morale de ce dilemme : jusqu’où un homme a-t-il le droit d’aller pour sa liberté ? Quel est le bien-fondé d’un tel jusqu’au-boutisme ? Pourquoi refuser le dialogue, certaines concessions, mais qui sauveraient des vies, au profit d’un acte égoïste et suicidaire ? Bobby Sands préfère mettre fin au jeu de dupes de Thatcher, aux négociations sans fin, aux fausses promesses, qui n’ont généré que violences et humiliations supplémentaires : il agit, pour renvoyer le pouvoir à ses responsabilités et montrer au monde la propre violence de l’état, qui n’a rien à envier aux poseurs de bombes : le Premier ministre les verra en effet mourir, les uns après les autres, sans un mot.

face___face

 

La longue agonie silencieuse de Sands, durant 66 jours, forme le dernier volet du film et renvoie à l’ultime dégradation du corps : l’image s’allège, saturée de lumière blanche, pour accompagner des souffrances atroces dont Steve McQueen ne cache rien, jusqu’au dernier souffle d’un organisme à bout de course, clouté d’escarres. Michael Fassbender*, lui-même à moitié Irlandais, incarne le leader républicain avec les égards qu’il faut : pas de sur-jeu, de performance revendiquée, aucune crânerie, l’acteur se tient presque en retrait, comme un simple élément au service d’une image crue, mais d’une saisissante beauté.

3

 

Hunger n’est, en conclusion, ni une page d’histoire, ni un plaidoyer pour la cause irlandaise ou une dénonciation des violences carcérales: c’est une œuvre d’art, une Passion des temps modernes, où un support, le corps humain, devient matière à s’opposer, donc hélas, à se détruire.

 

* L’acteur retrouvera Steve McQueen dans un second film en 2011, tout aussi dérangeant, Shame.

 

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16 février 2013

Gargantuesque salade russe… chez Shteyngart

9782757827055Absurdistan, roman de Gary Shteyngart

Éditions de l’Olivier,  2008 - Traduction Stéphane Roques

L’Himalaya de l’incongruité métropolitaine ne m’était pas arrivé depuis le Podium de Yann Moix : j’entends par là l’éruption impérieuse d’un fou-rire sonore*, qui vous jaillit du gosier sans faire-part préalable. L’ambiance matinale des transports en commun parisiens faisant passer un convoi funéraire au petit matin brumeux pour débonnaire et folâtre, il m’a fallu essuyer les bobines scandalisées des usagers bilieux et leurs œillades homicidesques : sous terre, le rire est proscrit, sous peine de mise à l’Index. Et pourtant ! Quel emplâtre à la déprime que ce deuxième roman de Gary Shteyngart (le troisième, Super triste histoire d’amour, m’avait déjà plus qu’emballée) ! Je ne sais pas à quoi carbure le romancier russo-américano-juif-agnostique, mais j’en prendrais bien aussi un peu beaucoup, sans modération : le cerveau de ce gars-là doit tressauter dans un pogo permanent.

Pas la peine de chercher sur un Atlas, l’Absurdsvanï, « perle de la Caspienne », petite République du Caucase, terre de pétrole et de vignes, judicieusement rebaptisée Absurdistan par ses habitants, est née de l’imagination de Shteyngart :  Daguestan ou Azerbaïdjan du pauvre, cette enclave instable et rustique, « placée après le Bangladesh par les Nations Unies dans le classement des pays les plus développés », est le théâtre fictif d’une fable désopilante sur la toute puissance des multinationales sans foi ni loi, la corruption généralisée, la manipulation des masses, le mépris absolu des populations que l’on massacre pour accroître ses marges. L’auteur y parachute à mi-roman son héros trentenaire, Micha Borissovitch Vainberg, « sophistiqué et mélancolique » (!), Américain consigné dans un corps de Russe en net surpoids, saturé d’alcool et d’anxiolytiques, piteux rappeur à ses heures sous le nom de Snack Daddy, un crétin céleste, un innocent qui ne voit son salut qu’au pays de l’oncle Sam. Combinaison truculente d’un Oblomov et d’un Mychkine croisé avec Gargantua, Micha revient dans sa Saint-Pétersbourg natale après des années passées à Manhattan, flanqué de son valet Timofei, de son meilleur pote ricain Aliocha-Bob et de sa fiancée Rouenna, ex-pute du Bronx. Pour le malheur de Micha, son papouchka n’est autre que le tout puissant mafieux Boris Vainberg, aux mains tachées du sang d’un homme d’affaires de l’Oklahoma. Dans le Far-East qu’est devenue la Russie, l’oligarque se fait à son tour dessouder à l’arme lourde par son ami et associé Oleg l’Élan, et son cousin syphilitique Zhora. Le crime du père défunt ferme les frontières de l’Amérique à l’orphelin éploré, et Micha se démène alors pour quitter son pays natal, « pays de péquenauds fouineurs » ; il compte sur un obscur conseiller à l’ambassade de Belgique, basé en Absurdistan, pour lui obtenir un passeport du plat pays contre gros virement d’un compte off-shore. L’ingénu potelé débarque alors en terre promise, corrompue par des compagnies pétrolières occidentales voraces qui n’hésiteront pas à déclencher une guerre civile bidon pour protéger les intérêts géopolitiques de leurs maisons-mères.

Roman traversé d’une folie et d’une audace permanentes, Absurdistan enchaîne les scènes délirantes comme un long cartoon survolté, s’accordant une totale liberté de point de vue et un culot incommensurable : Shteyngart piétine, caricature, ridiculise, brocarde avec une plume dense trempée dans l’acide et un humour mordant. Il use et abuse du comique de répétition, de ces phrases préfabriquées que les personnages serinent comme des pantins lobotomisés, il démolit les mythes, les croyances, le sacré, stigmatise les puissants comme les pauvres, tous pourris à leur échelle. L’Absurdistan abrite ainsi un schisme religieux antédiluvien entre ses deux peuples, les Sevo et les Svanï, séparés durant trois cents ans que durât la « guerre de Sécession du Repose-Pieds du Christ » : penchait t-il vers la gauche ou vers la droite, après le larcin d’un morceau de la "sainte croix" par un larron arménien ? On tue pour une simple question de géométrie relative, dans ce beau pays à la rancune tenace.

Gary Shteyngart vitriole tout autant sa propre religion d’origine avec la même gourmande allégresse : éphémère ministre des Affaires sevo-israéliennes après le coup d’état contre les Svanïs, Micha rédige un désopilant projet d’Institut d’études caspiennes de l’Holocauste. J’accorde que le sujet ne semble pas immédiatement enclin à distendre le zygomatique mais le quinzième degré dynamité qu’enfourche l’auteur ferait se rouler par terre tous les juifs de la planète portés sur l’autodérision, et les autres itou.

On aimerait citer des paragraphes entiers, tant l’auteur uppercute son lecteur et le surprend à chaque page : descriptions décalées, syntaxe opulente, goût marqué pour la parodie et la dérision amère, il décrit ainsi Saint-Pétersbourg dans des termes étonnants : « …la rivière Fontanka battue par les vents, la silhouette difforme de ses immeubles du dix-neuvième siècle interrompue par le butoir postapocalyptique de l’hôtel Sovietskaïa, l’hôtel entouré par l’alignement symétrique de maisons jaunissantes et imbibées d’eau ; les maisons à leur tour, entourées de cabanes en tôle ondulée proposant, dans le désordre, un bazar de CD pirates, un casino Mississippi ad hoc (« l’Amérique est loin, mais le Mississippi est proche »), un kiosque vendant des barils de salade de crabe, et la traditionnelle cahute de kebabs syriens avec ses immuables relents de vodka renversée, de chou avarié, et d’une sorte de vague inhumanité flottante ».

Roman d’un dépressif nihiliste qui manie l’humour très noir pour supporter l’insupportable de notre époque déjà cuite, Absurdistan est un des ces textes rares et brillants, qui devrait être remboursé par la sécu.

 

* Cause de cette hilarité ? Le récit abracadabrantesque de la circoncision du héros russe très grassouillet de 18 ans, totalement ignorant du rite religieux, par des Hassidim de Brooklyn, bourrés comme des coings.

 

3 février 2013

Ménélas Rebétiko Rapsodie, au Grand Parquet : monologue poignant d’un monarque brisé

Menelas_rebetiko_rapsodie_portrait_w193Ménélas n’a pas bonne presse : coincé entre son frère Agamemnon et les héros Achille ou Ulysse, le pauvre bougre en porte lourd sur la tête, raillé dans toutes les mémoires par Offenbach :

« Je suis l’époux de la reine, poux de la reine, poux de la reine : le roi Ménélas.  Je crains bien qu’un jour Hélène, qu’un jour Hélène, qu’un jour Hélène, je le dis tout bas, ne me fasse de la peine, n’anticipons pas. »

Comment dire… l’image du roi de Sparte, valeureux, batailleur et sans tâche prend un sérieux tampon : cocu brocardé, benêt trop confiant, la gaudriole en berne, le pauvre gars n’a eu, dans La Belle Hélène que ce qu’il méritait, la fuite de sa femme sous les quolibets goguenards. On se demandait donc ce que Simon Abkarian, formé au Théâtre du Soleil, à tu et à toi avec Shakespeare, Euripide et Eschyle, allait chercher chez ce mari bafoué. La présence à ses côtés, sur scène, d’un joueur de bouzouki et d’un guitariste grecs, augurait d’un mélange suffisamment insolite pour foncer vers la gare du Nord. Pour ceux qui l’ignorent, le Grand Parquet tient de la roulotte, du cabaret d’un soir, d’une salle éphémère aux murs de bois, tendue de toile, où l’on s’entasse sur des quasi bancs bien durs (fesses callipyges recommandées) dans un joyeux bordel. Fi des constipés, le spectacle pouvait commencer.

La scène a tout de la taverne :  une table, trois chaises, des verres épais et des petites flasques d’ouzo, éclairés par une guirlande de loupiottes, deux musiciens qui tirent en vrai sur d’authentiques clopes (pas de doute, nous sommes bien dans le XVIIIème un peu fumeux) en effleurant leurs cordes. Arrive un homme tiré à quatre épingles, le cheveu noir gominé, mais courbé, cassé, le regard balayant le sol, qui s’affaisse sur la dernière chaise, à leur côté. C’est Ménélas, à mille lieux de sa caricature, qui nous rappelle en même temps, tout de même furieusement, de par son physique, la stature et le rôle, la marionnette traditionnelle et populaire Karagheuz. Car durant une heure et demie, cet homme va parler d’amour, d’amour fou, comme un illuminé, un enragé, un être rongé, détruit par le plus violent poison qui soit. Ménélas vomit sa douleur, hurle son désespoir, maudit l’infidèle, l’insulte, foule aux pieds son souvenir. Et puis, de cette tragédie, émane aussi telle une onde furtive, une infinie douceur, l’évocation des jours radieux, un bonheur limpide et simple, la joie d’avoir été choisi par Hélène entre tous. Abkarian brise en deux ce roi, qui devient son propre contradicteur, oscillant entre la soif guerrière de vengeance dans une violence sans limites et son penchant naturel pour la vie, les plaisirs, la danse. Le verbe est rude, âpre, cru, et parcourt toute la gamme du tourment amoureux, du crachat à la supplique. Ménélas passe de l’acide sur ses plaies ouvertes en imaginant les ébats de sa femelle et du troyen, dans les détails les plus salés. Le public se défait alors en même temps que cet homme à terre, les yeux écarquillés devant ces visions exacerbées terrifiantes. Qu’importe que cet homme dément soit roi de Sparte ;  cet abîme où il sombre est celui au bord duquel chacun déambule.

Pas étonnant que la prose d’Abkarian se mêle au chant des rues, à la mélancolie du bouzouki, aux plaintes grinçantes du rebétiko. La passion d’un homme pour une femme qui l’a quitté redevient contemporaine, et on ne sait plus qui danse, qui tournoie sur scène, souple et gracieux, un monarque guerrier ou un pauvre bougre largué du Pirée. On en demanderait d’ailleurs bien davantage côté musique, envouté par la voix de Grigoris Vasilas, qui malmène aussi son Ελενη, en écorchant ses cordes.

Et l’on voudrait que cela dure longtemps encore, pour s’émerveiller de ces rois tombés à genoux, de ces hommes qui dansent et chantent entre eux, sans honte de leurs larmes, comme des rhapsodes d’un autre temps.

 

29 janvier 2013

Pays Natal, théâtre des Amandiers

theatreCréation collective librement inspirée des œuvres de Dimitris Dimitriadis : Léthé et Nous et les Grecs

Πουλακι μου a fait preuve de sagacité en m’envoyant à Nanterre : j’appréhendais un spectacle lisse sur la Grèce d’aujourd’hui, le discours bien huilé rebattu, la dette, la crise, l’Europe, les banquiers, la spéculation, les affreux politiciens qui se repaissent sur le dos du gentil peuple innocent, bref, les raccourcis confortables et stériles qui n’expliquent rien et qui m’avaient beaucoup irritée dans Khaos. Mais magie du théâtre, de la mise en place de scènes qui font sens, de la réflexion qui émerge peu à peu du magma, je suis sortie toute requinquée après cette heure et demie de spectacle, passée avec quatre jeunes comédiens (deux d’entre eux sont nés et ont grandi en Grèce) pertinents et subtiles.

Aucune velléité de coller comme des sangsues à l’actualité, d’enfiler des évidences, de jouer les apprentis sociologues, de faire pleurer Margot, les acteurs posent la bonne question, celle de l’identité, « qu’est-ce qu’être grec aujourd’hui ? ». Et si cette crise économique, sociale, politique était avant tout une crise historique, une crise philosophique, celle d’un pays entravé par un passé considérable, arrivé dans une impasse parce qu’il n’a pas su se réinventer ? 

Les acteurs entremêlent leurs expériences, leurs regards, leurs préjugés aussi sur leurs pays respectifs, dans une suite de saynètes, de sketchs, qui oscillent entre le grave et le burlesque, l’émotion et le rire. Décor minimaliste, accessoires symboliques, projection de photos et de vidéos sur le fond de scène, pas besoin de plus pour se retrouver à Syntagma, papoter avec un Evzone silencieux, couvrir les manifestations des Indignés, visiter le Parthénon, écouter les doléances d’un marchand de souvenirs, suivre un cours d’économie avec un financier qui déraille et se heurter aux fonctionnaires corrompus. Chaque pays en prend pour son grade, ça grince gentiment, avec taquinerie et sans mépris quand soudain, le fauteuil semble moins confortable : les deux acteurs grecs appuient là où ça fait mal, raccrochent, l’espace de quelques répliques rapides, avec l’actualité la plus sombre et le quotidien d’un peuple qui endure l’insupportable.

Et puis, pour nourrir ces jeux de réparties, ces tranches de vie bien senties, pour les sortir de leur caractère « anecdotique », les comédiens portent les textes poétiques de Dimitris Dimitriatis, dramaturge et traducteur né à Thessalonique en 1944, qui, comble de l’ironie pour un pays nanti d’un tel passé historique, prône l’oubli comme seul facteur possible d’évolution. La ligne mélodique du spectacle devient alors plus lyrique, plus profonde et laisse entrevoir un autre champ du possible, un renouveau là où on ne l’attendait pas :

« Nous, habitants de cette région géographique, n’avons que le droit de regarder les Grecs comme si nous leur étions étrangers.

Les regarder comme s’ils étaient des étrangers.

Nous-mêmes comme des non-Grecs.

Considérés comme des non-Grecs, que sommes-nous?

Des habitants d’une région géographique, jadis habitée par des gens qui avaient essayé de devenir quelque chose. Leurs efforts et ses fruits les avaient rendus Grecs.

Nous ne faisons aucun effort similaire. Parce que nous croyons que nous sommes Grecs.

Nous ne sommes pas Grecs. Nous ne sommes Rien.

Seule cette certitude produit de l’énergie, motive, pousse à l’effort d’arriver au but.

…Dans ce Rien l’annonce la plus réjouissante est prononcée, l’unique réelle annonciation.

Que dit-elle?

Elle dit: Voilà le vrai départ, en route, tout est possible, dépiégez-vous, désengagez-vous, osez le dégagement des mensonges et des masques, n’ayez pas peur, il y a aussi d’autres personnes et d’autres narrations, passez des stéréotypes à la boue brute, du regard glacial au regard plongé dans l’abîme. Formez le feu.

Terrible exigence.

Elle demande de la créativité.

Du risque. De l’audace.

Elle demande de la vie. »

En juin 2012, dans les colonnes du Monde, la voix singulière de Dimitris Dimitriatis s’était désolidarisée des analyses convenues en scrutant l’évolution de son pays et en appelant à « un sursaut moral profond » : système politique clientéliste hérité de l’occupation ottomane, main mise des deux partis dominants sur l’État et ses richesses, corruption généralisée… « C’est tout cela qui me fait dire que le pays est déjà mort, et qu’il faut l’accepter : tout balayer, pour recommencer depuis le début. C’est cela, la conscience historique ». Dimitriatis n’a pas dû se faire que des amis lorsqu’il assène : « je me dis que les Européens ont raison de vouloir frapper le pays. Il m’arrive de penser qu’il ne faut pas qu’ils aient pitié, parce que vraiment, il faut le dire, le peuple grec aussi est coupable : il a vécu dans une facilité et une frivolité le conduisant à accepter tous les arrangements. »

En écoutant les quatre comédiens relayer la position de l’écrivain, le public français comprend très bien que ce constat sévère dépasse largement les frontières de la Grèce : la fin d’un cycle historique englobe toute l’Europe, la crise économique et politique n’étant que la partie visible d’une civilisation en train de disparaître au profit d’autres, plus jeunes, plus innovantes, plus audacieuses. Le rétablissement d’une certaine prospérité, la restauration de la situation antérieure à 2008 ne serait pour lui qu’un retour en arrière faussement confortable qui ne ferait que nous berner : une Nuit du Quatre Août est préférable à une stagnation, aux réflexes d’autoprotection d’un peuple « condamné à n’être que le répétiteur passif de stéréotypes, exclu par lui-même de l’effort qui conduit un peuple à se créer lui-même … il vit dans l’illusion historique d’une immortalité immuable, et il en meurt. ». 

Pays le plus meurtri de l’Europe, La Grèce pourrait alors être le berceau d’une toute nouvelle civilisation, détachée de ses mauvaises habitudes amorales et consuméristes du XXème siècle : la crise comme point de départ, comme renouveau, prise de conscience d’une nouvelle humanité.

 

21 janvier 2013

Faust… et la lumière fut !

faust_afficheFriedrich Wilhelm Murnau - 1926

 

Ich bin der Geist, der stets verneint! Und das mit Recht; denn alles, was entsteht, Ist wert, da es zugrunde geht.

Je suis l’esprit qui toujours nie, et c’est avec raison, parce que tout ce qui existe mérite d’être détruit.


Faust, Goethe - Chap. 6 “Cabinet de travail”

 

Il est assez exceptionnel de rester quinquets écarquillés et bouche ouverte durant deux heures devant un vieux film des années vingt, muet, où s’affrontent le Bien et le Mal pour l’avenir de l’humanité. Ceux qui ont enduré le supplice de la grammaire allemande retorse à l’école n’ont pas pu échapper au Faust de Goethe ; toutefois, Murnau s’affranchit de la pièce de 4 615 vers pour une relecture personnelle et dégraissée du mythe, plus proche de cette « légende populaire allemande » que d’une réflexion métaphysique, et transpose à l’image, ce qui n’était souvent que suggéré chez le poète : le thème majeur reste le même, mais les arrangements prennent le large. En effet, avant de devenir le réalisateur que l’on sait, Murnau a étudié l’histoire de l’art et va nourrir son cinéma de références picturales, d’études sur les grands maîtres de la gravure et de la sculpture.

Sa vision de Faust ne doit donc pas seulement être rattachée à un expressionnisme allemand finissant dont il reste, il est vrai, encore des scories (lumières contrastées, lignes obliques des décors, surjeu d’Emil Jannings…) mais ouvre la voie à des œuvres comme celles d’un Dreyer, qui partagera avec lui, non seulement le goût pour les peintres flamands, mais surtout une même prédilection pour les plans fixes, ces tableaux vivants où fusionnent peinture et cinéma, magnifiés par une photographie sublime. Murnau étudie minutieusement l’iconographie de la légende et reste fidèle à l’imagerie d’August Von Kreling, à la peinture sacrée de Rembrandt et à ses estampes, au clair obscur d’un  La Tour et au drapé du Bernin.

August_von_Kreling murnau2

Il plonge ensuite les mains dans cette matière malléable qu’est la lumière pour lui faire dessiner les profondeurs, les contours, sculpter les corps et les visages en relief par des contrastes marqués, « si Faust est le plus pictural de ses films, c’est que le combat de l’ombre et de la lumière en constitue le sujet », souligne Eric Rohmer, in « Organisation de l’espace dans le Faust de Murnau ». La lumière exacerbe la dramaturgie, dessine la dualité de l’âme humaine, où la clarté lutte contre les ténèbres, modèle des atmosphères fantastiques et cauchemardesques, des brouillards oppressants, des brasiers méphitiques, puis elle irradie, douce et délicate, quasi divine pour faire rayonner l’Archange et la pure Marguerite.

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Murnau s’éloigne de Goethe dès les premières images, en plaçant Méphisto dans l’angle inférieur droit du cadre, soumis à l’ange, qui accepte le défi suprême, éprouver un homme vertueux, l’alchimiste Faust, pour décider des forces qui règneront sur le monde. L’imagerie de Satan, du tentateur, est à l’antithèse d’un diable envoûtant, fascinant ou inquiétant. Tour à tour créature cornue et narquoise, puis vieillard épais grimaçant aux cheveux filasses enveloppé d’un cache-misère crasseux, enfin engoncé dans de la soie noire, le visage grimé comme un acteur de théâtre ridicule sur le retour, ce Méphisto-là n’a pas la beauté du diable : Murnau le destitue de son aura, l’échec est annoncé.

Si chez Goethe, le vieux Faust vend son âme par ennui, par orgueil ou par vice, le réalisateur allemand fait de lui un homme rongé par son incapacité à endiguer une épidémie de peste exhalée par Satan sur la ville. Faust échoue à soulager les siens et voit ses certitudes d’homme de sciences vaciller : il brûle alors ses livres (la raison), sa bible (la foi) et se tourne vers ce qui lui semble la seule puissance capable de sauver l’humanité. Faust est présenté comme un être bon et pur, qui se perd avant tout pour racheter les fautes de ses semblables. Murnau refuse aussi d’en faire un assassin, laissant le soin à Méphisto de porter le coup fatal au frère de Marguerite lors du duel. Et surtout, il sauve l’âme de Faust, qui finit sur le bûcher aux côtés de Marguerite, abjurant ses fautes, racheté par son amour, « qui expie les pêchés des hommes ».

Faust est un film à voir et à revoir, pour admirer la composition de chaque image, des premiers plans entrés dans la légende, avec ces créatures revenues des enfers caracolant sur des chevaux putréfiés, et Méphisto, telle une gigantesque chauve-souris, qui étend ses ailes sombres au dessus du monde pour répandre la peste dans un souffle. Mais aussi pour Faust, appelant le Malin, ceinturé d’anneaux de lumière, que Fritz Lang utilisera l'année suivante dans Metropolis, et surtout pour cet unique travelling arrière (très peu de mouvements de caméra dans ce film) dans la chambre de la Duchesse de Parme, où la lumière oscille, hésite, comme l'alchimiste qui ne sait plus très bien où est le bien, où est le mal (cf : même plan, la bougie remplacée par une ampoule, dans Le Corbeau, où Clouzot se souvient aussi des leçons de Murnau).

ailes

cercles

 

 

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10 janvier 2013

Crimes et châtiments…

7742745799_la_tristesse_du_samourai_de_victor_del_arbol_actes_sudLa Tristesse du Samouraï, roman de Victor Del Arbol, Prix du Polar Européen 2012

Éditions Actes Sud, 2012 - Traduction Claude Bleton

Ce serait bien raisonnable d’abandonner cette habitude de démarrer chaque nouvelle année avec des romans lugubres et cafardeux. Il faut croire que post festivités animal triste et que le ciel parisien humide nous plombe un peu beaucoup l’allégresse. Autant toucher le fond promptement avec ce remarquable roman qui n’a de policier que l’emballage. Victor Del Arbol reprend le schéma classique d’un crime originel, attribué à tort à un innocent, qui provoque sur plusieurs générations et au sein de trois familles, un déchaînement de violence aveugle, d’implacables vengeances, la transformation des victimes en bourreau, un cycle de destruction où les agneaux doivent racheter les crimes des loups.

Le lecteur va et vient au rythme disloqué de la narration, de l’Espagne de Franco à celle de Suarez, d’Estrémadure en Catalogne, en passant par le front russe, près de Leningrad : quarante années de destinées perdues, au nom d’une idéologie fasciste façonnée pour l’ambition sans limite des plus pervers, dénués de morale et de vertu. « Mes loyautés ne concernent que l’état », assène le premier d’une longue liste de tortionnaires, alors qu’il liquide sur ordre, mais sans remords, la femme trop réfractaire aux bruits de bottes d’un haut phalangiste, dont il était pourtant l’amant. Dans une société où tout n’est qu’obéissance, manœuvrer, ourdir des complots, simuler des attentats, trahir, supprimer des Justes, poursuivre une lignée et la saigner à blanc, pour défendre et préserver sa place sur l’échiquier politique, rien de bien nouveau pour les porteurs de chemises bleues ou noires (« Le pouvoir, la vengeance et la haine étaient plus forts que tout, les hommes étaient capables de tuer ceux qu’ils aimaient et d’embrasser ceux qu’ils haïssaient, si cela pouvait les aider à réaliser leurs ambitions »).

Le roman se fait glaçant et inconfortable lorsque, sans le vouloir, sans savoir les infâmes secrets de leurs pères, les fils des uns perpétuent les comportements déviants, la violence comme seul remède dépuratif,  pendant que les autres se doivent de porter et d’expier le péché fondateur : « en vous se perpétuent les crimes de votre père. C’est une sorte de jeu machiavélique et tordu où la vie se répète inlassablement et nous empêche de sortir de la ronde ». L’ignorance ne rachète pas la faute, si tant est qu’un seul des personnages soit innocent. Maillons d’une chaîne de tourments, les personnages qui agissent en 1981, ne sont en fait pas si éloignés des salopards de 1941, juste un peu laqués d’hypocrisie et de bonne conscience. S’ils ne versent plus froidement le sang, leurs silences, leurs compromis tièdes, la fuite devant leurs responsabilités, drapées dans une stature morale faussement rigoureuse, font d’eux des êtres lâches et médiocres. Il se dégage du livre une vraie angoisse funeste, une tristesse perpétuelle des personnages, une atmosphère de nuits indéfiniment froides et pluvieuses, une Espagne lestée de fantômes sanguinaires qui n’auraient pas trouvé la porte des Enfers.

Et le livre, dont le titre renvoie au nom du sabre d’un courageux samouraï, qui a préféré la mort au déshonneur, nous dit que si la Justice réconfortante des hommes est une chose, la Vérité est tout autre. C’est pourquoi il résonne selon moi, non pas d’accents shakespeariens (folie meurtrière, roue sans fin du destin, tragédie familiale…), comme certains critiques l’ont écrit,  mais plutôt d’un désespoir très dostoïevskien : « Les hommes ont été créés pour se faire souffrir les uns les autres ». Victor Del Arbor épargne peu ses personnages et si les seuls survivants, tels Raskolnikov, arrivent au salut et à la paix, c’est après avoir brisé les cercles de la douleur et de la haine dans une danse macabre impitoyable.

 

4 janvier 2013

Exposition Bohèmes, Grand Palais… « La bohème, ça ne veut plus rien dire du tout ».

Quelle déconvenue cette exposition ! Pour décevoir avec deux cents toiles de grands maîtres, il suffit de les associer autour d’une thématique trop vaste, fourre-tout, que l’on sent un peu forcée, limite frelatée. Peut-on se contenter d’arracher aux forceps, du destin d’un peuple arrivé en Europe au XVème siècle, la naissance d’un mouvement littéraire, trois siècles plus tard ? Ce genre de chemin de traverse rectiligne transpire le lieu commun, la pensée courte, le poncif convenu et quelques facilités. Car il ne suffit pas de conjuguer la Bohème au pluriel, pour faire correspondre la tragédie d’un peuple nomade et Puccini.

Pour faire simple, l’exposition se scinde en deux époques, sur deux étages : le premier dédié à la fascination des artistes européens pour les tziganes, et le second, au vécu volontaire de cette vie d’errance par les artistes parisiens du XIXème siècle : vagabondage pictural, fantasme d’une existence libre de contrainte, évocation d’une vie en marge qui protège une identité, puis chimère de l’artiste littéraire maudit, génie solitaire, incompris, qui crève dans sa soupente. Ça fait beaucoup pour une seule exposition.

D’autant que les toiles de la première partie sont de pures merveilles pour les yeux : Léonard de Vinci, La Tour, Watteau, Manet, Corot, Renoir, Courbet, Van Gogh… on ne sait plus où donner de la prunelle. Les couleurs vibrent, les violons s’agitent, les bohémiennes dansent une ronde folle, les filous filoutent, les diseuses de bonne aventure ricanent, les belles brunes aux yeux de braise ensorcèlent, les tambourins palpitent, comme dit le poète « les parfums, les couleurs et les sons se répondent ».  Je suis restée plantée de longues minutes devant le Jeune Bohémien serbe de Charles Landelle (1872), portrait d’un adolescent aux grands yeux noirs bordés de khôl, tunique brodée et chemise blanche ouverte sur une peau pâle et lisse, qui tranche avec ses boucles sombres. Le visage est encore androgyne, mais ses lèvres trop pulpeuses et son regard bien hardi attrapent tous les visiteurs, comme un ange tentateur et ensorcelant.

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Évidemment, rien d’ethnographique dans ces tableaux. La mode est à l’exotisme, à l’orientalisme, au pittoresque, au campement joyeux des musiciens, aux déambulations bigarrées ; les expulsions, la répression, la méfiance, la marginalité, la dureté de leur condition et leur pauvreté sont oubliés au profit d’une relecture visant à exalter leur seule liberté, leur vie en marge dédiée aux sens.

Côté scénographie, ça coince déjà un peu. Le metteur en scène d’opéras, Robert Carsen, multiplie les clins d’œil appuyés avec cette dominante de couleur brune, cet éclairage limite, ces traces de pas au sol… oui, oui, nous sommes, nous aussi, sur la route, comme des bohémiens, on a compris, mais est-ce vraiment nécessaire ? Cette magnifique partie de l’exposition se suffisait à elle-même, d’autant qu’elle se termine par un premier glissement capilotracté vers l’art lyrique, via Esméralda, Carmen, puis la Mimi de Puccini. Ça se gâte.

Ça se gâte, car Robert Carsen va nous recréer à l’étage le mythe de l’artiste romantique maudit, le Paris-Bohème de pacotille, de Vigny à Verlaine, en passant par Liszt et Courbet, Degas et Daumier. Que l’on regarde le célèbre tableau de Fantin-Latour, Coin de table, on découvre, non pas des crèves-la-faim en guenilles, mais des jeunes dandys bien propres sur eux. Refuser les valeurs classiques, les académies, être libre d’écrire ou de peindre sans comptes à rendre, choisir un mode de vie sans chaîne, boire de l’absinthe, courir les filles ou les garçons, c’est sans doute tout à fait nouveau, mais la liste des artistes qui se revendiquent de ce choix laisse rêveur : beaucoup sont des aristocrates, des bourgeois, des héritiers qui n’ont jamais connu la mansarde glaciale et le ventre creux, Rimbaud étant l’exception.  Et de nous reconstituer en placo-plâtre l’ambiance d’un galetas, le poêle toujours froid cher à Cézanne, la chambre de Verlaine et Rimbaud (???), le cliché rétro en devient limite indécent. Car ceux qui ont vraiment connu cette extrême pauvreté sont tombés dans l’oubli, ne laissant rien derrière eux. Peut-on réellement créer une œuvre sans souci du lendemain, dans le dénuement et la misère ? Oui, mais cinquante ans plus tard, on quitte alors Baudelaire et on se cogne à la bande du Chat Noir, du Mirliton, à Salis, à Satie et à Picasso, aux hydropathes, sans le sou et marginaux, dans les bouges de Montmartre.

De la Bohême à la vie de bohème, il y a plus qu’un problème d’accent...

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21 décembre 2012

1984 à New York 2.0 - Shteyngart

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Super triste histoire d’amour, roman de Gary Shteyngart

Éditions de l’Olivier, 2012

« Mon portefeuille AmericanMoring, même après avoir été indexé sur le yuan, a perdu 10% de sa valeur parce que, à mon insu, ces idiots de gestionnaires d’actifs ont mis dans le lot l’action ColgatePalmoliveMiam!BrandsViacomCredit qui est en chute libre, et que mes actions à risque limité du Fonds des nations à forte rentabilité, le BRIC [Brésil, Russie, Inde, Chine] - Á - BRAC, ont enregistré une progression de seulement 3% à cause des troubles du mois d’avril près de Poutingrad, en Russie, et de l’impact sur l’économie brésilienne de l’invasion du Venezuela par les États-Unis. »         animpense !!!!!

Si George Orwell avait imaginé en son temps des lendemains qui déchantent, un monde totalitaire, oppressif, illusoire, sous continuelle vidéo-surveillance, où règne la destruction organisée du langage pour restreindre la pensée, il serait abasourdi de découvrir l’état de notre civilisation, qui plonge gaillardement dans ces mêmes ténèbres, de bon cœur et sans coercition. C’est là toute l’agilité retorse de Gary Shteyngart de nous emmener dans un pseudo-monde de demain futuriste pour mieux nous parler d’aujourd’hui, et du glissement sans retour qui s’opère sous nos yeux, la dictature de l’individualité, l’exhibition sans limite de soi alors que les démocraties occidentales et leurs vies à crédit disparaissent, balayées par la toute puissance financière des pays émergents.

Les Etats-Unis ont ici perdu de leur superbe, minés par une crise économique qui transforme Central Park en camp de fortune pour SDF et immigrés. Le Yuan a enterré le Dollar et la Banque Centrale est désormais entre les mains du gouverneur de la Banque du Peuple de Mondo-Chine.  La première démocratie du monde n’est plus qu’un vulgaire état policier, qui ferait passer le Patriot Act pour une badinerie, approuvé par les citoyens qui s’autocensurent de bonne grâce, tandis que les hélicoptères de l’armée tournent au dessus de Manhattan. L’unique cohésion sociale est assurée par l’utilisation collective furieusement addictive d’un « Smartphone/Ipad », l’äppärät, Big Brother en miniature qui collecte et diffuse en temps réel sur un réseau public le niveau de crédit, le bilan sanguin, le taux de Personnalité ou de Baisabilité et autres indices croquignolets de tout-un-chacun : ça papote sur GlobAdos (Facebook/Twitter) à grand renfort d’acronymes boueux (« moins de mots, plus de fun »), ça claque des sommes folles en petites culottes RedditionSansCondition et jeans transparents Pelured’Oignon, sur les sites CulLuxe ou MoulesEnFoule (si, si…), c’est gavé de pornographie, de cynisme, de consumérisme, d’inculture et de bêtise. L’Amérique est à l’agonie.

Le héros new-yorkais Lenny Abramov (immigré juif russe de la deuxième génération - comme son créateur Shteyngart), est un fossile périmé de 39 ans, un MRV (Mec Rapidement Vieillissant) dans une société où le jeunisme est force de loi, mal fringué, mal foutu, perclus de cholestérol, un romantique attardé, bon et charitable, lesté de la pire tare existante, le goût des livres, de Tchekhov à Kundera, en passant par Tolstoï. Coordinateur de la prospection des Amants de la vie (échelon G), division des Services post-humains de la Staatling -Wapachung Corporation,  il évalue ses clients potentiels en deux catégories, les ICI et les ICPE (Individus de Conservation Impossible et les Individus à Capitaux Propres Élevés) pour proposer aux seconds les joies de la vie éternelle. Lorsqu’il rencontre la jeune Eunice Park, l’archétype de la fille bien connectée au langage fleuri, ignare mais sexy, la Love Story est plus qu’improbable et comme l’annonce le titre du roman, déjà périmée. Le lecteur suit alors en alternance le vécu de cette relation, le journal de Lenny, littéraire, sensible, tourmenté et les discussions sur les réseaux sociaux de la Lolita avec sa meilleure amie et sa famille. La distorsion de perception des mêmes événements intimes, les niveaux incompatibles de langage, le vécu très différent des amoureux donnent à ce pas-de-deux une dissonance d’abord cocasse, puis grinçante. Eunice ne voit pas qu’elle est incapable de mettre des mots sur ce qu’elle ressent, qu’elle ne sait plus que se complaire dans le trash, le superficiel, le vulgaire, sa vision du monde et des relations humaines se rétrécissant à mesure que la richesse de sa langue disparaît. Comme ces fusions économiques entre multinationales qui créent de gigantesques holdings monopolistiques, (il n’existe en effet plus qu’une seule compagnie aérienne américaine, la UnitedContinentalDeltamerican), les mots s’agrègent, se fondent, se ferment, jusqu’à disparaître.

Cette société lisse, sans altérité, a remplacé les mots par des codes, des pourcentages, des statistiques, des données, une évaluation permanente et recherchée pour garder une place parmi les autres, comme unique élément différenciant. Qu’importe cette surveillance constante, ce flicage des émotions, des corps, par les citoyens, l’état  et les entreprises, les gens ne savent plus ce que vivre veut dire. Chacun n’existe que par son dossier multimédia consultable par tous. Et le jour où un gigantesque plantage coupe le réseau, c’est une vague de suicides qui parcourt New York.

Cette création jubilatoire et souvent très drôle d’une Amérique asservie à la technologie se double d’une analyse assez pertinente sur la trajectoire politique du pays à mesure qu’il s’enfonce dans un déclin irréversible : paranoïa, xénophobie, nationalisme, mépris du pauvre, méfiance envers les classes moyennes qui ne consomment pas assez. Gary Shteyngart imagine un pouvoir partagé entre un Parti unique et l’Autorité de Rétablissement de l’Américanité, qui traque les séditieux et les envoie dans des camps de triage sécurisé, s’il le faut. L’armée, dernier vestige de la grandeur passée, opère au grand jour, massacre, liquide, dévaste, sans que le « citoyen » ne lève les yeux de son äppärät.

Caricatural, Gary Shteyngart ? Une satire, Super triste histoire d’amour ? Á peine. Mais au-delà de cette vision aigrelette de notre futur proche,  Lenny Abramov, double de l’auteur, nous rappelle pourquoi il reste dans son monde un criminel par la pensée: il lit et il aime, comme Winston Smith le faisait déjà, en 1984.

 

 PS : coup de chapeau au traducteur Stéphane Roques pour le gros travail sur les jeux de langage !

 

10 décembre 2012

Berlin, last but not least – les lieux de mémoire

Il est tout à fait possible de mordre dans cette ville et d’en goûter la saveur en ignorant son passé, ses fractures et ses traumas. Cependant, même sans les solliciter, les plaies du XXème siècle ont une cinglante manière de vous éperonner la rétine, sans se faire annoncer : j’ignorais tout de ces « pavés d’éternité » (Stolpersteine), de ces pierres d’achoppement carrées recouvertes de laiton, incrustées dans le pavement des trottoirs, devant le dernier domicile des déportés : « ici habitait... né en…  déporté en … mort à … ».  Devant certains immeubles, la quantité de pavés est telle, qu’on devine des étages entiers liquidés. Nous en avons croisé de bien trop nombreux dans le vieux quartier de Sainte Sophie à Mitte ; c’est ici que nous avons aussi levé les yeux, dans des arrière-cours non encore restaurées, sur des murs mitraillés (quand, par qui ?), comme à Budapest. Découvrir ces stigmates, témoins des temps obscurs, entre chien et loup, lors d’une froide après-midi plombée, vous colle des bleus.

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Le coup de poing est encore plus brutal à la sortie du KaDeWe (Kaufhaus des Westens), le Grand Magasin de Berlin Ouest, vitrine plus que centenaire de l’abondance, de la consommation, de la profusion, à la barbe de la pénurie et des vaches maigres des voisins de mur. L’endroit est célèbre mais n’a pas beaucoup d’intérêts pour les familiers des Galeries ou autres Printemps. C’est en retournant vers la station de métro très fréquentée Wittenbergerplatz, qu’on se cogne à un grand panneau qui aligne des lieux inscrits dans les mémoires et pour certains encore dans leurs chairs, lieux dont on ne revenait pas, sous le rappel : « Orte des Schreckens, die wir niemals vergessen dürfen ».  Je ne sais pas ce qu’éprouvent les Berlinois âgés, contemporains de la peste brune, en passant devant cet acte de contrition planté au grand jour, placé au vu et au su du plus grand nombre, mais on se dit qu’il faut avoir effectué un sacré chemin pour afficher ainsi les pages les plus atroces de sa mémoire collective, pour ne jamais oublier.

Tout de même, il serait surprenant de rester à Berlin sans se soucier de ce qui a été sa spécificité pendant vingt huit ans : un découpage artificiel de ronds de cuir revanchards, une gigantesque balafre, la cristallisation de la Guerre froide dans le plus vil mépris des habitants. Notre interlocutrice de l’hôtel avait hiérarchisé sur notre demande les deux lieux de commémoration du Mur, privilégiant le Musée par rapport au Mémorial, l’exactitude de l’histoire face à l’émotion de sa matérialité. Mais pour nous qui n’avons pas enduré ce passé très récent, c’est bien le Mémorial (Gedenkstätte Berliner Mauer) qui nous a remués car il permet de visualiser, grandeur nature, la réalité d’une enclave artificielle et absurde, ainsi que ses séquelles fatales. Nous y sommes allés tôt le matin, dans le Nord de Mitte, longeant les 300 mètres de mur restant, en silence. On croise le regard des - jeunes - victimes qui sont tombées sous les balles des Vopos, dans un morceau de Mur qui leur rend hommage, transformé en chapelle du souvenir. On marche dans l’herbe rase, dans un silence impressionnant, on relie dans sa tête les bouts du Mur éparpillés, les piquets de construction, les soubassements, on visualise le No Man’s Land, et on a froid dans le dos en levant les yeux sur le mirador conservé. Le tracé du Mur passait juste à cet endroit sur une église que les dirigeants de la RDA ont allègrement dynamitée : aujourd’hui, la chapelle circulaire de la Réconciliation, les cloches de la vieille église, ont retrouvé leur place.

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Après ce ressenti perturbant, presque physique, d’une « simple » clôture de béton, le Mauermuseum (quartier de Kreuzberg) semble poussiéreux, étouffant, un peu étriqué, ce qui est injuste car il est en réalité vaste et prolixe en renseignements… beaucoup trop. En fait, il déborde d’affiches, d’informations, de panneaux d’explication, du sol au plafond, dans un capharnaüm de coupures de journaux, de documents d’archives, d’écrans, de maquettes, de reconstitution, depuis le blocus de Berlin de 1948 jusqu’à novembre 1989. Certes, on en apprend beaucoup sur les moyens fous ou astucieux pour passer de l’autre côté (sous terre, dans les airs, sur l’eau…), sur les différents stades de construction du Mur (des simples barbelés jusqu’aux doubles remparts infranchissables, dotées de mitrailleuses automatiques pour arroser large) mais il faudrait revenir plusieurs jours de suite pour tout lire. Et on sature vite de cet encombrement, de cet amas incontrôlé sans mise en espace ni respiration.

En sortant du Musée, fuyez la reconstitution carton pâte de Checkpoint Charlie, démantelé en juin 1990 mais reconstruit comme une boutique de foire pour touristes, avec faux soldats tout sourire et MacDo en toile de fond.

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Pour finir, surtout si vous êtes accompagnés d’enfants ou d’ados, allez faire un tour au Musée de la RDA (DDR Museum), sur les bords de la Spree, joliment bien conçu, qui raconte, du biberon à l’âge adulte, la vie quotidienne dans un pays qui n’existe plus aujourd’hui. On entre véritablement dans l’ordinaire des Ossies, on ouvre des tiroirs, des armoires, des portes, on tâte leurs vêtements synthétiques, les uniformes des jeunes embrigadés, les piètres ersatz des produits décadents de l’Ouest, les livres interdits car séditieux, on les suit à l’Université, on découvre le maigre niveau de salaire d’un professeur ou d’un ingénieur, on les suit en vacances avec le Guide des pays frères en main, on découvre le régime à base de « vitamines » des athlètes chargés comme des mules, les bureaux d’écoute (La vie des Autres nous avait déjà bien renseignés sur le sujet), les cellules des « contestataires », la ligne directe avec Moscou, tout une époque qui nous paraît déjà désuète, voire archaïque, alors qu’elle nous est bel et bien contemporaine.

 

5 décembre 2012

Berlin - un vélo pour trois points de vue

 

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Malgré le bon réseau du S-Bahn (RER) et du U-Bahn (métro), les bus et les tramways, il arrive cependant que le moyen le plus rapide d’aller d’un point A au point B, reste le vélo. Ce qui paraît tout prêt sur la carte, peut se révéler bien plus éloigné que prévu, surtout en hiver par une température de glace et un vent réfrigérant. Berlin est aussi spécialiste des looooongues avenues qu’il serait pénible d’arpenter pédestrement.

Il y a des loueurs partout, la journée oscille entre 10 et 12 €, et vous aurez à disposition une bonne grosse bécane bien lourde, genre char d’assaut sur deux roues, six vitesses, frein fourbe par rétropédalage, prête à avaler de la piste cyclable au kilomètre. Contrairement à Paris, le cycliste se sent et se sait en totale sécurité, dans les couloirs dédiés ou bien carrément au milieu des larges trottoirs, conçus à dessein.

Friedrichshain, vieux quartier de l’Est, est biffé par la Karl Marx Allee, vaste et large avenue, longue de 2 km (il fallait bien que les blindés puissent parader), symbole de l’esprit Ost-Berlin, bordée d’interminables barres d’immeuble, où les honnêtes et valeureux travailleurs du Parti s’entassaient. Sous les pourtant chiches rayons de soleil, les façades blondes s’illuminent et on trouverait ces alignements de béton presque pimpants. C’est un peu stalinien dans l’âme, rigide, sévère et uniforme, dessiné d’un trait de faucille mais le lieu est idéal pour faire les fous sur les vélos, tracer à fond les ballons et se défier sur 200 mètres. On arrive au bout les joues vermillon, l’humeur juvénile et plein d’entrain.

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On peut ensuite revenir sur ses roues en pédalant sur la Mühlenstraße, et sa East-Side Gallery, longue fresque coloriant le Mur sur 1,3 km, réalisée évidemment après novembre 1989. Une centaine d’artistes du monde entier ont imagé cette ligne de béton de peintures bigarrées, drôles ou émouvantes, souvent liées à l’histoire de la ville, dans un esprit assez débonnaire et pacifiste.

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Si vous aimez ce genre de lieu à la fois décalé et emblématique, même s’il attire une ribambelle de curieux, foncez à Tacheles (pourquoi un mot yiddish, mystère), dans le quartier de Mitte, avant qu’il ne soit trop tard. Même si le côté « alternatif et rebelle» a disparu depuis longtemps, la fermeture de ce vaste magasin de cinq étages en ruine, occupé durant vingt ans par des « artistes » et transformé en pseudo-squat plus que toléré, est imminente, pour une question de gros Euros tintants. Seule la friche où exposent les derniers occupants est encore accessible, les étages et les ateliers d’artistes sont déjà vides et hors d’atteinte.

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30 novembre 2012

Berlin - Postdamer Platz, das Brandenburger Tor und der Reichstag, karambolage émotionnel !

Les trois lieux emblématiques de Berlin se rencontrent dans la foulée, sur la Ebertstraße, en remontant vers le Nord, à partir de la station Postdamer Platz. La sortie du métro qui vous projette au cœur du renouveau urbain de Berlin, ultramoderne, planté de hauts buildings, de tours de verre et d’acier, secoue, surtout de nuit. Je suis restée plantée là, tournant au ralenti, le palpitant sur pause, éberluée par le gigantisme, la débauche de lumière, la métamorphose d’un lieu qui habite mon univers perso depuis plus 20 ans. Pour un peu, je me serais laissée choir par terre, toute perturbée et disloquée que j’étais, le temps de me remettre en phase avec le bon siècle.

Parce qu’en ce qui me concerne, Postdamer Platz, c’est ça,

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mais certainement pas ça.

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Oui, je sais, blablabla, on ne laisse pas un terrain vague, une friche, un « middle of nowhere » au sein d’une capitale européenne en pleine mutation, une ville doit se reconstruire, gommer ses cicatrices les plus béantes pour se mettre en marche vers l’avant. Tout à fait. Mais était-on obligé de faire un grand bazar aussi laid, un Manhattan artificiel, une protubérance aussi disgracieuse que disproportionnée, factice, tendance un jour, donc dépassée demain, dans une ville où les immeubles historiques ne dépassent pas six étages ?  Tout est évidemment affaire de gros sous, de rentabilité au mètre carré, de retour rapide sur investissement, Daimler mit sur la table 1,5 milliard d’euros, s’offrit monsieur Centre Pompidou, Renzo Piano, pour sa tour, Sony conçut son siège comme un vaste atrium transparent surmonté d’un toit de verre sur cercle d’acier, les bureaux poussèrent comme des champignons tchernobilisés, Le Ritz-Carlton accueille les hommes d’affaires, les larges avenues charrient les Mercedes et les Audi, tout va très bien, merci. Nous, on a fui.

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Juste un détail, au sein du Sony Center, se cache un musée du cinéma allemand très bien conçu (Filmmuseum Berlin), où, dans une remarquable scénographie, on retrace l’évolution du 7ème art ; les salles les plus passionnantes sont consacrées au muet, à l’Expressionnisme (Wiene, Lang, Murnau, Wegener…) ainsi qu’aux années sombres avec Leni Riefenstahl, les films de propagande, Veit Harlan et consorts, dans une salle cafardeuse et bouchée, murées de tiroirs secrets qui renferment l’indicible.

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En allant au Reichstag, siège du Bundestag, on passe derrière la Porte de Brandebourg, qui se trouvait, lors de la partition de la ville, pile au milieu du No Man’s land : discours de Kennedy en 63, images d’un mur débordé en 89, on ne se lasse pas de passer encore et encore au travers de ses piliers, de la regarder fièrement plantée comme symbole de la réunification, surmontée du fameux quadrige de la Victoire.

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Est-il nécessaire de rendre visite au Parlement - quand on parle du Reichstag, on pense à 1933 et on débande illico ou à ce drapeau soviétique qui flottait sur les ruines en mai 1945 - ? Il draine désormais une foule de visiteurs depuis l’installation d’une coupole de verre,  un dôme intégré à son architecture XIXème, comme le Louvre avec sa pyramide. De nuit, oui. Les billets se réservent à l’avance sur le net et la vue qui domine tout Berlin éclairé vaut le déplacement. De jour, je suis plus dubitative.

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En retournant au métro, nous remarquons une série de croix blanches, des noms, des dates…des héros fauchés par les Vopos en tentant de franchir le Mur. Le travail de mémoire de Berlin ne cessera de nous étonner durant tout le séjour.

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27 novembre 2012

Berlin - critique de la raison pratique

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On ne le martèlera jamais assez, Berlin, c’est grand. Nous avons du élaguer à la serpe le programme ébauché avant le départ, laissant pour un prochain voyage toute la partie ouest (Charlottenburg, Tiergarten, Schöneberg), Postdam et le Sans-Souci, et les quartiers plus excentrés. Il est donc important de trouver un nid placé pas trop loin des lieux qui mettent en marche votre imaginaire. En ce qui nous concerne, nous avons opté pour Prenzlauerberg, ancien quartier de Berlin-Est, rénové (mais pas trop), tendance (juste ce qu’il faut), chaleureux et accueillant, dynamique et très tard éveillé la nuit.

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Le Routard conseille dûment l’hôtel Kastanienhof (classique, bien situé, une salve de bons points pour le personnel qui se met en quatre pour la réussite de votre séjour et qui adore partager les expériences des visiteurs : écoutez-les raconter leurs souvenirs d’avant novembre 1989, ce qu’était leur vie quotidienne à l’Est, c’est à la fois passionnant et poignant). Le quartier regorge de petits cafés sympas, de restos cosy et simples, de loueurs de vélos pour vos balades, de lieux culturels : de nombreux bâtiments industriels, des fabriques, des imprimeries, sont transformés en ateliers, cinés, salle de concerts, foyers d’artistes. L’architecture du lieu est toujours respectée, mise en valeur mais dédiée désormais à une production moins matérialiste et standardisée.

Une visite à la Kulturbrauerei (ancienne brasserie devenu centre culturel) s’impose pour prendre le pouls rapide de Prenzlauerberg. On trouve aussi les programmes des bons plans musicaux, manifs, débats politiques, au café collectif Morgenrot, pas loin de l’hôtel, à côté d’une librairie anar. Café un peu militant, très végétarien, à l’ambiance conviviale et apaisante, zen attitude, éclairage doux à la bougie, vieilles tables en bois de récup, les règles de bonne conduite sont clairement affichées au-dessus du bar (excellentes bières bios, d’ailleurs, tout comme les muffins du jour et les gâteaux à la noisette) : ici, pas de propos sexistes, homophobes ou xénophobes, sinon, c’est la porte.

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On retrouve cette atmosphère intime et sereine dans les petits restos (les chandelles, c’est bien, mais on s’arrache les yeux à déchiffrer les cartes en allemand). Il y a les valeurs sûres des guides : Metzer Eck, pour les audacieux qui iront se perdre dans la plus vieille auberge de Prenzlauerberg, certifiée conforme depuis 1913, plats exclusivement « germaniques », currywurst, escalope viennoise, soupe de pois, boulettes de viande, harengs, porc fumé… toujours garnis de pommes de terre/kartoffeln, of course. Quand il fait 2°, que le vent souffle et que vous avez marché toute la journée, ce genre de plat bien roboratif ne fait plus peur. Le lieu vaut surtout pour son ambiance, ses tables d’habitués, les petites salles en bois, avec poêle prussien, ses pintes de bière bien garnies et sa belle humeur.

Restauration 1900 est aussi recommandable, si vous cherchez un endroit moins brut de décoffrage : cuisine plus fine, plats locaux revus, travaillés et allégés, mais service épouvantablement lent…  

Faites surtout confiance à votre flair, fermez vos guides, regardez les devantures, si les salles sont pleines de Berlinois à 22h et poussez les portes de lieux dont vous ignorez tout. Comme cette Osteria Fiorello, qui sentait la truffe, ou laissez-vous guider par les locaux, qui seront toujours de bons conseils : totalement perdus à 22h30 dans des rues mal éclairées, courant après un resto du Routard que nous étions incapables de localiser, deux étudiants bienveillants nous ont indiqué leur « cantine » du coin (un ami doux qui parle allemand, ça facilite les contacts), une épicerie italienne dotée de quelques tables pour goûter les pâtes du jour maison, accompagnées d’un Greco di Tufo à tomber. Je serai incapable de retrouver cet endroit dans ce dédale de ruelles mais parfois, le hasard fait bien les choses !

 

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Le Présent Défini
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