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Le Présent Défini

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23 octobre 2015

Ode à Kato Koufo'

 

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La certitude que je tomberai en amour devant Kato Koufonissi allait de soi. Si d’aucuns se sentent à l’étroit sur une île, prisonniers d’une immensité d’eau, obligés de tourner en rond sur un territoire délimité, j’y ressens, moi, le bonheur considérable d’être isolée. Que les deux mots aient la même racine latine fait sens ; se retirer sur une île, c’est d’abord vouloir s’extraire du monde, se bercer de solitude désirée, se saouler de silence, et cultiver également, un peu, une certaine misanthropie. Il faut dire aussi que ma région d’origine est constellée de ces "cailloux" posés sur l’océan, certains toujours bien sauvages, dès la transhumance estivale achevée. J’ai voué durant toute mon adolescence un quasi-culte à Chateaubriand, l’écrivain-voyageur par excellence, qui choisit un « sépulcre bâti sur un écueil »*, comme dernière demeure. Impossible, durant les étés bretons, de faire l’impasse sur ce pèlerinage malouin, de délaisser celui qui a choisi d’être un îlien pour l’éternité, au gré des marées qui entourent le Grand Bé.

J’ai gardé ce goût des îles sauvages, pierreuses, minérales, même baignées par le bleu azur de la mer Égée. C’est pourquoi Folégandros, Amorgos, Ithaque, Chios savent répondre à mon imaginaire quand d’autres s’en éloignent irrémédiablement. Je garde de même une pensée tout émue pour Sercq (Sark), îlot anglo-normand fabuleux dans le genre "gros roché primitif sculpté par les vents et les tempêtes", visité en automne il y a quinze ans (et qui servit accessoirement de cadre à Maurice Leblanc pour son Île aux trente cercueils).

Kato Koufonissi est de ces îles qui vous attrapent le corps et l’esprit, qui réveillent des songes et des rêveries, et sur laquelle on revient sans cesse parce que l’on s’y sent évidemment chez soi. Toute en longueur, pelée, rasée, tondue par les vents et le ruissellement des pluies d’hiver, elle est un territoire revenu à l’état de nature depuis le départ des derniers habitants à la fin des années 60. L’île accepte l’été la présence humaine d’une famille d’agriculteurs, de quelques bergers et des visiteurs venus par caïque pour la journée, mais redevient silencieuse et sauvage dès le mois d’octobre. Pas d’eau, pas d’électricité, juste des chèvres et des moutons, deux sentiers qui longent chacun une côte, des criques et une grande anse de sable, les vestiges d’une ferme oubliée ; voilà pour le décor.

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L’ancien hameau par lequel on accoste est le seul témoin d’une activité aujourd’hui révolue, même si les basses maisons usées ne servent plus qu’à abriter les bêtes. Une taverne d’un autre temps sert de repère et de sas de transition, entre la civilisation et les espaces préservés de la main de l’homme. Ensuite... on arpente les quatre kilomètres carrés à son rythme, on suit le tracé des sentes étroites, on coupe au travers des douces collines pour suivre les chèvres aux poils longs, on grimpe sur le plus haut rocher pour avaler de longues gorgées d’un air salé d’embruns, ou l’on se pose près d’une bergerie en ruines, pour rêvasser à ce qui n’est plus ; les heures glissent lentement, on s’imprègne de cette terre indomptée et tranquille, de cette quiétude qui baigne tout le paysage, comblé par ce retour à quelque chose d’inaltéré.

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* Gustave Flaubert, Par les champs et par les grèves (1881)

 

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13 octobre 2015

Pano Koufonissi - mode d'emploi

Lorsque j’ai annoncé à Poulaki mou que nous partions une pleine semaine à Koufonissia, elle a manqué s’étrangler : « mais vous allez y faire quoi ? ». Alors, il est vrai que le minuscule caillou tout rond peut sembler insignifiant au premier coup d’œil : pas de kastro, de chapelle byzantine, de site archéologique, de beaux villages intérieurs. Pano Koufonissi est une pierre plate, discrète, aux côtes crénelées, élimée par le vent, dotée d’un Chora, de deux petits ports, d’un débarcadère de poche, de criques, de quelques plages et … de rien d’autre en fait. Paisible, calme, tranquille, oui, mais pour autant pas endormie. Les habitants vivent de la pêche et d’un tourisme de bon aloi, sobre, discret, respectueux de l’environnement ; pas de fêtards, de braillards, de malotrus ou de râleurs compulsifs. Si les visiteurs de septembre ont quelques décennies au compteur, rien à voir avec les plantureux groupes de retraités mufles et butors, que nous avons croisés à Naxos. On va à Koufonissi pour marcher, se ressourcer, bronzer sans marque de maillot, dans un certain « savoir-vivre ». Cette quiétude de fin de saison ne serait pas tout à fait de mise en juillet et août, quand des bateaux venus de Paros, de Naxos et d’Amorgos déversent sur les plages leur flot de touristes. Mais passé le 15 septembre, l’île est rendue à la sérénité. 

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Dans le Chora de poche, une seule ruelle « commerçante » bruisse vers 19h, quand s’ouvrent les trois ou quatre bars où se retrouvent les locaux. On trouve aussi une sorte d’écomusée minuscule, creusé dans le sol, où le village a déposé des objets du quotidien, des outils, des instruments de marine, d’un autre temps. C’est inattendu, touchant, mais révélateur de l’état d’esprit des îliens qui aiment échanger avec leurs hôtes.

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L’unique magasin de cartes postales et de babioles fait aussi office de Poste et abrite le seul distributeur de billets de l’île, dans la ruelle d’en-dessous. Les habitants fignolent leurs enseignes, la déco et soignent leur charmant village fleuri qui monte tout en douceur derrière la plage.

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Les deux coquettes baies, à gauche du débarcadère (Loutro et Parianos), abritent deux petits ports de pêche et un chantier naval en modèle réduit, qui entretient les caïques de retour vers 10h.

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On y vient chaque matin, d’abord un peu de côté, puis plus près et on finit par engager la conversation avec la femme du marin qui cogne ses poulpes sur les rochers. Nulle rebuffade, les pêcheurs sont fiers de nous montrer leurs prises et de nous faire réviser les noms de poissons en grec (y’a du boulot…).

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De la baie de Parianos, vous pouvez partir à l’assaut du point culminant de l’île, 113 mètres, - ça reste très raisonnable-, en montant au Prophète Ilias, sobre sanctuaire qui tache de bleu le vert des buissons de la colline. On pousse ensuite jusqu’à l’ancienne bergerie qui offre un beau point de vue sur le rivage de l’île, rudoyé par la mer.

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Si l’on part à droite du Chora, on peut utiliser le vélo jusqu’à la plage de Fanos. Ensuite, il faut continuer à pied le chemin qui longe la côte, creusée d’anses tapissées de sable. Pas d’ombre par contre, puisque les arbres sont aux abonnés absents. Les eaux sont vraiment magnifiques, surtout lorsque l’on remonte vers les « piscines », ces grottes sous-marines qui colorent la mer de nuances émeraudes. Plus loin, toujours plus loin, on arrive à la grande vraie plage de sable blond de l’île dans la baie de Pori. Ici, un peu plus de monde, des familles grecques sur les premiers mètres, les naturistes ensuite. La mer n’est pas toujours calme sur cette côte Nord Est et les courants sont traîtres - la toute petite plage du Chora me semble bien préférable si vous venez avec de jeunes enfants. Au bout de la baie de Pori, les flots ont fini par sculpter la falaise, la rabotant, l’excavant, jusqu’à former une « mer intérieure » qui se vide et se remplit selon la forces des vagues. 

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Avec ces presque riens, on passe de jolies journées qui s’écoulent lentement, on se crée des habitudes, et comme îliens et touristes fréquentent les même lieux de vie, ensemble, on se sent partie prenante de la vie de Pano Koufonissi, intégré, accepté et pas uniquement pour que les tiroirs caisse se remplissent. 

 

7 octobre 2015

Pano Koufonissi, gîtes et couverts

Pano Koufonissi ressemblant à un mouchoir de poche avec ses 3,5 km², pas d’usines à touristes, de grands bazars bétonnés, d’hôtels-clubs champignons. Les chambres à louer, les studios s’étalent à gauche et à droite de la plage, près du port, dans de petites maisons cubiques fleuries. L’offre étant de fait réduite, ne tentez pas le diable en débarquant sans réservation, même en septembre. Les visiteurs sont clairement des habitués qui reviennent chaque année.

Nous avons posé nos sacs chez Sophia (Glaros rooms), qui a transformé l’étage de sa maison en cinq chambres, dont trois regardent la mer. Entre la porte du jardin et la grande bleue, moins de 5 mètres. On dort fenêtre ouverte en écoutant le bruit des vagues, le ricanement des mouettes, et le vent aussi, car sur cette terre plate et pelée, ça souffle volontiers. Les chambres, à la déco légèrement désuète, sont simples mais impeccables, même si les dimensions de la salle de bain sont passablement étriquées. Mais on vient ici surtout pour Sophia, son hospitalité, sa générosité débordante. Cette mamie aux yeux bleus gris prend soin de ses locataires comme une mère poule, leur apporte le petit déjeuner maison tous les matins (gâteaux, toasts…), veille à leur bien-être, leur rend service. S’étant aperçue que nous sautions le déjeuner et que nous étions adeptes des yaourts au miel au retour du bain et des balades vers 17h - donc que nous avions un peu faim -, elle s’est empressée de garnir notre frigo de fruits, de chocolats, de riz au lait maison pour combler nos estomacs, et tout cela gracieusement. Ceci explique sans doute la sale tête de ma balance au retour… On se sent à la maison, faisant partie de la famille et non dans une relation pécuniaire. Délectable.

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Côté fourchette, on mange sacrément bien à Pano Koufonissi… Île de pêcheurs, le poisson arrive tout frétillant dans votre assiette, attrapé le matin même. On le sent tout de suite au goût prononcé de sa chair, très très loin des dorades d’élevage...

 -To Steki tis Marias (propose aussi des chambres à l’étage)

À gauche du débarcadère, en suivant la mer, premier petit port

C’est en suivant un matin la femme d’un marin venue apporter le contenu des filets que nous avons dîné là. Il ne s’agit pas d’une taverne, plutôt d’une ouzerie qui propose du calmar, des poulpes, des crevettes grillées minute et un choix de mezzés du jour. On dîne dans le jardin, entourés de toute la famille, des gamins qui cavalent, sous l’œil averti de Maria, encore une mamie prévenante mais qui dirige son petit monde d’une main ferme. C’est simple, très goûteux, même si l’accueil varie selon votre bouille, votre niveau de grec et votre patience devant le service un peu désordonné. On a adoré !

- Capetan Nicolas

Un peu plus loin, après To Steki tis Marias

Très fréquenté car le patron possède son caïque. On choisit son poisson en cuisine, le mode de cuisson, on le pèse et on attend son assiette. Très frais mais sous-cuisson chronique due au monde qui se presse en salle. Service speed et peu souriant. À tenter en tout début et fin de saison, lorsqu’il y a moins de monde.

- Neo Remetzo

Sous le moulin où on prend l’apéro.

Excellente table qui ne désemplit pas (là aussi, le patron va chercher poissons et fruits de mer à bord de sa barcasse), mais plats plus variés, plus élaborés, carte plus fournie. Jolie déco, personnel débordé mais adorable. J’ai élu leurs pâtes aux langoustines, meilleur festin du séjour. Aussi bon qu’à Penmarch, c’est peu dire.

- Fos Fanari

Dans la rue qui remonte de la plage, après le supermarché.

Il ne paie pas de mine ce grand machin un peu moche qui propose aussi souvlaki, pizzas, et dépôt de clopes. Mais pourtant, très bonne table, portions copieuses, le tout ultra-frais (vu le débit, ce n’est pas étonnant). Table préférée de ma moitié pour sa viande de chèvre kleftiko.

- Gastronautis

Dans la rue « commerçante », à côté de la pharmacie

Un brin de modernité dans la déco et les assiettes. Tout est préparé à la commande, donc service un peu alangui, mais l’attente est largement compensée par la qualité des plats. C’est léger, fin, travaillé, cuisiné, parfaitement assaisonné (légumes grillés, carpaccio de poissons, agneaux fondants, pâtes aux fruits de mer, risotto… ), excellents desserts et bonne carte des vins. Un peu plus cher qu’une taverne classique mais ça le vaut largement.

- Capetan Dimitri

Après Glaros rooms, donc à droite de la plage

De nouveau un pêcheur qui propose en direct les produits de son bateau. Ambiance moins agitée que chez le Capetan Nicolas, plus simple, plus conviviale. Votre dîner dépendra des prises du jour mais fraîcheur garantie.

- Ouzeri Aneplora

Deuxième petit port après la plage, sur la gauche - dix bonnes minutes de marche depuis le débarcadère, restez sur le chemin qui monte, ne pas bifurquer vers le moulin de gauche.

Mon coup de cœur pour la situation au bord de l’eau, la déco marine, la gentillesse des propriétaires… et la feta au miel. On y est venu prendre un verre au calme, on a papoté, écouté de la bonne musique, on y est resté pour le dîner. Pour un peu j’y serais encore.

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Pour siroter un verre avant le dîner ;

- Sokoros

Mon spot préféré, pas celui de ma moitié, hélas ! Après notre piaule, donc au bord de l'eau, sur des planches de bois flotté et de vieux gouvernails garnis de tapis, on s'assoie les pieds au dessus de  l’eau ; bonne musique, bougie, lampes tempêtes, ambiance cool, et très bon mojito.

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- Bar Kalamia

Avant Fos Fanari, dans la même rue

Indiqué pour l'apéro dans le Routard, plutôt un bon endroit pour le deuxième ou le troisième café du matin. Chouette atmosphère, très fréquentée à la fois par les jeunes qui y jouent au tavli que par les vieux marins. Très bon accueil et délicieux rakomelo (je n'aime ni l'ouzo, ni le raki, ni le machin au mastic, encore moins le Kitron mais le rakomelo chaud, c'est un peu ma faiblesse.)

- Nikita’s café bar

Bien placé, à côté de la plage, bon ouzo mais accueil un peu froid en fin de saison. Gin tonic passable, sans plus.

- Le moulin

Pas celui du bas, au bord de l'eau, mais celui en hauteur, transformé en bar branchouille, genre lounge - musique choisie - lumières tamisées pour les trentenaires. L'endroit est très beau, la vue sur le port, superbe, le coucher de soleil délicieux. Mais si vous demandez un ouzo, on vous rétorquera qu'il n'y en a plus... car de toute façon, l'ouzo, ce ne serait pas assez  "tendance"... Bon, d'accord, si vous le dites... leurs cocktails sont par contre très bons.

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- Chez Sophia

Dans la rue "commerçante", à l'opposé de Gastraunotis. Grande terrasse dont la vue est un peu rétrécie par de nouvelles constructions. Ici, c'est le temple de l'ouzo de Plomari, du Barbayanni, donc lieu de prédilection de J-P. Ambiance familiale, télé en fond sonore.

Nous y étions le dimanche 20, au soir des élections. Bide total auprès des habitants à qui nous avons demandé les résultats. Tous suivaient un match de basket, et les sujets de discussion étaient à mille lieux des problématiques politiques.

 

4 octobre 2015

Coup de foudre pour les deux Koufo(s)

Je mets en route les récits des deux îles visitées en septembre à l’envers, délaissant la première, Naxos et sa cohorte de désillusions, pour les toutes modestes Epano (ou Pano) et Kato Koufonissi (on emploie le pluriel Koufonissia lorsque l’on parle des deux îlots). Elles font partie des petites Cyclades, comme Iraklia, Schinoussa et Donoussa, situées entre Naxos et Amorgos. Là où Naxos affiche 430 km² pour 21 150 habitants, Pano Koufonissi atteint humblement 3.5 km² et 300 habitants… on change radicalement d’espace-temps, d’époque, de mentalité, de pays en fait. Le Routard souligne que les petites Cyclades s’ouvrent peu à peu au tourisme mais cela reste encore très raisonnable. Toutefois, en haute saison, les capacités de logement saturent vite, vu la petite superficie des îles. Ici, pas de tourisme de masse, de tours-operators qui expédient du grand blond à la tonne pour griller sur les plages. Pano Koufonissi est un bastion italien (aucune idée du pourquoi du comment ?), même si l’on croise aussi des Allemands, des Anglais, des Suédois, mais peu de Français. La taille réduite de l’île fait du vélo le meilleur moyen de locomotion sur les deux uniques routes, même si de traîtres faux-plats nous ont souvent fait cracher nos poumons. On parcourt à pied le chemin côtier, qui dévoile au gré des lacets une dentelure bordée de petites criques*, pour aboutir à la seule vraie plage de sable de l’île, tout au Nord.

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Pas de location de scooters et encore moins de voitures, la bicyclette et de bons mollets sont suffisants. En septembre, le visiteur est souvent retraité, paisible… et peu vêtu. Si à Folégandros, on oublie souvent son maillot de bain, à Koufonissia, on l’a carrément laissé à la maison... Le Chora concentre la poignée d’hôtels, les chambres à louer, les tavernes et c’est tout. Deux moulins, des petits ports bien protégés, un prophète Ilias sur les hauteurs, des chèvres et des moutons et on a fait le tour. C’est encore trop pour vous ? Alors, direction Kato Koufonissi, l’île grecque la plus sauvage sur laquelle j’aie jamais posé le pied. Seulement habitée en été par une famille d’agriculteurs - qui tient aussi l’unique taverne ouverte en saison -, et une dizaine d’habitants, elle est rendue aux chèvres sauvages dès le mois d’octobre. Et il n’y a rien, mais rien de rien. On y vient en caïque de Pano Koufonissi pour s’oxygéner, respirer, marcher, pour le silence, le vent, les paysages vierges de constructions et se baigner dans l’eau la plus limpide de toute la mer Égée. Alors, certes, je me doute que l’endroit doit être un brin moins idyllique en juillet et août, mais passé le 15 septembre, c’est l’extase.

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Totalement inhabitée et inaccessible, l’île de Kéros, voisine de Koufonissia, complète le tableau. Si vous êtes passés par le Musée national d’Athènes et/ou le musée de Naxos, le nom de Kéros, comme de Koufonissi d’ailleurs, doit éveiller des souvenirs de statuettes de marbre blanc aux bras croisés. Car ces trois cailloux arides furent un centre majeur de la civilisation cycladique. Les nécropoles renfermaient des objets, des bijoux, des armes, des poteries et ces figurines étonnantes, ces idoles épurées aux pieds pointés qui ne tiennent pas debout. Plus d’une centaine furent trouvées sur Kéros, dont le joueur de flûte et le joueur de harpe (les deux exceptions à cette posture insolite) que l’on peut voir à Athènes (2 800-2 300 av J.-C.).

* Koufonissi  = κουφιο (creux) + νησι (île) 

 

30 septembre 2015

Entrée et dessert à Athènes 2015

Impossible de partir à la découverte de nouvelles îles sans un petit séjour athénien, préambule pour se replonger dans l’ambiance et postface consolante avant le vol du retour. Nous y reprenons nos marques, évaluons l’avancée des travaux du quartier (je désespère de voir un jour la cathédrale déshabillée de ses échafaudages), arpentons nos rues de prédilection, allons saluer le barbier, l’antiquaire et le glacier. Ensuite, visite de courtoisie pour Psiri, Exarchia, les librairies de l’université, le marché d’Omonia… le temps file sans s’en apercevoir. La liste des restos d’Athènes - post de janvier 2014 - a été remise à jour (ici), puisque nous avons ajouté un Gazi nocturne à nos mises en jambe athéniennes.

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Ce quartier est construit autour de l’ancienne usine à gaz réhabilitée : elle abrite désormais un musée, pour raconter ce patrimoine industriel qui a fourni énergie et éclairage dans Athènes au sens large, pendant 130 ans. Si les bâtiments se visitent de jour, le site reste accessible et illuminé la nuit. Tout Gazi en fait s’allume au crépuscule (alors qu’en journée, c’est morne plaine… ) pour accueillir la jeunesse dorée d’Athènes.

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Á partir de 22h00, la station Keramikos déverse des wagons de jeunes vêtus à la dernière mode (et quelques excentriques), qui exhibent les signes d’une richesse en rien entamée par la crise économique ;  on y vient, on  s’y fait voir, c’est branché, tendance, bruyant et ultra cher - mais l’ambiance vaut le coup d’œil. Fuyez un lieu recommandé par le Routard, le Gazarte, librairie au rez-de-chaussée, salle de concert et bar à cocktails / resto sur le toit. Alors certes, la vue sur l’Acropole, au travers des bâtiments de l’usine flamboyant de jaune et de rouge, est fort jolie mais ce qu’il y a dans les verres est en qualité inversement proportionnel au montant de l’addition : deux doigts d’ouzo et un mojito où j’ai cherché le rhum, 17 euros… le prix et la crapulerie de Santorin, en fait.

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Le lundi 21, le ciel a copieusement arrosé toute la Grèce, Crète comprise. Nous étions sur le ferry du retour, partis aux aurores de Koufonissia pour le Pirée. Le Blue Star Ferry égrène les petites Cyclades avant de rejoindre Naxos, puis Paros jusqu'au port d'arrivée. Á l'escale d'Iraklia, de bien vilains nuages sombres s'accrochaient aux collines de l'île, ne présageant rien de bon.

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Calme plat jusqu'à Paros, mais ensuite... un orage aussi soudain que violent a chambardé le bateau tout entier. Le pont supérieur où nous nous trouvions était alternativement douché de côté par les trombes d'eau de pluie, les embruns des déferlantes et les fuites du toit de fortune du pont, juste pensé pour atténuer le soleil. Le mot "trempé" me semble bien léger pour décrire notre état, nous donnions l'impression de sortir d'une machine à laver qui aurait omis le programme essorage. Á notre condition de dégoulinants grelottants de froid, il faut ajouter le boucan des crises de panique des jeunes Anglaises, l'hystérie des Allemandes et les capacités vomitives sans limites des Asiatiques. Et les Grecs, comment ont-ils géré le déchaînement des cieux ? En bons fils de Poséidon, ils ont donné à tous les touristes une leçon d'indifférence totale au tumulte des flots. Une famille au sens large, montée à Naxos, de retour apparemment d'un mariage - les dragées passaient de main en main -, s'est très vite réfugiée près du bar, à l'abri des plus gros baquets d'eau. L'ouzo, le vin blanc, des vivres, ont surgi des paniers des mamans, toute la tablée a opposé au chaos sa bonne humeur, ses blagues... et la musique. Car dans ses bagages, la noce ramenait un joueur de bouzouki, qui sût apaiser la colère olympienne. Il faut dire que le Κανείς εδώ δεν τραγουδά* repris à plein poumon, avait de quoi calmer à la fois les cieux et les passagers paniqués. Une heure de concert improvisé, de belle énergie, de chaleur, d'enthousiasme communicatif nous remit d'aplomb et transforma une situation "inconfortable" en très beau souvenir.

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  Photo prise avant l'orage, of course !

* première piste de l'album Chansons Nomades - Angélique Ionatos

 

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27 septembre 2015

Septembre 2015 en Grèce

Tout guillerets encore des onze jours passés à Lesbos en mai dernier, nous avons de nouveau sauté dans l'avion début septembre pour le programme suivant :

- 3 jours à Athènes

- 7 jours à Naxos

- 7 jours à Koufonissia (πανω et κατω koufonissi)

- 3 jours à Athènes.

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Ciel chargé d'Athènes après les gros orages de lundi 21/09

Sur le papier, ça tenait debout, les ferrys bien huilés, l'humeur au beau fixe, des images plein la tête, des rêves de bleu et d'ailleurs... Ah bah oui, mais non, pas tout à fait, car nous étions partis un peu en décalage avec la réalité, en mode illusion, voire un peu chimérique. Je noircis sans doute légèrement le tableau mais je m'accommode mal d'une île qui me déçoit, surtout lorsqu'elle pèche, d'abord par manque d'attraits, mais aussi par un certain asservissement au tourisme de masse, jusqu'à devenir un Land germanique. Je parle évidemment de Naxos, les deux Koufonissi m'ayant bien heureusement rappelé ensuite pourquoi j'aime tant ce pays et ses habitants.

Je reviendrais longuement sur le cas Naxos, île sur laquelle nous ne nous sommes jamais sentis bien. J'ai avec la Grèce un rapport presque physique ; j'en aime la lumière, les parfums, la musique, la chaleur des rapports humains, mais aussi sa nature âpre, sa dureté, et ses contrastes marqués. Et je sais lorsque je m'y trouve à ma place, mais aussi lorsque je suis en décalage avec elle. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'une île vous accepte ou vous est hostile, cependant, il faut bien avouer que l'on ressent immédiatement sur certaines, "l'impossibilité d'une île". C'est sans doute la première fois que nous avons enchaîné autant de pépins, de contrariétés, de déplaisirs, de contretemps. Je n'ai en fait pas grand' chose à vraiment reprocher à Naxos (sauf une certaine propension à bétonner sa côte Ouest),  si ce n'est que nous avons, à chaque fois, vu ailleurs en mieux, ce qu'elle propose. Pas de coups de cœur, de belles rencontres, de souvenirs mémorables, marquants, indélébiles, pas d'émotions (mais des visites régulières à la pharmacie, une voiture abimée, des randos qui partent en vrille et un stress constant qui ne nous lâchera que sur le ferry Skopélitis, en partance pour les petites Cyclades).

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Heureusement, les deux îles qui forment Koufonissia offriront un sacré contraste avec Naxos : des habitants adorables, de qui on se sent tout de suite proches, des espaces inviolés, le sentiment d'être enfin en Grèce, sur deux cailloux battus par les vents et la mer, d'être des insulaires, coupés du monde.  Ces deux petites Cyclades resteront le moment fort de ce voyage, encadré par des jours heureux à Athènes, que nous quittons avec davantage de peine à chacune de nos visites.

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Il me semble aussi que ce voyage clos une sorte de cycle consacré aux îles et qu'excepté les Sporades que nous n'avons pas encore rencontrées, c'est la Grèce continentale qui va nous occuper désormais.

Si je devais établir une sorte de hiérarchie des îles visitées, je crois qu'elle s'établirait ainsi :

            1 Santorin  - 2 fois (la plus belle, si on ne prend en compte que l'île)

            2 Folégandros

            3 Amorgos

            4 Koufonissia

            5 Paros - 4 fois

            6 Lesbos

            7 Ithaque

            8 Chios

            9 Céphalonie - 2 fois

            10 Sifnos - 2 fois

            11 Tinos

            12 Serifos

            13 Milos

            14 Naxos

            15 Leucade

            16 La Crête

            17 Corfou

            18 Santorin - 2 fois (la pire, si on prend en compte ce qu'on a fait de cette île)

Nous avons pour 2016 des projets pour le Magne et le Pélion, Thessalonique et la Chalcidique, même si un saut à Patmos devrait tout de même voir le jour. 

 

30 août 2015

De la querelle des anciens et des modernes pour un opéra monté en version XVIIIe.

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Hippolyte et Aricie (1733)

Jean-Philippe Rameau - Enregistré à l'opéra Garnier 2012 (Création au Capitole en 2009) / DVD 2014

Á un an d'écart, Glyndebourne et Paris ont proposé deux versions du premier opéra de Rameau, aux antipodes l'une de l'autre. Là où les Anglais ramènent l'œuvre vers un univers contemporain, loufoque, décapant, avec de vrais choix scéniques et dramatiques tranchés, le metteur en scène Yvan Alexandre choisit de rester dans l'univers et le siècle du compositeur : éclairage feutré, décor de toiles peintes rouge éteint, costumes fabuleusement travaillés, danses, gestes et poses tout droit venus d'une autre époque, machinerie fantastique... L'habillage est somptueux, raffiné, élégant, mais aussi hélas, un peu compassé, raide, statique, corseté dans une tradition qui n'a aujourd'hui plus cours. Bref, ça manque de souffle et de vie.

Yvan Alexandre s'est longuement expliqué sur sa mise en scène dans une interview qui laisse un peu perplexe ; Il s'étend amplement sur la forme "caduque" (sic) de cet opéra, au prétexte que Rameau mêle tragédie et divertissement, Racine et les "rossignols amoureux", Phèdre et les "bondissants moutons". Sa proposition, "pour à la fois déployer les fastes propres à la tragédie lyrique, sans y perdre le souffle et le théâtre, et pour ouvrir largement la voie à la danse et aux divertissements sans mettre en péril la tension", se limite à remonter dans le temps. D'abord, faire demi-tour en 1733 est une gageure car nul ne sait à quoi ressemblait une représentation de cet opéra, mais je n'arrive pas bien à cerner l'intérêt de cette régression que rien ne justifie. Il y aurait donc "un ailleurs, qui n'est ni Lully, ni Gluck, ni Berlioz, ni Wagner, qui se nomme Rameau, et qui a plein de choses à nous dire dans sa langue, dans son théâtre. Allons voir !" Serait-il inévitable, inéluctable, de monter des opéras à l'heure de leur création pour les bien comprendre et s'en émerveiller ? Le monsieur n'aurait-il pas tout simplement choisit la facilité, par - au mieux - humilité, - au pire - paresse ? Un tel manque d'audace, de risque, de lecture personnelle et novatrice est un peu décevant. Va-t-on à l'opéra (surtout au tarif prohibitif actuel) pour remettre de la poussière sur le tapis ?

De nombreux spectateurs se sont gaussés des postures rigides, stoïques, frontales au public, des personnages censés échanger entre eux. D'aucuns ont bien tenté de défendre le "style" pour masquer l'absence de direction d'acteurs, voire un certain "hiératisme" qui collerait bien avec le sujet mais difficile de prétendre respecter le théâtre quand on isole et fige des personnages. Yvan Alexandre donne là encore une explication aberrante. Le couple d'amoureux contrariés par Phèdre, Hippolyte et Aricie, ne croise jamais leur regard. Selon le metteur en scène, "si vous laissez les chanteurs se regarder dans les yeux, si vous laissez le psychologisme (diantre !) s'emparer des vers, les alexandrins prennent tout de suite une couleur "conversation à la Coupole" qui sort du cadre". Comme si donc un livret écrit en langue classique générait par nature une situation, une temporalité, des gestes particuliers, auxquels il serait sacrilège de toucher. Nous sommes donc bien dans une mise en scène de musée où Rameau sent la naphtaline.

S'il est vrai que cette "version" bénéficie au moins d'une parfaite synthèse d'un certain "rêve baroque" où tous les éléments du spectacle se répondent en harmonie, est-ce suffisant pour en faire un spectacle du XXIe siècle qui fasse sens, qui ait pour nous une autre résonance qu'une simple émotion esthétique, qu'un vague évocation d'un XVIIIe fantasmé ? Un spectateur a qualifié sur un forum le spectacle "d'ennui luxueux", où la production flatte l'œil au détriment de toute vie sur scène. La formule est assez pertinente, car la débauche de moyens ne comble pas notre attente d'énergie, de mouvements, de sentiments si tragiques soient-ils, d'émotions, de théâtre, en somme. Car si la partition est, elle, gravée dans le marbre, la mise en scène est l'unique possibilité d'éclairer un texte vieux de plusieurs siècles, d'en extraire la substantifique moelle tout en nous le rendant accessible, intelligible, compréhensible. J'ai longuement ronchonné contre le Cadmus et Hermione et son épouvantable reconstitution de carton-pâte à la bougie, plombé par la diction à l'ancienne, aussi laide qu'insupportable. Sans tomber dans des travers aussi manifestes, cette version d'Hippolyte et Aricie nous donne l'impression d'un rendez-vous manqué, d'un "tout cela pour cela", où les rares hardiesses de mise en scène (comme l'acte II dans les enfers de Pluton) sont étouffées sous le poids des conventions imposées sans raison.

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Cette chape qui pèse sur les relations entre les personnages empêche les chanteurs d'ouvrir les vannes et la voix. Sarah Conolly est une Phèdre baîllonée, sous-exploitée, qui ruse comme elle peut pour livrer un peu de tragédie et de passion ; ce muselage revendiqué, Yvan Alexandre s'en explique par une remarque surréaliste : "Phèdre est un corset qui craque, un volcan qui fume. Si j'abandonne l'interprète à sa seule spontanéité, elle risque de pencher vers Elektra, ou vers la Blanche du Tramway de Tennessee Williams". Ben voyons ! Hormis Stéphane Degout et Jaël Azzaretti (mais l'acte des Enfers, un peu en décalage dans l'œuvre, permet à Thésée de lâcher un tantinet les chevaux, quand le personnage de l'Amour est aussi le seul à amener de la vie dans cette "continence" de bon ton), tous les chanteurs chantent en retenue. Les projections sont flottantes, le vibrato d'Anne-Catherine Gillet trop sage, le pauvre Hippolyte de Topi Lehtipuu disparait derrière la gestuelle édictée et se perd littéralement sur la plateau, quant à François Lis (Pluton) relégué en fond de scène, il peine à être audible.

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C'est tout de même effrayant qu'une mise en scène fossilisée et des choix très douteux torpillent la partition de Rameau, dirigée de plus un peu mollement par Emmanuelle Haïm. Ce soir, Arte retransmettait le concert d'inauguration de la Philharmonie mené tambour battant par un William Christie farceur, espiègle, inspiré ; son Rameau des Indes Galantes (chantées de plus par Danielle de Niese) avaient une autre sonorité, une autre cadence, une tout autre tenue et cela fait du bien !

12 août 2015

Lesbos - Plomari

Dernier post consacré à un coup de foudre fortuit et assez surprenant pour Plomari et ses abords. Logés sur la côte Sud, à Agios Isidoros, un peu dépourvu d’intérêt et de taverne, mais formidablement bien situé les pieds dans la grande bleue, nous avons dû passer par la case Plomari pour nous caler l’estomac. Pourtant, le tout premier contact matinal n’avait provoqué aucune béguin, tant la route qui longe le port ne casse pas des briques ; des bâtiments modernes, une grande place mal fichue, ultra-bruyante, un trafic horripilant et un port tartignole. Descendant de Molyvos, bien décidée à étriller tous les villages qui s’écarteraient du charme très addictif de notre premier point de chute, j’avais trouvé matière à raillerie. 

Parti-pris consternant. Car Plomari, le vrai Plomari, se découvre à l’arrière du front de mer, de part et d’autre du cours de la rivière Sedounda* qui trace un large ravin. La ville date de 1842, lorsque les habitants du village de Megalohori, situé à 10 kilomètres sur les hauteurs, descendirent vers la mer, après trois années consécutives d’incendies destructeurs. Ils bâtirent une ville en amphithéâtre, développèrent des chantiers navals sur le port, et Plomari devint un carrefour commercial et industriel florissant, densément peuplé, comptant un nombre impressionnant de pressoirs à olives, de savonneries, d’usines de talc, de moulins, et de fabriques d’ouzo. L’interruption des échanges commerciaux avec l’Asie mineure dans les années vingt sonna la fin de cette prospérité.

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Mais aujourd’hui, on lit encore le tissu urbain de la ville à l’aune de cet essor économique, car l’architecture civile et industrielle est restée intacte : les maisons simples des ouvriers des chantiers navals et des pêcheurs dans le quartier de Tarsanas, les demeures anciennes « orientalisées » dans le vieux quartier d’Aghios Nikolaos. Le long de la Sedounda, les maisons de maître néoclassiques des propriétaires des huileries et savonneries ; plus haut, sur les deux rives, celles des employés des usines, et plus haut encore, quelques vieilles fermes très usées, toujours en activité. Suivre la rivière est une très jolie balade dans le temps, car toutes les usines, les tanneries, les savonneries, certes désaffectées, sont toujours debout. Elles en imposent encore avec leurs belles constructions altières et leur matériel intact qui dort sagement dans leur ventre.

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Oui, les habitants de Plomari se garent et roulent DANS la rivière...

Attention, si comme nous vous avez des envies de forcer un peu les portes, c’est à vos risques et périls, car certains planchers sont souvent à bout de course.

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On peut facilement passer une matinée entière à explorer ces bâtiments vieillissants, à grimper des escaliers dérobés, à suivre des ruelles si étroites qu’on n’y passe pas à deux de front, à admirer les vieilles portes ornementées, les balcons travaillés, les structures de pierre et de bois, les premiers étages tarabiscotés qui s’avancent en saillie…

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Maison de maître

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Maison d'ouvrier

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Ferme toujours en activité, si si !

On peut redescendre par le quartier des artisans, où subsistent de très vieux ateliers, des manufactures de cuir, des ébénisteries, de minuscules distilleries d’ouzo (qui embaument à trois rues), avant d’arriver dans le vieux quartier, dit Platanos (l’arbre séculaire aurait été planté là en 1813…), ombragé et calme, repère de tavernes désuètes mais savoureuses. 

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Nous avons rapidement pris nos habitudes sur la πλατεια Βενιαμιν ο Λεσβιος **, bordée d’archaïques kafenio figés dans un autre temps. Pas une femme dans les parages, juste des παππουδες sirotant leur café, humant l’air du jour ou jouant au tavli. Le Kafeneio Koytzamani possède une petite terrasse pour profiter du spectacle de la place vers 20h, lorsque l’activité de l’après-midi bat son plein : les habitants viennent faire leurs courses dans le quartier, s’interpellent, braillent, vocifèrent dans leur portable, s’asticotent pour mieux se taper sur l’épaule ensuite, se garent n’importe où… On ne se lasse pas de cette ambiance tonique et un brin sonore. On vient pour le café du matin (excellente boulangerie à deux pas), pour la Fix en fin de matinée et pour l’apéro du soir. Avec deux trois mots de grec, on se fait vite adopter par les consommateurs hors d’âge locaux, qui cherchent loin dans leur mémoire leurs rudiments de français : ambiance conviviale assurée. À l’étage, on trouve le musée folklorique de Plomari, fermé par défaut, sauf si vous demandez très gentiment la clef au propriétaire du café. Le lieu regorge de vêtements, d’objets, de livres, de photos d’une ville  qui construisait son futur industriel. Pas incontournable mais intéressant.

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En rentrant de Plomari vers Agios Isidoros, la route longe l’ancienne savonnerie Xypteras haute de trois étages, éclairée de nuit intra-muros.  Bien sûr, nous avons foncé découvrir de l’intérieur le bâtiment (encore une fois, rien n’est sécurisé, prudence donc si vous enjambez la planche censée fermer l’entrée) et nous avons découvert un espace magnifique, digne d’un décor d’opéra, peuplé uniquement d’oiseaux qui se sont envolés à notre arrivée. Quelle idée formidable de mettre ainsi en valeur à coût réduit la mémoire de la ville !

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Il y a de belles balades à faire en suivant les gorges de la rivière Sedounda qui creusent une région montagneuse : la nature y est luxuriante, riche de sources, mélange d’oliviers, de hauts  cyprès et de platanes ; le vert omniprésent n’est troublé que du gris des petits ponts de bois, des pierres des moulins à olives, des chapelles oubliées, des petites maisons basses délabrées... un paysage assez éloigné de ceux que l’on imagine quand on pense à la Grèce, mais peu touché encore par l’homme et indubitablement authentique.

 

* Plomari s’est d’abord appelé Potamos (ο ποταμος = la rivière).

** Benjamin de Lesbos est un moine, érudit et professeur, né sur les hauteurs de l’actuelle Plomari en 1759 ou 1762.

 

1 août 2015

Karaghiozis… si vous en voulez un peu plus.

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Karaghiozis – en turc Karagöz, occidentalisé-romanisé en Karagheuz ou Caragueuz ; étymologiquement, l’homme « à l’œil noir ».

Figure centrale du théâtre d’ombres et de marionnettes, Karagheuz a été naturalisé Grec au milieu du XIXè siècle, pour donner même par suite son nom au genre. Si, linguistiquement parlant, son origine turque ne saurait être mise en doute, sa transmission historique reste, et depuis plus d’un lustre, l’objet de houleux débats.

Il faut dire que les voyageurs-témoins occidentaux – écrivains-voyageurs, administrateurs, militaires... –, puis, a fortiori, les premiers historiens ou exégètes, se trouvèrent eux-mêmes fort désemparés devant ce type de spectacle, organisé primitivement, sélectivement, à l’occasion de fêtes (fin du ramadan, cérémonie de la circoncision, mariages), et devenu un spectacle populaire de rue, animant (nocturnement) les multiples cafés, puis de véritables « théâtres ».

Chacun d’en appeler alors, par simple homonymie et sans autre preuve, à des origines chinoises, en faisant à l’extrême, via la « lanterne magique », un ancêtre du cinématographe, le rattachant, à nouveau par homonymie, et sans plus de peur de l’anachronisme, au théâtre d’ombres montmartrois du Chat noir ! Bref, Karagheuz, c’était « le Punch pour l’Angleterre, Casperl pour l’Autriche, Polichinelle pour la France, Pulcinella pour les Napolitains... », “à une différence près”, furent tout de même contraints de souligner, unaniment, tous les commentateurs. Mais donc laquelle ? que l’on n’ose même plus souligner aujourd’hui.

Karagheuz, c’était l’ « anarchiste absolu », au sens où l’entendra Alfred Jarry en créant son père Ubu, défiant tous les pouvoirs, toutes les conventions, défenseur des pauvres contre les riches, et n’hésitant pas à descendre jusque dans la simple vie quotidienne pour y dénoncer la moindre inégalité. Cela, originellement, armé d’une seule arme, « la chose qui gêne », un hénaurme phallus. Les Grecs purent alors rattraper leur “retard épistémologique”, rappelant leur antique culte de Priape, pour la bouffonnerie, les comédies d’Aristophane, voire, pour la mise en scène, la caverne de Platon.

Du karaghiosis grec avant le début du XXe siècle, nous ne savons de fait que peu de choses : des mémoires plus que tardives, des textes censurés... L’homme « à l’œil noir » semble apparu à Ioannina, en Épire / Albanie, alors sous domination turque, au tournant du XVIIIe-XIXe siècle. On l’aurait repéré ensuite à Nauplie en 1841, à Athènes - à Plaka - en 1852, à Patras en 1890. La mémoire a surtout conservé les noms des plus importants « καραγκιοζοπαίκτης » (montreur de marionnettes) : Γιάννης B/Μπράχαλης / Iannis Brakhalis, arrivé de Turquie à Nauplie début 1840, puis s’illustrant au Pirée ; et Δημήτριος Σαρδούνης / Dimitrios Sardounis (1859-1912), qui prit le pseudonyme de Μίμαρος / Mimaros, installé à Patras, retenu comme celui qui a “hellénisé” Karagheuz, c’est-à-dire qui, anticipant sur toute censure, a gommé tous ses “débordements”, pour en faire un spectacle disant viser « tout public » – lors même, soulignons-le, que femmes et enfants, au grand dam des moralistes, y étaient antérieurement, amplement présents... Fini donc le phallus ; on ne trouve plus à sa place qu’un bras démesuré, accompagné éventuellement d’un pâle gourdin.

Nombre de montreurs se sont néanmoins depuis illustrés, et bon gré mal gré, – malgré le cinéma, malgré la télévision –, « le spectacle continue » : nous en avons retrouvé plus que trace, et par les affiches, à Paros, à Mytilène... Athènes recèle même deux petits « trésors » ou merveilles : les archives accumulées par la génération Spatharis [Sotiris S. (1892-1974), Eugenios S. (1924-2009)], très officiellement léguées à la municipalité de Maroussi en 1995, mais qui, depuis la mort de leur donateur, restent obstinément fermées au public ; celles de la génération Charidimos [Christos Ch. (1895-1970), Giorgios Ch. [1924-1996], léguées à la ville d’Athènes et abritées au « Centre Mélina [Mercouri] », ouvert gratuitement au public, entretenues activement par le dernier descendant, Sotiris.

J-P, le complice des expéditions

26 juillet 2015

Karaghiozis pour les néophytes ou les curieux - le Melina Culturel Center d'Athènes

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Le personnage incontournable du théâtre turc et grec n'est pas le premier rendez-vous prévu lorsque l'on se rend à Athènes, c'est un fait. L'Acropole, les musées, l'agora, Plaka, le Lycabette, les îles saroniques toutes proches, Nauplie à un saut de bus... les jours défilent vite, surtout lors d'une première visite. Même lorsque l'on devient familiers des lieux, on se surprend à faire et à refaire les mêmes parcours, comme on viendrait rendre visite à un ami pour connaître son humeur du moment : en somme, on fait le tour du propriétaire, en fulminant si nos repères et nos habitudes sont bousculés (comme le bâchage tout vilain et inopiné de la Tour des Vents de l'agora romaine, - passage obligé sur le chemin de chaque premier apéro athénien sur Adrianou -, qui nous a laissé bien perplexes et  chiffonnés).

Mais on fait aussi la danse de la joie quand on tombe sur un endroit encore inexploré, surtout lorsqu'il satisfait une de nos marottes. Entre Thissio et Gazi, une ancienne fabrique de chapeaux abrite le Melina Culturel Center, qui consacre son rez-de-chaussée au théâtre d'ombres et de marionnettes. Plus mal balisé, on ne fait pas, aucun panneau ne l'indique lorsque l'on arrive de la station de métro Keramikos ; heureusement que les gens du coin sont bien urbains.

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Ma moitié visite en familier les théâtres d'ombres d'ici et d'ailleurs, pille sur le sujet les rayons de la librairie Politeia* à chaque voyage et m'entraîne à sa suite dans tous les lieux qui pourraient éclairer ses lanternes sur le Karaghiozis, à la fois personnage et genre à part entière. Il arrive que nous fassions chou blanc (musée ou théâtre privé fermé) mais aussi que la grâce nous tombe dessus. C'est un peu ce qui c'est passé quand nous avons poussé les portes du Melina Culturel Center à la recherche de la figure emblématique du "Guignol" grec ;  la famille Charidimos a légué au centre tout son matériel de conception, de création, de représentation de ce théâtre populaire très insolent, qui fait rire tous les Grecs, du bambin aux têtes chenues. Les figurines plates, articulées, sont manipulées derrière un écran éclairé par un "montreur d'ombres", avec grand renfort de bruitages variés et de textes improvisés. Les histoires s'inspirent autant de la mythologie, de la vie quotidienne des Grecs que de l'actualité politique et sociale. Si Karaghiozis reste un pauvre bougre toujours affamé, lesté d'enfants, manœuvrant avec habilité et fourberie pour triompher des puissants, il est aussi un infatigable vecteur de résistance à toutes les oppressions ; ce qui, vu les occupants de la Grèce, d'hier et d'aujourd'hui, explique sans doute son irréductible popularité.

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La famille Charidimos** met donc sous le regard des visiteurs un fond de 900 pièces, autour du travail des trois membres actifs du clan, outils, matériaux (papier, carton, cuir, métal....), décors peints sur toile, techniques (pantins ciselés ou peints) mais aussi une kyrielle de personnages, de photos, d'images d'archives. Les deux demoiselles qui vous accueillent tout sourire, vous aident (en anglais) à mieux appréhender cette profusion et à vous y retrouver dans l'évolution des procédés et du métier en lui-même.

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Au moment de quitter le musée, nous sommes tombés nez-à-nez avec Sotiris Charidimos en personne, dernier "dessinateur/graphiste" de personnages du théâtre d'ombres. L'homme est très accessible, avenant, accueillant, jusqu'à nous ouvrir son espace privé de travail. Nous resterons sidérés devant cette bienveillance et une simplicité manifeste. Nous aurons même droit à un découpage original d'un Karaghiozis à main levée, effectué avec une virtuosité prodigieuse.

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Ce lieu est entièrement libre d'accès, pour garder l'esprit du théâtre populaire, ouvert à tous. La ville d'Athènes ne voit pas cette gratuité d'un bon œil et n'aide en rien le musée à se faire connaître, puisqu'il ne rapporte pas grand' chose, au seul point de vue pécuniaire. C'est bien dommage.  Si vous passez par Athènes, si vous êtes blogueur, fidèle des réseaux sociaux, prof, journaliste ou simple curieux, donnez un petit coup de main au musée en faisant de lui le nouvel endroit incontournable d'Athènes, pour cerner un peu mieux l'âme grecque par son théâtre d'ombres. Le quartier de Gazi, branché et fêtard vaut déjà le détour ; il aura désormais son alibi culturel.

Melina Culturel Center, à l'angle de Heraklidon et de Thessalonikis, station Keramikos / Ouvert du mardi au samedi de 10h à 20h, 14h le samedi. Le Routard le mentionne enfin...

* librairie sur Asklipiou, à côté d'Akadimias (station Panepistimio)

** Sotiris Charidimos, toujours bien vaillant (né en 1941) est le fils du "montreur d'ombres" du Pirée Christos Charidimos (1895 - 1970) et frère de Giorgos Charidimos (1924 - 1996), lui aussi "montreur d'ombres".

 

19 juillet 2015

Lesbos - un peu plus à l’Est

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C’est peu dire que nous n’avons pas du tout accroché avec Mytilène-ville. Pourtant, on ne peut pas nier qu’elle abrite de bien jolies maisons néoclassiques, une belle lumière quand tombe le jour, un port plein de vie, de remarquables mosaïques au nouveau musée archéologique, mais non, rien à faire, cette cité de 30 000 habitants est horripilante : trop grande, excessivement bruyante, mal pensée, pas pratique, brouillonne, décousue. En voiture, c’est un cauchemar, à pied, une purge ! Des voitures dans tous les sens, des scooters téméraires, voire inconséquents, des taxis psychopathes qui ignorent tout du code de la route, cette ville est le règne des dangereux sans-gêne sur roues. Impossible de flâner, de prendre son temps, de lever le museau, le tintamarre des klaxons vous accompagne partout. Seule solution, sortir de la ville jusqu’au kastro et l’ancien port, pour respirer un peu et mettre ses tympans au repos.

Nous avons donc totalement délaissé Mytilène-ville et ses alentours, pour suivre immédiatement la route de la côte qui remonte jusqu’à Mandamatos. Premier arrêt pour Moria, dont le seul nom fait rêver tous les familiers de la Terre du Milieu. Nulles mines pourtant à la sortie du petit village tranquille, nuls nains armés de hache, mais un très bel aqueduc romain (bâti entre le II et le IIIe pour alimenter la cité de Mytilène), qui enjambe une vallée d’oliviers et de lauriers-roses. L’ouvrage, conçu pour une importante quantité d’eau qui dévalait depuis le Mont Olymbos (source proche d’Agiassos), est encore debout sur 170 mètres. Une seule ouverture entre deux colonnes possède encore ses trois arches empilées mais l’ouvrage, en restauration, a encore vraiment fière allure. Haut de 27 mètres, construit en marbre gris, il reste imposant, presque majestueux dans le silence absolu du site.

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Plus loin, toujours en longeant la mer, on tombe sur Thermi, un ensemble de trois villages (Pyrgi Thermis, Paralia Thermis et Loutropoli Thermis), qui demande une bonne demi-journée de visite : le vieux village de Pyrgi doit son nom aux demeures fortifiées construites par les Turcs et les riches habitants de Mytilène-ville, des "tours-habitations" dotées de murs de pierre et de balcons. Très peu sont aujourd'hui visibles, alors nous avons doucement poussé le portail d'une maison privée bien restaurée pour en admirer l'architecture, sans que son propriétaire nous cherche des noises.

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Thermi abrite aussi un site archéologique fouillé dans les années 1930 par une Américaine, Winifred Lamb, qui mit au jour les preuves de cinq implantations successives, entre 3200 et 2400 av J.-C. Le lieu fut abandonné vers 1200 av J.-C. après un gigantesque incendie. Les excavations en strates, les poteries, les foyers,  les outils, les matériaux, relient les différentes couches avec les trois civilisations de l'âge de bronze : civilisation d'abord cycladique, minoenne puis enfin mycénienne. Si les vestiges sont aujourd'hui peu lisibles, on comprend mieux l'enchaînement des constructions grâce au film pédagogique que l'on peut voir à l'entrée du site. Pourquoi cette présence humaine ininterrompue sur une si longue période ? 

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Les inscriptions retrouvées, les éléments architecturaux, les bâtiments religieux dispersés tout autour du lieu témoignent de l'importance de cette ville plusieurs fois reconstruite comme centre religieux et thérapeutique. La présence d'un temple dédié à Artémis, protectrice des sources, n'est pas une coïncidence à... Thermi. La région regorge de sources thermales riches d'une eau chargée en fer, souveraine pour une palanquée de maux. Si beaucoup de bains sont aujourd'hui fermés, on tombe presque sans le vouloir sur des restes d'anciennes installations, des citernes, de vieilles canalisations, dès que l'on tourne la tête.

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Nous avons surtout passé un long moment à fureter dans l’ancien hôtel Sarlitza Pallas de Loutropoli Thermis, vieux complexe de cure construit en 1909, aujourd’hui agonisant dans une nature qui a repris ses droits. Imaginez le Grand Hôtel des Bains du Lido pour le standing et le prestige, expirant, érodé et déliquescent. Le nom du palace est turc, comme l’était son premier propriétaire (sari = jaune, litza = eau curative) - on remarque en effet que les bassins où l’on faisait trempette ont gardé des traces jaunes orangées des eaux chaudes ferrugineuses. Pendant une trentaine d’années, l’hôtel, passé dans des mains grecques, attire les riches curistes européens (têtes couronnées, prélats, célébrités…) jusqu’aux prémices de la Seconde Guerre mondiale, qui renvoient tout ce beau monde à d’autres priorités. Définitivement fermé en 1970, le Sarlitza Pallas devait bénéficier de travaux de réhabilitation, avant que le pays ne soit asphyxié par les plans de relance. 

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Les jardins, les bâtiments de cure, l’hôtel en lui-même sont laissés en l’état (ne surtout pas rentrer dans la construction principale avec des enfants, les parquets sont croulants, les escaliers brinquebalants…) et on se balade dans cette splendeur déchue avec un brin de nostalgie, une sorte de mélancolie diffuse pour ce qui n’est plus mais qui a fait les grandes heures de l’île de Lesbos.

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8 juillet 2015

Lesbos - La boucle du Sud, carrément frustrante.

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Le triangle méridional de l’île est étranglé à son sommet par deux golfes aux eaux placides, qui délimitent une région sereine, tranquille, autour du Mont Olymbos.  L’Est du golfe de Kalloni abrite des marais salants et une réserve ornithologique classée Natura 2000, qui drainent en ce début mai une foule de connaisseurs, armés de leurs seuls téléobjectifs. C’est une des rares îles visitées qui bénéficie d’un tourisme vert, respectueux des sites naturels, où l’on dédaigne la bronzette au profit de longues heures passées à scruter les bêtes à plumes. Nous croiserons souvent dans les tavernes du Sud ces groupes de Hollandais et d’Allemands enthousiastes, toqués d’oiseaux, drapés de vert, encombrés d’un lourd matériel.

De Kalloni, nous sommes descendus vers Agiassos, village traditionnel vanté par tous les guides, construit en amphithéâtre sur un des versant d’Olymbos : maisons imbriquées, serrées pour se tenir d’aplomb, toits de tuiles rouges, façades colorées, ruelles pavées escarpées, impasses soudaines, escaliers raides, inclinaison très marquée, Agiassos semble vraiment dégringoler sur toute la pente. Mon sens de l’orientation en coma dépassé, m’a amenée à tourner en rond durant 20 minutes dans ce labyrinthe, avant de me résoudre à demander mon chemin (pendant que J-P, plus doué pour se repérer par rapport au soleil, m’attendait goguenard devant un ouzo bien frais). Surtout, ne commettez pas l’erreur de vouloir vous engager dans ces étroits boyaux qui servent de rues avec votre voiture, traquenard dédaléen à sens unique assuré.

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Au bas du village, se regroupent les cafés, les tavernes, les boutiques de bois sculptées, un petit marché. Nous avons été absolument hermétiques au charme frelaté du lieu, beaucoup trop attrape-nigauds pour nous (Poulaki mou trouvera bizarre de rester insensible au charme d’Agiassos quand je pare Molyvos, beaucoup plus touristique, de toutes les vertus, mais c’est ainsi). Une église du XIIè, très chargée, renferme là aussi une icone "miraculeuse", objet d’un culte toujours actif chez les locaux.

Bref, nous avons quitté Agiassos insatisfaits, un peu frustrés, rattrapant la route qui longe le golfe de Yera. Le rivage du golfe est on ne peut plus paisible, bordé de roseaux et de cyprès, ponctué de petits ports endormis où clapotent quelques barques de pêche. On continue jusqu’à Pérama, ancien centre "industriel", doté de hangars désaffectés, d’usines silencieuses et de cheminées assoupies. Rien de sinistre, les bâtiments s’effacent doucement.

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La route vire vers l’intérieur et on traverse ensuite de jolis villages tout simples, en longeant une rivière ombragée de platanes, avant d’arriver à Trygonas. De là, cap sur Agios Isidoros, à quelques kilomètres de Plomari, où nous logeons au bord d’une plage plus avenante que de coutume à Lesbos.

Agios Isodoros

Le petit village d’Agios Isidoros n’a en lui-même aucun intérêt majeur, pas même une bonne taverne ouverte en ce début de saison, si ce n’est son emplacement les pieds dans l’eau et notre lieu de villégiature "Pano sto kima". Je reviendrai longuement sur Plomari, tant ce gros bourg s’est révélé un coup de cœur, bien inattendu, de cette côte Sud.

Passé Plomari, en suivant la route de la mer, on atteint Melinda, tout petit village de poupées, caché au creux d’une crique de galets. Quelques tavernes, une poignées de chambres à louer, une mer plus nerveuse, des embruns et du vent, un lieu retiré mais en rien délaissé, où se retrouvent chaque année les mêmes amoureux du silence et de l’isolement. Rien de dénaturé, de ripoliné pour les touristes, c’est brut de décoffrage.

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La route qui quitte Melinda se perd ensuite dans la montagne, asphaltée d’abord puis simple piste, praticable à vitesse raisonnable. On ne croise pas foule sur ce versant du mont Olymbos, silencieux et rugueux. On peut ensuite, partir vers Vatera, station balnéaire pas très engageante mais dotée d’une vraie longue plage de sable, qui conviendra aux familles avec enfants. Le lieu est tout de même décentré et sans charme, plat et monotone. Nous avons tenté de remonter par Polichnitos, puis jusqu’à Nifida (la pointe la plus à l’Ouest de cette côte Sud) mais nous n’y avons rien trouvé pour nous enthousiasmer. En fait, passé Mélinda, le paysage devient étonnamment quelconque, les villages sans identité, le bord de mer piteux. Il s’agit de la seule partie de l’île qui nous semble dénuée de saveur, de consistance. Il faudra donc privilégier l’Est de cette côte Sud, qui permet aussi de rayonner vers Mytilène-ville, Moria, Thermis et les sites archéologiques de l’île. 

 

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Le Présent Défini
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