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Le Présent Défini

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9 mars 2012

Si-bérie m’était contée…

wagon_cendrars1Sibir, Danièle Sallenave, Éditions Gallimard

Transsibérien, Dominique Fernandez, Éditions Grasset

Tangente vers l’Est, Maylis de Kerangal, Éditions Verticales

L’idée de départ semblait un peu singulière : embarquer une vingtaine d’écrivains français dans deux wagons du Transsibérien, entre Moscou et Vladivostok, au printemps de l’année franco-russe de 2010 pour une balade de plus de 9 000 kilomètres, rythmée de rencontres, tables rondes et excursions en tous genres, bien encadrées. Coincée entre le souvenir de Gide - et du voyage de 1936 -, et la prose de Blaise Cendrars, la coterie allait-elle suivre docilement le tempo imposé en opinant du bonnet ou bien jouer les désobéissants en bouleversant la feuille de route imposée par les autorités russes et en posant les questions qui fâchent ?

On trouvait du beau monde sur la liste des engagés volontaires, la liste des pontes avait belle allure. Á leur retour, les comptes rendus des journalistes venus prendre la température, les émissions de France Culture, les premiers récits, ont donné à chaud la couleur du périple : «parenthèse en terre sibérienne, entre colonie de vacances et délégation officielle d’intellectuels français, que personne ne lit passé Moscou ». En ce début d’année 2012, trois participants ont pris du temps et du recul pour la sortie d’un journal de voyage, d’une balade culturelle et d’une fiction.

sibirLe moins exaltant des trois est sans contexte, le Sibir, de Danièle Sallenave. Sa relation avec la Russie est engourdie d’un – visiblement – très inconfortable passé de sympathisante communiste, sur lequel elle revient bien laborieusement, même si on peut imaginer que découvrir un libéralisme brutal et dépravé sur des terres qui auraient dû baigner dans une toute autre utopie, vrille un peu l’estomac. On pourrait surtout en avoir très vite assez de ces allures d’instit' un peu pincée qui rappelle à l’ordre le reste de la troupe, souvent un peu à l’Ouest, et qui ne nous épargne aucun détail de ses menus, de la qualité de son sommeil, de ses soins capillaires. Les étapes dans les villes le long de la voie légendaire sont invariables (accueil folklorique, installation à l’hôtel, discours officiels, visites boulonnées, conférences, rencontres illusoires avec des locaux qui ignorent jusqu’aux noms de nos sommités) et on s’agace souvent des redondances.

Très scolaire cette manie d’alourdir son texte par ses recherches effectuées au retour, sur des points de détails qui n’intéressent personne. La dame est toute aussi dénuée d’humour et de second degré lorsqu’elle s’offusque d’un événement drolatique, - son mariage fictif avec Dominique Fernandez qui, lui, s’en amuse encore -, où la seule peur d’avoir été ridicule plombe son humeur pour la soirée. Sa prose ne fait mouche que lorsqu’elle accepte de sortir de son compte rendu appliqué pour narrer un malaise grandissant, à mesure qu’avance le train vers le Pacifique : le contraste entre ce voyage policé, réglé au cordeau, gavé d’activités culturelles et touristiques assez barbantes, encadré par des guides aux vieux réflexes très soviétiques, et ce sentiment de passer très près des Russes sans arriver à communiquer avec eux, sonne juste. Danièle Sallenave semble s’effriter le long du livre, sentant que ce périple ne lui apporte rien d’autre qu’un isolement, qu’elle passe tout à côté des gens sans n’en rien comprendre, que l’essentiel du pays lui échappe : « soudain, j’en ai assez de ne pas pouvoir m’approcher d’une réalité qui demeure insaisissable ». Il est dommage qu’une succession d’anecdotes futiles et égocentriques leste un texte qui ne gagne en émotion que lorsque son auteur accepte enfin de s’enquérir d’avantage des autres que des ses névroses.

 

TDFSibir souffre de la comparaison avec le Transsibérien de son homologue académicien : même format de « journal de bord » - il est assez amusant de lire les deux en parallèle et de pointer les différends - mais contenu dissemblable. Les lecteurs habitués de sa prose et de ses récits de voyage ne seront pas dépaysés : même exaltation juvénile, même soif de découverte, peu d’apriori, pas de préjugés. Et dans l’opus qui nous intéresse une mine de livres d’hier et d’aujourd’hui pour comprendre et appréhender la Sibérie, cataloguée un peu hâtivement comme terre inhospitalière, bout du monde dédié à la relégation et aux camps, quel que soit le régime en place. Dominique Fernandez aime la Russie (Tribunal d’honneur, Place Rouge, Dictionnaire amoureux de la Russie, L’âme russeAvec Tolstoï, Russies) - un peu au détriment des pays du Sud qui ont nourri ses meilleurs romans, à mon humble avis - son histoire, son dynamisme, le foisonnement de sa vie culturelle. Il est savoureux de le voir déserter l’emploi du temps officiel prévu et les autres écrivains, pour découvrir un théâtre de marionnettes et le conservatoire de musique de Novossibirsk, une salle d’opéra à Ekaterinbourg ou insister auprès de ses guides de Nijni-Novgorod pour se rendre dans la maison où Gorki a grandi.

Contrairement à Danièle Sallenave, il n’est jamais passif dans cette odyssée, il ouvre grand les yeux à chaque étape, s’étonne, s’enthousiasme, découvre la modernité et la vitalité des villes dues au pétrole et au gaz, « les réussites de la russification », les empreintes vivaces des minorités tatares à Kazan, les vestiges du « constructivisme » à Ekaterinbourg,  les maisons de bois d’Irkoutsk où finirent certains décembristes. Aux tables-rondes officielles dont l’indigence le navre, il préfère les détails qui font sens, les rencontres improbables, les grains de sable qui brouillent tout d’un coup l’ordonnancement mais qui lui font toucher ce pour quoi il estime ce pays. Il lui est très difficile de mettre des mots sur certaines émotions ressenties devant des paysages totalement insolites pour des Européens, l’immensité du Baïkal, la puissance des fleuves, l’espace infini de la taïga, une nature dilatée et sauvage. Dominique Fernandez est rarement lyrique ou dépassé par ce qu’il voit. Le chapitre 18, « Á travers la forêt », traduit pourtant cette sidération : « il faudrait être un poète comme Baudelaire pour rendre cette impression d’être dépossédé de soi-même par le recommencement ininterrompu du beau et la rumination symphonique de l’absolu… j’admire, jusqu’à la limite de mes forces… la conscience de n’être qu’un minuscule atome dans cette étendue sans limites, l’ivresse de me sentir si insignifiant et de sentir si négligeables les efforts de l’homme pour dompter cette nature, la conviction que dans aucune autre contrée du monde je ne pourrais vivre une expérience aussi radicale de dépersonnalisation et de déculturation, m’ôtent le regret que nous ayons manqué tant de villes célèbres. »

Pour finir,  je me suis délectée des petites perfidies savamment distillées à l’encontre de certains autres voyageurs, qui viennent ruiner le laïus seriné au retour, un peu trop convenu, d’une ambiance potache et d’une lune de miel sans nuage entre les écrivains.

 

TMaylis de Kerangal, choisit quant à elle la fiction, avec un court récit lu sur France Culture, dès son retour. Il ne sera question que de l’essentiel, du train, de ce transsibérien où se croisent des gens que tout oppose, culture, nationalité, clivage social, les riches dans des wagons tout confort, les « prolétaires » dans une étuve, une promiscuité, un empilement de couchettes, un espace clos pestilentiel digne d’un transport de bestiaux. Aliocha, jeune appelé, file sur les rails vers une caserne de Sibérie dont il ignore le lieu exact, malmené par des conscrits de son compartiment mieux bâtis, et échafaude sa désertion prochaine au moment où il croise une Française, un peu de travers, qui fuit sans trop le savoir son  compagnon russe, nouveau riche et ancien dissident revenu au pays. Il est passionnant de retrouver dans cette histoire le vécu qui l’a nourri, grâce aux journaux des deux Immortels. Mais au-delà de cette leçon de construction d’un texte à partir d’une certaine réalité, on ne peut que souligner la langue absolument magnifique de Kerangal. Sa confrontation avec la Sibérie est de nature physique, une appréhension violente de l’espace, de ce contraste entre le train clos qui trace et l’immensité sans bornes, immobile, immuable. Rien de romantique dans la brève rencontre de nos deux fuyards : ils se trouvent tous les deux à des tournants de leur existence, Aliocha pétri d’épouvante devant la Sibérie, qui a avalé nombre de déportés, terrorisé par sa démesure, « une enclave qui aurait l’immensité pour frontière ». « Aliocha se poste à la lucarne, happé par la focale unique sur le monde, comme un œil que l’on aurait derrière la tête, fasciné par la vision du chemin de fer qui blinde à rebours dans le fond du paysage, ruban strié alternant le clair et le foncé, stroboscope éclairant son visage, et bientôt, hypnotisé, il touche ce point de l’espace où la forêt avale les rails encore chauds, engloutit les traverses en un puits de mystère, …il n’est plus que ce point de fuite qui dévore l’espace et le temps, coïncide avec lui, s’en obsède, prêt à verser lui-aussi dans le grand trou noir, tout plutôt que la Sibérie. »

 

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6 mars 2012

De l’inutilité grandissante d’habiter Paris quand on aime l’opéra…

Lundi 05 mars, Garnier ouvre les réservations pour Hippolyte et Aricie de Rameau, dirigé par Emmanuelle Haïm, avec Sarah Connolly dans le rôle de Phèdre. Le genre de rendez-vous que l’on ne souhaite manquer sous aucun prétexte, - tant la mezzo anglaise se fait rare sur nos scènes françaises -, et que l’on a entouré de carmin bien épais sur son calendrier. Quelle ne fut pas ma stupéfaction de découvrir en fin d’après-midi, qu’aucune place n’était déjà plus disponible pour les six premières représentations, et que les sièges restants pour les six dernières s’adressaient à de prospères nababs : 180 euros le fauteuil, vlan, c’est brutal, c’est inabordable (180 € * 6.56 = 1 180.80 Francs / hé oui, en francs, l’indécence de la somme scintille de tout son lustre). Il ne restait pour la dernière, début juillet, outre ces coussins pompeux pour rupins, que des places au paradis (comprendre l’amphithéâtre, 4ème étage, où s’entassent les "pouilleux"). J’entends d’ici les hurlements d’orfraie de mon ami doux – « 3h20, dans l’étuve, tout en haut, visibilité réduite, mal assis, une plaisanterie, j’espère ? » Ben non, entendre (à défaut d’écouter) et apercevoir (à défaut de distinguer) Sarah depuis les hauteurs, c’est tout ce qui nous reste, au premier jour des réservations.

Ce n’est pas la première fois que je me casse le nez pour des spectacles baroques. Que nous soyons nombreux à aimer cette musique et à nous déplacer pour de grandes voix est indéniable. Mais que l’on ne trouve plus de places décentes huit heures après l’ouverture des réservations est insensé. Il ne faut pas s’étonner ensuite que le public se compose en grande partie de riches touristes et de retraités aux poches pleines.  Garnier et Bastille sont pourtant des théâtres subventionnés par nos impôts, à plus de 100 millions d’Euros pas an.

Mais comme si cette politique de gestion des places n’était pas suffisamment défaillante,  la direction de Garnier, à défaut de pousser les murs, a décidé d’augmenter le nombre de places, dans une salle qui a déjà tout d’un sauna et où l’espace vital ne dépasse pas quelques centimètres (spectateur de plus d’1.70m, vos genoux seront terriblement éprouvés) : rang supplémentaire en baignoire, places ajoutées au fond des loges,  on tasse, on fait rentrer au chausse-pied, on comprime. Non seulement ces places sans visibilité, inconfortables et exigües, ne sont d’aucune utilité mais elles s’accompagnent d’une revalorisation des prix des autres places de la loge, qui passent alors dans la catégorie supérieure… astucieux, non ? Et surtout affligeant.

 

27 février 2012

Cadmus et Hermione… Abondance de nostalgie, nuit

alpha_cadmus-300x405Jean-Baptiste Lully, 1673 – Enregistré à l'Opéra-Comique en 2008 / DVD 2008

Pourquoi palabrer sur un spectacle dont je fus incapable de supporter plus de deux actes (il en compte cinq !), qui recueillit pourtant une littérature délirante des critiques parisiens - les spectateurs furent moins portés sur les louanges dithyrambiques – et qui représente ce que l’on peut faire de pire en matière de mise en scène présomptueuse et désuète? D’abord, pour vous éviter de dépenser vos deniers dans l’achat du DVD, ensuite parce que l’inclination actuelle pour la nostalgie revisitée, le noir et blanc, la grandeur passée, le côté rassurant d’un âge d’or qui rassérène les civilisations vieillissantes (lisez entre les lignes…), m’horripile.

Le sujet de ce post ne traitera ni de la musique de Lully, ni du livret de Quinault (dont il y aurait matière à chicaner tant il est décevant) – difficile d’imaginer qu’Atys verra le jour trois ans plus tard – mais bien des choix foncièrement discutables de la mise en scène.

Il est vraiment très inhabituel que je capitule lors d’un spectacle : mais le choix de la « pseudo reconstitution linguistique » fut pour moi rédhibitoire. Comment cette idée saugrenue, absurde, a-t-elle pu germer dans le cerveau d’un jeune metteur en scène ? Quel en est l’intérêt ? D’abord personne ne peut dire aujourd’hui quelle était la diction du XVIIème siècle (ce dont personnellement je me contre-fiche). Alors pourquoi nous infliger ses « oi » devenus des « ouhè », ses consonnes finales muettes devenues sifflantes, ses roulements de « r » grasseyant et cet accent du Languedoc ? « Que je me plais à voir mes soins recompensez » devient « que je me plaisse à vouhérrr messe soinsse rrrrrécompencezzze ». Si si, je vous assure, cinq actes de ce tonneau-là !

Comme on n’a pas encore creusé suffisamment le rétro poussiéreux, la gestuelle suit le même chemin de retour passéiste : le seul problème est que nous n’avons plus le mode d’emploi et que la signification de la main tendue concave ou des doigts dépliés ou des poignés cassés, des paumes comme si, des coudes comme mi, est un tantinet énigmatique. Les danses retournent de cette fausse archéologie rasoir, plates, répétitives : ce ne sont jamais des ballets mais à peine quelques pas esquissés, des postures, de gentilles rondes. Evidemment, toujours dans ce souci de fidélité fossilisée à ce qu’était une représentation de l’époque, on éclaire la scène à la bougie (on se demande pourquoi Edison s’est décarcassé), les décors carton-pâte kitchissimes, la machinerie maladroite, les panneaux coulissants sont réalisés à partir de travaux historiques, mais que … c'est laid, surchargé et besogneux. Les costumes sont inesthétiques, des oripeaux bariolés et grossiers, comme on en coudrait pour des kermesses exotiques. L’élégance, la grâce, la finesse, la sensibilité, le théâtre, la distinction du Grand Siècle, on oublie.

On serait même prêt à pardonner à ces traditionnalistes cette vision réactionnaire de l’opéra baroque si les voix étaient à la hauteur. Même là aussi, c’est pauvre, c’est inexpressif, juvénile et tiède, sans ampleur (même si la prononciation n’aide en rien).

Je doute fort, mis à part quelques snobinards toujours prêts à s’extasier devant ce qui est prétentieux, chic et toc, que ces mises en scène « vintage » fassent progresser le baroque chez les néophytes. Ce spectacle propose une image archaïque, surannée du baroque, qui ne peut réjouir que les timorés élitistes qui ne veulent garder l’opéra qu’entre bonnes gens sachant décrypter une codification caduque, digne d’un musée d'un autre siècle. Le travail des metteurs en scène est de nous rendre des opéras vieux de plus de 300 ans accessibles, compréhensibles, de les faire résonner et de nous en proposer des clefs, pas de nous bercer dans du chromo rassurant.

Je finis avec le bon mot de mon ami François, qui m’a demandé très sérieusement (sachant que Lully avait eu recours à un castrat pour cet opéra) si le metteur en scène avait fait châtrer un de ses chanteurs pour être cohérent dans sa démarche. Comme dirait l’autre, il n’est pas bon de poêter plus haut que son luth.

 

21 février 2012

Acis and Galatea, à corps et à cris…

0809478070566Georg Friedrich Haendel, 1718 - enregistré à Covent Garden en 2009 / DVD 2010

Si vous êtes gourmand du travail du metteur en scène et chorégraphe Wayne McGregor, qui accompagnait déjà l’Orchestre de l'Âge des Lumières (Orchestra of the Age of Enlightenment) conduit par Christopher Hogwood dans une version de Didon et Ènée coupante et racée, vous savourerez avec délectation cet Acis and Galatea, où l’on chante (très bien) et où l’on danse (tout autant).

Ce petit « opéra » en deux actes turlupine les musicologues, tant il est épineux de le rattacher à un genre ; « masque », « pastorale », « serenata », « divertissement musical », voire un « presque-oratorio »… qui dit mieux, n’en jetez plus, la confusion règne. Tentons un rapide retour en arrière pour dissiper le brouillard. Dès 1708, Haendel s’inspire des Métamorphoses d’Ovide et crée à Naples une « serenata », Aci, Galatea e Polifemo. Ce genre particulier se donne souvent la nuit, en plein air, composé à la demande d’un puissant pour une représentation privée, sans mise en scène, les chanteurs interprétant des héros, des dieux ou des figures mythologiques, la partition à la main. Dix années plus tard, non loin de Londres, à la demande de son employeur le Duc de Chandos, toujours pour une soirée réservée à quelques happy few en sa demeure, Haendel compose Acis and Galatea, donnée, comme nous dirions maintenant, en version concert, le compositeur étant loin d’imaginer qu’elle serait un jour mise en scène comme un opéra véritable. Cette œuvre sera d’ailleurs l’une des plus jouées du vivant du compositeur, remaniée par ses soins dans une seconde version en 1732 puis dans une troisième en 1741, reprise quelquefois sans son accord, sous des termes différents d’« opéra pastoral » et surtout de « masque », une manière comme une autre de la placer en perspective des spectacles anglais de Purcell mais aussi de repousser symboliquement l’invasion de l’opéra italien outre-Manche. La présence d’un chœur, inattendu pour une « serenata » (allons-y, puisque Haendel utilise le terme), l’emmène déjà vers l’oratorio. Nous voilà donc en présence d’une œuvre protéiforme, reliant le sud et le nord, la tradition élisabéthaine à l’opéra moderne.

Œuvre courte prévue pour un public restreint, Acis and Galatea n’est pas dotée d’un livret très subtil et ni de personnages complexes. L’histoire pourrait même être cataloguée comme un brin simplette et le texte comme… gentillet. Le berger Acis aime Galatea, nymphe marine aux pouvoirs divins, malgré les mises en garde des autres pâtres, qui présagent une relation difficile. Galatea partage pourtant ses sentiments et tous les deux se réjouissent de leur amour mutuel. Le cyclope monstrueux Polyphème descend de sa montagne pour ravir Galatea, qui repousse ses avances et jure fidélité à son berger. De rage, Polyphème arrache un rocher de sa montagne, qui écrase Acis. Galatea, fille de Nérée, use de son art pour transformer Acis en rivière, qui rejoindra éternellement la mer.

Alors que faire d’une œuvre minimaliste, qui ne brille que par sa partition ? Comment lui donner de l’épaisseur, comment construire une mise en scène, jamais envisagée par Haendel, autour d’un fil aussi ténu ? Wayne McGregor, metteur en scène et chorégraphe, sonde ses personnages en travaillant « leur altérité », leur magie, leur contradiction, en les disloquant.  Chaque rôle est alors dédoublé, le chanteur incarnant physiquement le personnage, en restant dans ce qui est rationnellement prévisible de son caractère, quand le danseur, vêtu d’une simple body couleur chair, reflète le petit supplément d’âme qui complexifie chaque individu. D’où des décalages, des contradictions, des dissonances parfois entre ce que l’on entend et ce que l’on voit. Le géant Polyphème, vigoureusement campé par la basse Matthew Rose, à demi-nu, couvert de bleus et de griffures, bedaine débordante, est dansé par un bondissant garçon longiligne, nerveux et fébrile, comme si son esprit était prisonnier de ce corps lourd, brutal, violent, et se heurtait sans cesse à cette enveloppe physique sauvage qu’il subit. Même lorsque le géant se pose le temps d’un solo, le danseur s’agite sans relâche, les sens en éveil, le cœur palpitant pour cette nymphe qui le repousse. La danse devient alors plus révélatrice que le chant, exprimant ce qu’il y a de plus viscéral, de plus intime du personnage.

Acis and Galatea s’ouvre sur un trompe-l’œil très « pastorale », stylisé comme Le paradis de Cranach (Wayne McGregor va jusqu’à planter sur scène des animaux factices), avec un petit temple grec, puis s’allège, se stylise, s’assombrit, se dépouille, et demeure juste un écrin pour les interprètes. Le décor, comme les costumes, demeure modeste, pour que le spectateur reste focalisé sur cette double interprétation de l’œuvre (même si la perruque blonde très Walkyrie de Galatea et le pull vert tricoté main d’Acis m’ont laissée perplexe).

Si les membres du Royal Ballet sont épatants (moi qui suis habituellement réfractaire à la danse, je n’ai à aucun moment soupiré d’ennui), les voix le sont également. La baroqueuse Danielle de Niese (Sémélé, Les Indes galantes, Le Couronnement de Poppée, Jules César…) est comme toujours ébouriffante : la soprano est une bombe qui sait tout faire, elle déboule sur scène le visage barré d’un sourire ensoleillé, déjà au taquet, et lance sa voix sans se ménager. C’est une présence, une énergie, aussi crédible en amoureuse languissante, qu’en nymphe éplorée et qui ose un vrai pas-de-deux final avec un danseur, dont elle n’a pas à rougir. Sa voix est ronde, vigoureuse, rouge fringant, sans jamais forcer sur les effets. Elle sait équilibrer sa puissance pour se mettre au niveau de ses partenaires masculins, sans chercher à les pulvériser. Paul Agnew est hélas un peu en dehors, surtout dans son premier air, le timbre fatigué, défaillant, récupérant un peu d’habileté dans le II. Il faut le réécouter dans l’excellent CD « Divine Hymns » de Purcell dirigé par Christie et oublier ce petit accroc qui, je le souhaite, n’augure pas d’un délabrement de ses capacités vocales.

Les airs du chœur, les duos, les trios, sont de purs délices, sous la direction d’un Christopher Hogwood qui insuffle à la partition une grande fermeté. Son ouverture menée tambour battant présage non d’une fade bluette sucrée mais d’une œuvre somptueuse, qui passe du vert tendre au noir, avant un dénouement heureux où la nymphe danse avec l’esprit de son bien-aimé, pour l’éternité.

 

 

13 février 2012

Les enfants de l’euro, portraits dans la crise grecque par Isabelle Guisan

9782888921448FSÈditions Xenia, 2011

Février 2011, la journaliste greco-suisse, Isabelle Guisan, parcourt la Grèce, de la Thrace aux Cyclades, à la rencontre de jeunes adultes qui sont l’avenir de leur pays. Si les journaux et les télévisions qui couvrent les événements grecs, nous abreuvent de chiffres apocalyptiques concernant l’ampleur de la dette, des déficits, des fortunes détournées, et brossent un portrait impitoyable de la corruption et des mauvaises habitudes des contribuables grecs, nous ne savons plus très bien ce qui est du ressort du poncif, du parti pris ou du fantasme. Nous n'avons le choix, à deux mille kilomètres d’Athènes, qu’entre les truismes de l’économiste pincé qui sait tout mais qui a laissé faire, l’arrogance des « y’a ka / fo kon », l’acharnement revanchard germanique, les raccourcis simplistes des journaleux qui bâclent leur papier. Pourtant, le marasme dans lequel s’enfonce la Grèce, c’est avant tout de l’humain, des existences brisées par six plans d’austérité successifs, qui n’ont fait qu’empirer les choses.

Isabelle Guisan a laissé parler treize jeunes (la plus âgée a 32 ans, la plus jeune, 18), tous d’origine modeste – à l’exception d’un seul –, représentatifs de la diversité de la société grecque d’aujourd’hui. Ces instantanés sont l’occasion d’entendre des voix que l’on ne perçoit jamais lorsque l’on passe un peu de temps en Grèce ; celle des minorités, ces Grecs musulmans dont j’ignorais tout, de ces Pomaques qui vivent à la frontière bulgare, des Kurdes irakiens en transit vers l’Italie, des Albanais qui pensent rentrer chez eux, puisque le déclin de la Grèce rend de nouveau leur pays attractif.

Tous font le constat d’un pays en panne, tous se débrouillent comme ils le peuvent à l’aide de petits boulots peu ou pas déclarés, souvent sans contrat et sans protection sociale. Leur quotidien s’assombrit à mesure que les années de récession s’enchaînent, leur laissant un avenir vide d’espoir. Témoins de l’épuisement d’un pays saigné à blanc, ils sont parfaitement lucides sur les raisons du chaos et la responsabilité de leurs aînés : « on se sent dans un pays sous-développé où rien n’est puni : que ce soit le fait d’exploiter ses employés, le vol déclaré ou l’argent évadé à l’étranger. » Tous de reconnaître une société viciée, dirigée par une clique vénale, des abus, des fraudes, mais dont ils profitent encore pour certains, laissant aux autres le soin d’appliquer le civisme dont ils rêvent pour le pays. Ces enfants de la Grèce semblent démunis sur le chemin à prendre, oscillant entre des envies d’exil, le repli dans le village familial et le désir d’un pouvoir fort à la tête de l’État, qui nettoierait les écuries d’Augias : « Dimitri n’est pas le seul à penser que leur pays aurait besoin d’une dictature, d’une nouvelle junte pendant un an ou deux, le temps de calmer les choses, de faire appliquer les lois. »

Brusquement, l’image encore très « carte postale » d’une certaine Grèce, prend un sérieux coup de plomb dans l’aile.

 

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9 février 2012

Old Ideas, Leonard Cohen, opus 12 – « a manual for living with defeat ».

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Deuxième année de DEUG, 1991 : pour meubler l’ennui d’un interminable cours de droit administratif,  Hélène P. partage avec moi les écouteurs de son walkman. Une guitare folk, une voix qui traîne, déjà fatiguée, des mots scandés, une histoire d’imper bleu déchiré, d’ombre dans les yeux, de rivalité amoureuse, de trahison et de pardon. Le timbre désabusé d’un type qui en sait déjà long, instruit de la beauté du monde et de la laideur des hommes : "I’ve seen the future, brother, it’s murder", écrira-t-il plus tard.

Ses détracteurs (j’en connais !) lui reprochent cette noirceur et le réduisent à un dandy déprimé, mâchonneur de vers lugubres, ressassant des idées sombres et se complaisant dans sa mélancolie. Le plus souvent, ils l’ont peu et mal écouté. Car la poésie demande de l’attention. Il faut tendre l’oreille, lire, relire encore ses textes - plus évocateurs que narratifs -  pour en savourer toute l’ironie, la distance amusée, cette violence contenue, ces références aux textes sacrés, ses méditations philosophiques et spirituelles, son constat doux amer que même l’amour n’y peut plus grand-chose. Tout chez lui est affaire de contraste, d’équilibre précaire entre le flegme affiché et l’angoisse chevillée au corps, la quête de spiritualité et le goût de la licence, la recherche du bonheur et une désillusion caustique, l’amoureux souvent déçu des femmes qui se protège en revêtant sa robe de moine.

Le verbe s’est fait homme, lorsqu’en 2008, une débâcle financière providentielle l’a ramené sur scène. Et nous sommes tous allés écouter l’oracle, entre admiration éperdue, enthousiasme exalté et émotion mal maîtrisée. Nous nous sommes retrouvés, non pas devant une légende inabordable et glacée mais devant un homme souriant, chaleureux, longiligne et élégant, visiblement touché de l’accueil que le public lui réservait chaque soir,

Le nouvel album, Old Ideas, perpétue cette période de grâce avec le public. Sa voix grave et profonde psalmodie des textes épurés, ciselés sur des rythmes de blues, folk ou jazz dépouillés. Il y a de la prière, de l’hymne, du spirituel très affiché dans cet opus, un « De profundis » ténébreux qui ne manque pourtant pas de sarcasme, surtout envers lui-même. Du Cohen certifié conforme, sans grande originalité, diront certains. Plutôt l’essence de sa poésie, des arrangements plus classiques, un itinéraire vers l’essentiel qui sonne juste. Même s’il chante toujours le ciel, les damnés, les amours fracassées, le temps qui a fui, « There is a crack in everything / That's how the light gets in »*, les angoisses sont apaisées.

Show me the place - le gemme de l’album

Premier titre proposé avant la sortie officielle de l’album, ballade proche du cantique (qui n’est pas sans rappeler If it be your will), Show me a place est une imploration mêlant sacré et profane, tourments du mortel envers son créateur ou de l’amant abandonné. Le poème, faussement limpide, prend sens au fur et à mesure des écoutes. Leonard Cohen ne chante pratiquement plus, il fait vibrer son grave profond et rugueux, adouci par le piano, le violon, dans une imploration quasi mystique, une soumission magnifique envers le bourreau, qui a beaucoup exigé de lui.

Show me the place, where you want your slave to go

Show me the place, I've forgotten I don't know
Show me the place where my head is bend and low
Show me the place, where you want your slave to go

Show me the place, help me roll away the stone
Show me the place, I can't move this thing alone
Show me the place where the word became a man
Show me the place where the suffering began

The troubles came I saved what I could save
A thread of light, a particle away
But there were chains so I hastened to the hay
There were chains so I love you like a slave.

Show me the place, help me roll away the stone
Show me the place, I can't move this thing alone
Show me the place where the word became a man
Show me the place where the suffering began.

 

* in Anthem

 

2 février 2012

Atys – 2ème partie – le raffinement, loin du maniérisme.

Et la musique dans tout cela ?

Lully est-il autre chose qu’un courtisan, un simple compositeur de cour ambitieux, flattant son monarque pour grimper toujours plus haut ? Plutôt un extraordinaire novateur qui maîtrisait aussi bien la musique, que le théâtre, la danse, la direction d’orchestre et l’art de la dramaturgie.

Atys donne cette étonnante impression que la musique n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus important dans un spectacle, ou dit autrement, la musique n'a rien ici d'"ostentatoire", avec des airs faciles à retenir ou qui éclatent de virtuosité : elle est en fait totalement au service du livret, de cette tragédie intime très bien écrite : les vers de Quinault sont précis, concis, pas de temps à perdre en verbiage. La syntaxe est classique, très belle, mais jamais ennuyeuse dans sa rythmique : l’intrigue avance vite, la tension ne retombe pas. William Christie explique qu’il demandait régulièrement aux interprètes « chantez moins, dites plus », comme si le texte pouvait presque exister par lui-même, qu’il méritait une parfaite diction.

Et ce drame mis en musique bénéficie d’un surprenant orfèvre de la partition, qui suit, vers après vers, la progression des tensions, les humeurs indécises des héros, les incompréhensions, les malentendus. La musique s’adapte immédiatement aux états d’âme des personnages : concrètement, on passe  presque sans s’en rendre compte des nombreux récitatifs (clavecin) aux airs très courts (théorbe, viole de gambe, basse de violon, luth) sans contraste marqué. Tout est fluide, comme l’est la langue. Lully ne verse pas dans la recherche de l’effet mais préfère la retenue, l’élégance, la délicatesse, on n’oserait dire la simplicité, tant ce terme semble jurer avec le baroque, et pourtant ! Sangaride et Atys n’ont pas besoin de roucouler un grand air racoleur à vocalises débridées à l’acte IV, lorsqu’ils comprennent que leurs soupçons d’infidélité sont vains : il leur suffit de murmurer à deux reprises, portés par le continuo, Je jure, Je promets, De ne changer jamais, pour que l’émotion passe, dans des nuances éthérées, intimes et suaves.

Il y a bien sûr cette scène mythique du sommeil d’Atys à l’acte III, où l’orchestre se double sur scènes de sept musiciens : à la douceur grave de deux archiluths, se joignent des flûtes quasi hypnotiques, les voix d’un quatuor masculin stupéfiant et un danseur aérien qui virevolte autour d’Atys assoupi : onze minutes que l’on savoure pétrifié, bercé d’une poésie rarement atteinte et d’une extrême mélancolie.

 

 

La nouvelle génération d’interprètes (à l’exception de deux chanteurs qui rempilent 24 ans après) est à la hauteur du challenge : diction impeccable, présence forte, belle gestuelle, voix superbes ; les deux amoureux Bernard Richter (Atys) et Emmanuelle de Negri (Sangaride) s’expriment avec un naturel confondant, de beaux timbres, des voix claires, des aigus lumineux, des modulations très subtiles. Le quatuor du « Sommeil » est un sommet d’élégance, où l’on retrouve Paul Agnew (quel dommage que son texte soit si court) qui retient ses notes, légères et aériennes, sans jamais chercher à tirer la couverture à lui.

Ça coince en revanche avec la Cybèle de Stéphanie d’Oustrac, que je trouve en total décalage avec l’homogénéité de la troupe : est-ce volontaire, de part sa condition de déesse ? L’articulation est plus que forcée, la voix trop étudiée, trop lyrique, en comparaison avec l’extrême finesse de ses camarades de jeu. Et cette manière de brailler, quand les autres respirent en musique, que c’en est vite crispant ! Ce sur-jeu permanent, cette interprétation emphatique et bien trop affectée pour être sincère, ses yeux écarquillés, ses poses qui n’en finissent pas, n’ont rien à voir avec le sens du drame. On comprend que le gracieux Atys préfère sa douce nymphe à cette furie-virago. 

William Christie retrouve la partition avec un bonheur palpable : la musique n’a rien de poussiéreux ou de daté. L’orchestre est à la fois tonique dans les ouvertures, puissant et généreux dans le drame, et subtil dans des sonorités moelleuses et onctueuses, soulignant toutes les subtilités du livret et attentif à la moindre respiration des chanteurs. Expressif, je ne trouve pas d’autre mot. 

 

 

 

29 janvier 2012

Atys - 1ère partie - Une réputation parfaitement fondée

hgvnzw1pLB_20111127PHTMN9PBSKJean-Baptiste Lully, 1676 – Enregistré à l'Opéra Comique en 2011 / DVD 2011

Trop jeune, en 1987, pour avoir assisté à la renaissance de cette tragédie lyrique, tombée dans l'oubli après une dernière représentation en 1753, il me faut remercier le mécène américain Ronald Stanton, spectateur ébloui de la première heure, d'avoir ramené Atys à Paris en 2011, pour une re-création du fameux spectacle, dont nombre de baroqueux parlent encore avec des sanglots d'extase dans la gorge. On pourra gloser tant que l'on voudra sur ces grandes fortunes venues d'outre-Atlantique, elles nous permettent aussi de sauver notre patrimoine tout en finançant des productions dispendieuses et mémorables.

William Christie et le metteur en scène Jean-Marie Villégier ont choisi, pour commémorer le tricentenaire de la mort de Lully en 1687, Atys, triomphe absolu lors de sa création à Saint Germain-en-Laye, devant un Louis XIV fasciné, qui exigera de le réentendre à plusieurs reprises. Surnommé « l'opéra du Roy », Atys est une tragédie en musique, un drame amoureux à l'issue terrible, traversé de conflits, de trahison, de cruauté et de folie. Le livret raconte les amours contrariées de la nymphe Sangaride, (déjà promise au roi de Phrygie) et du berger Atys, beau mortel convoité par la déesse Cybèle. Pourtant, rien de « pastorale » dans la mise en scène, la lecture de Villégier convoque la tragédie classique pour comprendre les enjeux de l'œuvre : ce choix s'inscrit dans une totale cohérence avec le prologue, où Melpomène, muse de la tragédie, indique à Flore et au Temps :

La puissante Cybèle

pour honorer Atys qu'elle a privé du jour,

veut que je renouvelle

dans une illustre cour

le souvenir de son amour.

Que l'agrément rustique

de Flore et de ses jeux,

cède à l'appareil magnifique

de la muse tragique,

et de ses spectacles pompeux.


Les décors multiples, la machinerie sont oubliés au profit de la règle classique des trois unités. Et puisque Cybèle veut rejouer devant nous ce que fut son amour pour Atys, Villégier nous amène à la cour du Roi, pour une commémoration funèbre jouée d'avance. Cette ambiance lugubre d'une cour où règne la morale de la soumission, de la culpabilité, des secrets devant la toute puissance de l'institution religieuse de Cybèle (ou de l'institution d'un roi absolu) répond à ce deuil perpétuel de la déesse. « Si l'on fait le voyage d'Atys, on découvre une œuvre très méchante, un XVIIème très sinistre, des personnages très souffrants. Des héros affaiblis, domptés par le Prince, maladivement fixés au seul devoir de lui plaire. C'est cette image-là qu'il faut se forger, comme un cauchemar, pour y voyager. »*

Des gravures d'époque des appartements du monarque ont inspiré le décor unique, une antichambre vide, froide comme un astre mort, toute de marbre noir et argent, d'une élégance glacée, tachetée de quelques chiches accessoires. Tous semblent lestés d'afflictions et de douleurs, parés de costumes sombres, déclinant des nuances de gris et des noirs funestes. Ce choix d'une esthétique ténébreuse, précieuse et raffinée est visuellement magnifique et compréhensible par le public, car il paraît soudain évident.

Parfaitement ordonnée, la direction d'acteur est tout aussi sensationnelle : les chanteurs bougent avec agilité, extériorisant leurs émotions, leurs sentiments, comme le feraient de vrais acteurs : cette aisance du geste donne une évidence aux ballets, qui racontent aussi l'histoire, dans un art noble réservé aux gentilshommes de France : si la musique est un divertissement où règnent les Italiens, la danse est un art politique maîtrisé par le plus grand Roi d'Europe. Les chorégraphies sont ici un régal pour les yeux, en parfaire adéquation avec le spectacle, réalisées à partir d'archives d'époque. On ne se lasse pas de ces battements, de ces frottés, pliés, glissés, de ces jambes qui virevoltent alors que le haut du corps bouge très peu. Les attitudes, les ports de tête altiers, l'arrondi d'un bras, le placement des doigts, tout est beau ; parce que l'harmonie entre le théâtre, la musique, le chant et la danse fait des choix de mise en scène et de direction, une quasi évidence.

*Commentaire de Jean-Marie Villégier, in « Un rêve noir habité par un soleil ».

Atys-Opera-Comique-2011

 

25 janvier 2012

Il pleut à Paris, en Grèce aussi, certainement...

Αντίο Θόδωρος...

 

23 janvier 2012

Korres, la gréco-cosmétique… καλός καί άγαθός

basilic_valeurstournesol_valeurs

 

Que celle qui n’a jamais attrapé de coups de soleil en Grèce lève le doigt ? On a beau y prendre garde, les rayons d’Hélios sont fourbes, surtout sur le ferry qui vous ouvre les portes du paradis, alors que votre teint, plombé par une météo parisienne funeste, a tout de l’anémie persistante.

La pharmacienne bien urbaine de Poros me recommanda vivement les produits d’une marque alors inconnue de ma pomme, Korres. Un bref coup d’œil sur la composition on ne peut plus claire (les tartinages de parabène, silicone et dérivés d’hydrocarbure, on s’en passera) me tranquillisa, cette marque grecque avait tout pour plaire.

formula-profil

 

J’appris plus tard que cette marque fut fondée par un pharmacien homéopathe, originaire de Naxos (Γιωργος Κορρές), soucieux de proposer des produits naturels, abordables, sans fausse promesse abracadabrantesque, fabriqués en partenariat avec des coopératives d’agriculture biologique.

Je devins immédiatement addicte au lait corps hydratant après-soleil à l’aloè vera, dont j’abusais durant tout l’été, pour son efficacité comme pour son parfum subtile.  Je commis l’erreur de ne pas dévaliser la pharmacie de ses autres produits, découvrant à Paris que les prix pratiqués en France étaient multipliés par deux.

Toutefois, je déclinais ma dépendance avec de formidables gels douche (mention spéciale pour celui à la figue qui ensoleille votre salle bain, et votre moitié craquera pour ceux au cèdre et au basilic/citron, plus masculin). Les gommages et crèmes nourrissantes sont tout autant recommandables. La gamme visage au vrai yaourt tient ses promesses, haut la main, surtout en été, apaisante et rafraichissante.

 

aloes+apres+soleil


Si vous êtes un peu déprimée ou grincheuse cet hiver, en attendant de revenir en Grèce aux beaux jours, voilà un bon moyen de vous redonner la pêche, tout en soutenant une entreprise grecque, qui elle, le vaut bien.

Achats en ligne, ici : www.korres.fr

Boutique dans le 5ème, 54 rue des Ècoles et bon rayon au « Bon Marché » dans le 7ème.

 

19 janvier 2012

Destins crépusculaires (The Fall of Light), roman de Niall Williams

9782207253489FSEditions Denoël, 2003

Il y a des jours où l’on se dit qu’on a bien fait de pousser la porte de son libraire : usant et abusant des emplettes en ligne, on oublie bien souvent qu’être libraire est un métier, et que des décennies passées le nez dans les livres aiguisent forcément l’esprit et la curiosité. Alors que j’errais entre les tables des « nouveautés », qui ploient sous l’originalité la plus hardie (« ma culture et moi », « mon ego et moi », « mes traumas et moi », « ma famille et moi »), je demandais de l’aide à la recherche d’un vrai roman, avec une écriture, une histoire, des aventures, des personnages, à l’opposé des introspections nombrilistes et douteuses. Destins crépusculaires fut mis d’office dans mes mains, avec un « Ne vous fiez pas au titre traduit façon best-seller aguicheur, Niall Williams est un très grand écrivain irlandais. »

Né à Dublin, expatrié durant quelques années à New York, puis revenu sur son île en 1985 où il commence une carrière d’écrivain et de dramaturge, Niall Williams peint une fresque familiale sur fond de famine et d’exode ; la destinée du clan Foley. Issu d’une lignée de rebelles hostiles aux gros propriétaires terriens qui ne quittent jamais l’Angleterre, mais qui maintiennent les paysans irlandais dans une extrême pauvreté, le patriarche Francis Foley décrète un jour qu’il ne peut plus laisser croupir sa famille dans l’injustice, l’indigence et le mépris, met le feu à la demeure de l’invisible châtelain et fuit le comté de Tipperary pour celui de Clare, avec ses quatre fils. Le clan sera rapidement dispersé et chacun suivra sa route sur trois continents, se cherchant les uns les autres, se croisant, se perdant.

Rien de déprimant dans le roman, pas d’inclination pour le misérabilisme, d’aucuns pourraient presque reprocher un manque de réalisme. L’auteur préfère à l’énergie narrative le déroulement très lent d’une histoire familiale « merveilleuse » où les coïncidences et la fatalité jouent tout leur rôle. Les pages qui relatent le fléau de la famine, les expulsions de familles entières sous les yeux d’huissiers infâmes, les suicides, les crises de folie, les hommes réduits à manger de l’herbe et les cadavres qui pourrissent à l’air libre, tout comme les conditions inhumaines de la traversée vers New-York pour les émigrants, dans les cales de navires-cercueils, sont assez brèves. Niall Williams fait de l’épopée familiale un récit légendaire, fondateur d’une lignée : il délaisse la brutalité historique et pare le roman d’un éclairage de conte, où les morts et les vivants se répondent par symbole, où les animaux ont une part de féérie, où ceux qui ont tout perdu se raccroche aux constellations dont ils se racontent les légendes. La prose devient souvent lyrique, les phrases s’enroulent, sinuent pour décrire les paysages irlandais, ses ciels changeants et  sa nature sauvage, ces liens indissolubles que cette terre tisse avec tous ceux qu’elle a portés. Pas d’images convenues, ou de descriptions ordinaires mais une perception onirique des éléments et de leur influence sur les hommes. D’ailleurs, aucun des quatre fils Foley n’est dépositaire du combat social du père : tous semblent flotter, les yeux rivés sur leurs étoiles, qui leur fait suivre un long chemin, traverser de grands espaces vierges, tels des juifs errants à la recherche d’eux-mêmes.

 

12 janvier 2012

Orlando Furioso - 2ème partie – ça dirige, ça chante… et pourtant, ça coince

arton2738-eaeacJean-Christophe Spinosi et son Ensemble Matheus livrent sur scène, pour la première fois depuis 1727, la version originale de la partition, sans coupe, ni arrangement singulier. Suite à de longues recherches sur le livret d’époque et la partition autographe, ils proposent au public la restitution la plus authentique possible, dans la musique et dans l’esprit.

Beaucoup de musicologues, et autres exégètes patentés, (tout comme ma moitié !) délirent sur la partition d’Orlando Furioso, considérée comme la plus aboutie de Vivaldi. Tous de souligner la « maturité lyrique », sa « séduction mélodique », une « couleur instrumentale lumineuse » et une « vitalité rythmique électrisante », des « accompagnements nourris, complexes et variés », « une écriture magistrale ». Alors, pourquoi cette musique me laisse-t-elle de glace ? Sans doute parce qu’elle n’est qu’une quasi succession d’airs de bravoure, que la rythmique est infernale, que la virtuosité supplante la ligne mélodique, que les récitatifs s’enchaînent au détriment des arias : il y a en effet quatre/cinq airs d’une grande beauté (dont le sublime « Sol da te mio dolce amor » de Ruggiero à l’acte I ou la complainte d’Angelica « Poveri affetti miei, siete innocenti » au III), mais c’est bien peu sur plus de trois heures. La musique demande un réel effort pour accepter sans relâche cette exaltation continue, la folie du personnage principal, les scènes de jalousie sans fin, à grand renfort de frénésie, de fièvre, de tumulte qui finissent par me lasser.

L’orchestre est-il à la hauteur du bouillonnement de la partition ? Il est tout simplement remarquable, au service de la musique qui fulgure sans relâche. Je plains les pauvres archets qui doivent sortir lessivés de la représentation, tant leur énergie est soutenue. La fosse tient le tempo insensé et rutile, époustouflant d’agilité et de relief. Les très chiches lamenti qui leur sont offerts sont de pures merveilles, inspirés et aériens, qui contrastent d’une façon bien tranchée avec la tempête déchaînée des cordes démoniaques,  des bois et des cuivres qui flamboient. Mais tout sensationnel que soit l’orchestre, la partition reste ce qu’elle est : un magma étouffant, dont je sature très vite.

La distribution des voix est un défi : toutes se doivent d’être au-delà du remarquable, tant le niveau d’exigence atteint des altitudes himalayennes. Pas de rôle secondaire, pas de scène légère où reposer sa voix, aucun temps mort. Trois mezzo(s) et une contralto s’affrontent dans une lutte impitoyable, où celle qui faiblirait se ferait aussitôt engloutir par les autres. Ce n’est plus une scène mais un ring. Á ce jeu des rivalités, Jennifer Larmore (Alcina) sort victorieuse, tant son engagement scénique est sidérant. Elle écope aussi du rôle le plus complexe, tour à tour magicienne enjôleuse, mante religieuse dévorant le jeune Ruggiero, monstre manipulateur, harpie délirante, puis simple créature sans pouvoir, accablée et touchante. Ses da capo sont éblouissants de maestria, ses vocalises intrépides jaillissent comme des feux d’artifice, son énergie débridée déborde, alors tant pis si le timbre est un rien mat. Veronica Cangemini (Angelica) a passé l’âge du rôle - la mezzo, Romina Basso, qui interprète son amoureux Medoro, a l’air d’être sa fille - et fait pâle figure à côté de Larmore. Voix râpeuse, manque de souplesse, couleurs ternes, aigus aigres, elle est la grande déception de cette distribution. L’Orlando de Marie-Nicole Lemieux est aussi frustrant : je n’ai pas été saisie par sa version du paladin, héros légendaire qui devient sous nos yeux un homme très vulnérable. J’ai trouvé son interprétation étonnement fragile, sans fougue ni ardeur et la grande scène de folie du III, totalement surjouée. Les vocalises ne sont pas assurées, la voix s’essouffle, son manque d’aisance pour ce rôle colossal est patent.

Heureusement, il y a notre contre-tenor Philippe Jaroussky, qui irradie comme un soleil. Il ouvre ses jolies lèvres et c’est l’extase. Tout est magnifique : timbre, respiration, nuance, légèreté et agilité, sensibilité du chant et maîtrise des ornements. L’avantage du DVD, c’est que l’on peut se repasser dix fois de suite son « Sol da te », la magie opère sans relâche. 

Le baryton Christian Senn (Astolfo) est impeccable - pas désagréable d’entendre une voix grave, ferme, ample et mature dans une partition dédiée à d’autres tessitures et les deux mezzo(s), Kristina Hammarström (Bradamante) et Romina Basso, parfaitement en place, agiles, déterminées et en phase avec leur personnage.

Bilan ? Très mitigé. Á vous de voir, selon votre sensibilité, vos goûts, votre intérêt pour la seule technique stérile et la virtuosité vaine.

 

 

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