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Le Présent Défini
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31 mai 2016

Athènes en mai, avant Cythère

 

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Nous avons toujours une appréhension en atterrissant à Athènes : état des lieux, température du climat social,  ambiance, tension ou apathie... Si janvier avait tout du naufrage, en mai on sauve les meubles et les apparences pour la saison touristique ; les migrants ont été déplacés de la place Victoria vers les camps de rétention et les manifestations se font plus rares. Les derniers soubresauts d'une opposition à la politique imposée par la Troïka engendrent des grèves sporadiques des transports et c'est à peu près tout (suffisamment pour annuler même d'importants concerts à la dernière minute, comme celui prévu au Pirée le 26 mai avec Haris Alexiou, auquel nous avons dû renoncer, bus et métro répondant aux abonnés absents). Le passage en force des 7500 pages des énièmes élucubrations délirantes de Bruxelles, adoptées sans broncher par le Parlement, a fini par assommer définitivement les Grecs : "Τι θα κάνουμε ;" est certainement la vaine interrogation que nous entendrons le plus durant ce séjour.

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Alors, nous avons beaucoup déambulé, arpenté nos quartiers de prédilection, traîné dans les librairies, humé le printemps athénien en fleurs, bariolé de tags corrosifs : sans le vouloir ou presque, nos balades nous ramenaient sans cesse vers Exarchia (qui est, sans aucun doute, mon quartier athénien de prédilection, même si, comme le souligne la banderole de la photo... ), des placettes ombragées jusqu'à la rue piétonne de Methonis, en bas de la colline de Strefi, miraculeusement silencieuse dans le tumulte de la ville. La descente vers Monastiraki en passant par les Halles n'en est que plus brutale, lorsque l'on se jette dans le tintamarre, le trafic délirant et des odeurs à vous lever le cœur (pour la végétarienne que je suis, les effluves du pavillon des viandes par 28° vers midi est une épreuve).

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Pour s'en remettre, le meilleur moyen est de descendre se mettre au frais dans un rade du quartier, au Diporto Agoras, à l'angle de Sokratous et de Theatrou. Pas de porte mais une trappe dans le trottoir qui descend dans une cave sommairement aménagée (voir la liste des restos, remise à jour, ici). Au-delà du bon repas pour pas cher que vous y dégusterez, c'est une atmosphère, une ambiance, une parenthèse chaleureuse, que vous vous offrirez. Le temps semble s'être arrêté dans ce petit lieu tapissé de tonneaux (où les habitués vont carrément se servir, d'ailleurs). Lors de notre dernier déjeuner athénien, nous étions les seuls touristes, entourés de Grecs de tous âges venus partager ensemble bien plus qu'une assiette de poix chiches et des sardines grillées ; une tablée de musiciens, une fois les fourchettes reposées, joueront doucement en sourdine des chansons populaires, juste pour le plaisir de l'instant. C'est dans ces moments suspendus que je sais que je suis là où je dois être, que ces séjours réguliers à Athènes ont un sens et que l'on pense déjà à revenir, en fredonnant avec les autres convives, Τίποτα δεν πάει χαμένο...

 

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12 mai 2016

Trois mois de la vie d'une femme

72dpi-site-femmemetroLa Femme du métro (Η κυρία Κούλα - 1978), court roman de Ménis Koumandaréas*

Traduction Michel Volkovitch

Quidam éditeur, 2010

 

J’aurais tant aimé partager l’enthousiasme général, m’inscrire dans le cercle des amoureux de madame Koula, être touchée par cette histoire toute simple qui a visiblement ému tant de lecteurs et de critiques ; peine perdue, je reste obstinément à la porte. J’ai beau lire et relire ces cinquante-quatre pages, la magie n’opère pas, je baille totalement détachée, insensible à cette brève rencontre entre une quadra (Koula) et un étudiant (Mimis), dans la capitale grecque fraîchement débarrassée de ses colonels.

Chaque soir, à huit heures, les deux protagonistes se croisent dans le même métro (à cette époque, seule la ligne « verte » existe), s’apprivoisent, se séduisent, partagent une éphémère liaison et s’éloignent définitivement. Résumé ainsi, on pourrait craindre un excès de sentimentalisme ou de romanesque dégoulinant, c’est tout l’opposé. Que c’est sec, raide, cruel ! Parce que Ménis Koumandaréas ne fait pas grand cas de ses deux personnages. Sans être franchement antipathiques, ils ne sont juste que l’incarnation de deux générations, de deux parcours, de deux modes de vie qui vont se télescoper à l’heure où le pays se libère de ses chaînes, dans un bouillonnement politique intense. Il ne s’agit pas d’une vraie histoire d’amour décortiquée, analysée (amateurs de Stefan Zweig, passez votre chemin), juste d’un prétexte pour une impossible rencontre entre deux réalités sociales.

Ainsi, les personnages sont stéréotypés, comme deux monolithes dotés d’habitus trop bien définis. L’auteur s’attarde sur des descriptions de vêtements qui enferment (manteau sévère, tailleur strict et lingerie compliquée de Koula) ou libèrent les individus (pantalon large et simple pull pour Mimis), sur les lieux que fréquentent les bourgeois (les salons de thé où l’on s’ennuie) et les individus libres (les rades crasseux populaires), sur les choix des professions, des lieux d’habitation… tout est binaire, en opposition, sans connexion, sans harmonie. On pourrait pu s’attendre au moins à une sensualité fougueuse, une passion physique dévorante qui permettrait de tendre un pont entre ces deux êtres que tout oppose, mais non, Ménis Koumandaréas bride la moindre velléité de débordement. On se rencontre dans le métro, on prend un verre dans une cave, on échange ses fluides corporels dans une chambre en sous-sol : ce qu’on étouffe dans ce roman !

Mimis est un gamin vaniteux, égoïste, sexuellement attiré par les femmes en âge d’être sa mère, qui s’accommode très bien aussi des relations tarifées, et qui excelle en commentaires acerbes, réquisitoires, condamnations du mode de vie « nantie » de ses conquêtes. L’auteur n’accorde même pas aux deux amants une période heureuse de complicité : Koula et Mimis ne sont pas sur la même longueur d’ondes, même dans leur garçonnière. L’étudiant se lassera très vite d’une femme qui sent vaciller ses certitudes et qui a peur de goûter la liberté une fois la porte de sa cage ouverte ; Koula ne supportera pas longtemps la remise en question permanente de sa vie bien rangée.

Si je n’adhère absolument pas à l’histoire qui nous est racontée, il faudrait être sourde pour ne pas entendre la langue de Koumandaréas, sa rythmique, sa musicalité. Le texte file vite, les phrases sont courtes, dégraissées, les descriptions, frugales. L’auteur alterne une cadence rapide pour Mimis et des monologues au ralenti pour les atermoiements de Koula : un monde nouveau s’ouvre pour l’étudiant, celui de la mère de famille, déjà écrit, s’étire avec monotonie.

La Femme du métro est un roman daté qui manque de nuances, de subtilités. Certains lecteurs y voient une « ode à la jeunesse et à la beauté qui passent à toute allure, une hantise du vieillissement, une échappée mélancolique douce-amère, le rappel que le bonheur ne saurait durer…». Nous n’avons visiblement pas la même lecture de l’ouvrage.

 

* Romancier et essayiste athénien (1931-2014)

 

6 mai 2016

"Et les sages perçoivent les choses qui s’approchent..."*

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Le Vent d’Anatolie (Ο αέρας της Ανατολής, in Στην ερημιά με χάρι - 1986), nouvelle de Zyrànna Zatèli

Traduction Michel Volkovitch

Quidam éditeur, 2012

 

Première et (trop) brève rencontre avec une romancière majeure de la littérature grecque contemporaine, Zyrànna Zatèli. Coup de foudre immédiat pour une écriture qui griffe, qui écorche, pour une habileté manifeste à l’ébauche, aux traits rapides et secs qui esquissent des personnages insolites qu’on n’oublie pas. La langue, taillée jusqu’à l’os, ne s’autorise aucune digression, description, explication. Elle file vers l’essentiel, croque les situations, dessine un caractère, un geste, une intonation avec une urgence qui ne tolère aucune pesanteur.

Ainsi, Zyrànna Zatèli crée un univers en pointillé, où l’imagination du lecteur doit combler les vides. Dans cette nouvelle d’une cinquantaine de pages, l’auteur ne donne aucune indication sur le lieu où se déroule notre histoire ; on s’accroche à une petite fille qui parcourt les ruelles de son village avant de rendre visite à la paria du coin, une femme plus âgée que sa maladie tient loin des habitants terrifiés. La narratrice, aujourd’hui adulte, se souvient de ces moments partagés, de ce lien singulier qui les a unies durant quelques mois / années (là, encore, la temporalité reste volontairement flou). Les souvenirs lui reviennent tels des fragments, des vagues qu’elle laisse monter comme le souffle d'une respiration.

Vus à hauteur d’enfant, les villageois sont tous étranges, dotés de noms rares, saisis dans leurs détails les plus surprenants, comme ce bijoutier qui accroche aux oreilles des chats des pompons en fil de soie, ou ce boucher paillard et frustre qui déshonore toutes les jeunes filles avec cynisme. Et il y a Anatolie, qui éclipse tous les personnages dès qu’elle apparaît dans la vie de la fillette ; tuberculeuse recluse, femme énigmatique, capable d’une implacable cruauté comme de la plus exquise délicatesse, elle va bouleverser, émerveiller la vie de la petite. Venue lui porter une simple assiette de bouillie de maïs, l’enfant est immédiatement saisie par la bizarrerie de cette créature fantasque, qui métamorphose un quotidien de souffrances et de pauvreté en monde fabuleux ; plus encore qu’une possible contagion, c’est bien Anatolie elle-même qui éloigne les adultes, – son imagination galopante, ses excès, ses mystères, sa folie.

Elle enchevêtre souvenirs et inventions, entretient sa zone d’ombre, se livre par à-coups, se contredit sans sourciller. Rendue âpre et dure par cette solitude forcée, ce rejet de toute une communauté, son esprit est, dans le même temps, libre de bâtir un univers bien à elle, baigné de poésie, de jeux de langage, de décalages, qui métamorphosent sa lente agonie. Ses crachats sanglants deviennent pour elle des rubis, le brouillard d’hiver se métamorphose autour de sa maison en lumière dorée, "sa démarche et son corps lui-même avaient quelque chose d’oblique, une ondulation incessante et fascinante en forme de huit", elle enfile ses pieds nus dans des chaussures "vertes comme des poivrons et munies d’attaches rouges en cornes", et surtout, Anatolie est une fille du vent et de la lune. Si la petite fille est fascinée par ses yeux "cet éclat de cauchemar, et en même temps la plus grande blessure que j’aie jamais vue dans des yeux mutilés, creusés au couteau", par sa voix rauque et ses éclats de rire cristallins, c’est son aura surnaturel, cette relation avec des forces fabuleuses qui l’ensorcelle.

Isolée entre deux mondes (la vie qui refuse de la garder et la mort qui attend encore son heure), Anatolie est attentive et réceptive à toutes les manifestations de l’au-delà, qui prennent pour elle la puissance de l'astre lunaire et surtout ce vent froid, qui la visite au cœur des ténèbres : "elle me décrivait les nuits où ce vent, de plus en plus fréquent, la réveillait, où elle l’entendait de très loin se rapprocher peu à peu, tourbillonner dans son tympan diaboliquement comme une vrille. Froid, on ne peut plus violent, il la secouait avant de la paralyser. Il lui sembla même une fois qu’il riait dans ses oreilles, tout en soufflant sauvagement, et elle donnait de ce rire malgré sa terreur une explication consolante : ce vent jouait avec elle, la terrifiait, la paralysait, mais il repartait et attendrait encore avant de l’emporter. Elle disait aussi que, certaines nuits, elle le sentait prendre forme humaine." Comme le souligne Michel Volkovitch dans la présentation de cette nouvelle, "ces passages sont parmi les plus forts, les plus beaux jamais écrits sur la mort... ces pages du milieu m’ont donné le frisson".

 

* Constantin Cavafy

Le Présent Défini
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