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Le Présent Défini

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23 août 2012

Le Voyeur (Peeping Tom)... une leçon de cinéma

Michael Powell - 1960

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Là, indubitablement, on entre dans la légende, dans le singulier et l’inégalé, avec un film tellement audacieux et inconvenant qu’il brisa la carrière de son réalisateur. Sorti à quelques mois d’intervalle de Psychose, Le Voyeur (qui tourne lui-aussi autour de la figure d’un meurtrier psychopathe) fût crucifié par une critique anglaise déchaînée, à grand renfort de superlatifs cinglants et assassins. Une telle mise à l’Index trahit de façon sous-jacente l’uppercut reçu par le public de l’époque, dépourvu de défenses devant le corps à corps très inconfortable qui lui était imposé sur l’écran ; devenir lui-même voyeur, témoin privilégié, donc complice de meurtres, directement à travers l’objectif d’un assassin qui filme ses crimes.

Karlheinz Böhm (oui, oui, le Frantz de Sissi) prête ses traits poupins, ses mèches blondes et son regard bleu tendre à un jeune chef-opérateur solitaire et timide (Mark Lewis), obsessionnel des images, qui trimbale sur les plateaux de tournage comme dans la vie une caméra, pour filmer son quotidien, et ses meurtres sur pellicules. Son regard n’existe qu’au travers de son objectif, véritable prolongement physique de lui-même. Gangréné de névroses*, photographe de prostituées de bas-étages à ses heures, il voue une fascination perverse et dévorante aux visages de femmes à l’agonie, ravagés par la peur et voyant dans un miroir leur propre mort s’avancer.

 On pourrait gloser et tartiner ad libitum sur le film tant les pistes d’analyse sont nombreuses :

- critique sociétale d’une Angleterre faussement puritaine et hypocrite, qui se vautre avec tartuferie dans la débauche la plus sordide

- élaboration d’une psychose et étude de la folie comme renversement d’un trauma originel

- confusion délibérée entre le sujet du film et la manière de filmer les actions du personnage (la forme appliquée au fond) – la corruption par l’image

- phénomènes de réverbération et de miroirs sans fin entre la caméra de Powell et  celle de son héros qui se filment réciproquement. Où se place alors le spectateur ?

Au-delà des interrogations soulevées évidentes sur l’acte de filmer (qui revient ici à tuer), les responsabilités d’un réalisateur, la représentation de la violence à l’écran et la perversité du public, le film en lui-même, la mise en scène, la musique et les choix signifiants de Powell font du Voyeur une œuvre dense. Ce dernier s’amuse beaucoup à renverser les conventions du film d’angoisse pour souligner combien les images peuvent berner. Le héros a toute l’apparence d’un bon garçon en duffle-coat, doux et timide, buveur de lait, sans signe extérieur de déséquilibre, à l’opposé d’un Norman Bates. Il fait aussi de la lumière, habituellement familière et sécurisante un vecteur de terreur et d’angoisse. Le miroir, où se reflète le visage des victimes est déformant. Le monde des tournages, auquel participe Mark de part son métier, est dépeint avec ironie, ses membres ridiculisés, ses stars brocardées. Mark Lewis, l’homme qui VOIT, sera démasqué par une aveugle, sa voisine du dessous, qui passe ses nuits à épier ses déplacements suspects. Sa caméra ne vole pas seulement des images, elle est une arme redoutable dotée d’une lame tranchante. L’utilisation des lumières crues et des couleurs acides est volontairement caricaturale (oui, le cinéma n’est qu’artifice). La musique au piano qui accompagne les meurtres ressemble à celle des films muets et boucle ainsi - provisoirement en 1960 - , l’histoire du 7ème art.

Le Voyeur est réellement un film à part, téméraire et impertinent, où chaque image, chaque plan sont chargés de sens.  Adoptant le point de vue d’un assassin, au propre comme au figuré, très critique vis-à-vis du cinéma (violeur d'intimité), pataugeant avec une délectation palpable dans les différentes expressions de la perversion, jubilant de mettre le spectateur mal à l’aise et de lui renvoyer ses propres vices, Michael Powell signe ici un manifeste monstrueux et fascinant.

 

* On peut regretter que Powell ait donné une source familiale aux névroses de Mark, un peu convenue et lourdement soulignée : si elle permet des scènes angoissantes et des règlements de comptes acides avec la cellule étouffante et corruptrice qu’est la famille, le fatras psy, la tension sexuelle sous-jacente convenue dès que Sigmund est appelé en renfort et ce souci de donner une racine à sa pathologie affaiblissent un peu la portée amorale du film. Si Powell ne juge jamais son héros, il le « victimise » trop facilement. Mais le scandale eut été sans doute trop dévastateur si Powell avait joué la provocation jusqu’au bout avec une folie sans cause… l’homme n’est pas encore condamné à sa liberté en 1960 outre-Manche…

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17 août 2012

Les Chaussons Rouges (The Red Shoes)... entrez dans la danse !

Michael Powell et Emeric Pressburger - 1948

les_chaussons_rouges_dvdOh, la claque ! Je suis à la fois atterrée d’être passée loin de ce film durant tant d’années et béate de joie qu’il ait enfin croisé mon chemin… mais aussi vermillon cramoisi devant mes lacunes cinématographiques. Á la décharge du public européen, ce film anglais fut un échec lors de sa sortie, boycotté par ses producteurs et le distributeur, tombé aux oubliettes, mais devenu culte outre-Atlantique. « Indéniablement le plus beau film en Technicolor. Une vision jamais égalée » pour Martin Scorcese, « The Reds Shoes est le seul film à voir avant de mourir », pour Francis Ford Coppola.

Cinéastes indépendants, singuliers, inventifs et visionnaires, Michael Powell et Emeric Pressburger (le premier à la caméra, le second à l’écriture) sont indéniablement en avance sur leur époque, à la fois techniquement, esthétiquement et prodigieusement créatifs, avec une totale liberté de narration qui force l’admiration. Pas étonnant donc qu’ils se jettent dans le projet fou d’un film où s’entremêlent littérature, ballet, musique et peinture,  pour une réflexion sur la création, la cruauté du monde du spectacle, les sacrifices imposés par une discipline exigeante, le choix impossible mais obligé, entre l’art et la vie.

The Red Shoes nous embarque dans la vie de tournée d’une troupe de danseurs, entre Londres et Monte-Carlo, dirigée d’une main de fer dans un gant d’acier par son directeur tyrannique et glacial, Boris Lermontov. Le clin d’œil aux Ballets Russes et à Diaghilev* est manifeste dans sa constante volonté de se démarquer par des spectacles novateurs, où règne « l’art total », musique avant-gardiste, machines à féerie, décors somptueux et costumes enchanteurs. Il engage au même moment deux débutants, la danseuse Victoria Page et le compositeur Julian Craster pour la création d’un nouveau ballet, inspiré d’un passage choisi d’un conte oublié d’Andersen, The Red Shoes. Si la première partie du film suit l’ascension rapide des nouveaux venus dans le monde du spectacle, la seconde partie vire au drame très noir, où l’intransigeance du maître, initiateur de talents, s’oppose à la volonté du jeune couple de concilier art et amour : « You cannot have it both ways. A dancer who relies upon the doubtful comforts of human love can never be a great dancer. Never. ».

Il y a quelque chose de très « wildien » dans ce personnage de Lermontov, pour qui la vie ne saurait nourrir l’art, qui se suffit à lui-même. Profondément seul, entré dans la danse comme d’autres en religion, visionnaire et obsessionnel, il crée et détruit, donne et reprend, manipule et dispose, selon le degré de loyauté et d’obéissance, que lui vouent ses danseurs. Il a  cette froideur distante d’un Dorian Gray, possédé par la danse, comme on peut l’être par la beauté, indifférent aux sentiments des autres mais d’une cruauté sans commune mesure avec ceux qui refusent son dévouement insensé pour la perfection de son art. Nul doute que les réalisateurs américains qui se pâment devant le film, voient, dans le personnage de Lermontov, une grande part de leurs névroses d’artistes…

Le dilemme de la ballerine débutante, déchirée entre son amour pour le compositeur et la dévotion exclusive à son art, se matérialise douloureusement lors d’un ballet de 17 minutes, où Victoria Page interprète l’héroïne d’Andersen, une jeune fille prisonnière de chaussons rouges ensorcelés, et qui danse malgré elle, jusqu’à ce que mort s’en suive : l’Art, dévore la vie. C’est peu dire que Michael Powell s’en donne à cœur joie. Le découpage filmique de la scène est absolument hallucinant, dominé par des effets visuels de toute beauté (l’expressionnisme allemand, le cinéma surréaliste, les films de Cocteau font sans aucun doute partie de la culture des auteurs). Couleurs saturées, plans audacieux, surimpressions bizarres, éclairages fiévreux,  visions oniriques, le fantastique surgit soudain et habite l’écran dans une ronde affolée, pour donner corps à l’épouvante de l’héroïne, captive de ses chaussons, de la danse, de sa vanité.   

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La danse est un art auquel je ne comprends pas grand' chose (aussi hermétique que le Nô ou le Kabuki, en ce qui me concerne). Mais, la place donnée à la musique contemporaine, la mise en scène audacieuse, les plans hardis (peu de plans larges, mais des contre-plongées, des gros plans qui s’attardent, des obliques), le rythme rapide de la narration, le dynamisme des échanges, les dialogues qui claquent, les lumières qui peignent les décors de bleus froids, de rouges acides, de jaunes éclatants, ce monde de l’illusion et de la manipulation rendent ce film mémorable et captivant.

 

* On retrouve d’ailleurs, Léonide Massine, chorégraphe des Ballets Russes, de 1915 à 1921, dans la distribution du film

 

8 août 2012

Accessible Iliade…

9782070341337Homère, Iliade - relecture d’Alessandro Baricco – Éditions Albin Michel, 2006

Il est de ces grands textes qui paralysent, trop célèbres, trop illustres, trop imposants, pour que le commun des lecteurs ose s’en emparer : vingt quatre chants, plus de quinze mille trois cents vers, pour raconter l’épopée la plus connue de tous les temps. Une cité légendaire, des hommes et des dieux, des guerriers, des héros, des rois, des noms qui ont traversé les siècles et dont la seule évocation force le respect et l’admiration.

Souhaitant adapter l’épopée au format de lectures publiques retransmises à la radio italienne – quarante heures étant nécessaires pour venir à bout du texte originel - Alessandro Baricco a dû intervenir, à partir d’une traduction italienne en prose, et revisiter le monument sans le trahir.  Pour certains, on frôle le sacrilège, la profanation, voire le blasphème. Je voudrais bien savoir, parmi ces dévots intégristes bien-pensants, combien se sont mangés les quinze mille trois cents vers…

Alessandro Baricco resserre le texte, élague les répétitions, dégraisse, en gardant les sections originales de l'oeuvre. Il fait le choix de se passer des dieux, inutiles d’un point de vue narratif et maintenant très éloignés des préoccupations  de l’homme du XXIème siècle. Cette décision est conforme à sa vision de l’Iliade, « composée pour chanter une humanité combattante, et la chanter de façon inoubliable, pour durer dans l’éternité, et arriver au dernier fils des fils en chantant toujours la solennelle beauté, et l’irrémédiable émotion qu’a été autrefois la guerre, et qu’elle sera toujours ».

Après avoir coupé les interventions de Zeus, Poséidon, d’Apollon et consorts, Alessandro Baricco  balaye les aspérités archaïques pour transmettre l’histoire dans une langue vivante, contemporaine, sur un rythme rapide, à l’aide de phrases courtes. La respiration est celle d’un texte parlé. Comment lui en faire reproche alors qu’il ne fait que mettre ses pas dans ceux des aèdes et des rhapsodes de l’époque homérique, transmettant l'histoire selon une longue tradition de poésie orale, où chacun est libre d’orner, de morceler, d’exalter un épisode en passant sous silence les moins impressionnants.

Cette proximité de langue se double d’une implication directe des héros mythiques, avec l’intervention d’un narrateur différent à chaque étape du récit. Plus de conteur extérieur,  Alessandro Baricco laisse les personnages nous parler, nous faire témoins de leurs émotions, de leurs contradictions, de leurs victoires et de leurs souffrances. Achille, Agamemnon, Ulysse, Hector, Priam, mais aussi les femmes, les personnages secondaires, le fleuve même, souillé du sang intarissable des guerriers massacrés, tous donnent de la voix, « kaléidoscopent » le déroulé des événements en démultipliant les points de vue. C’est un vrai chœur antique qui nous livre la prise de Troie, non plus la voix unique et monocorde d’un poète.

Enfin, Alessandro Baricco intervient, en italique, dans le texte, en greffant quelques notations et surtout en ajoutant un épilogue, issu de l’Odyssée, la chute de Troie et l’épisode du cheval (l’Iliade d’Homère se referme sur les funérailles d’Hector, sans indiquer le vainqueur d’une guerre qui aura duré une décennie).

Il faut garder à l’esprit que cette réinterprétation est faite pour être lue, qu’elle n’est en aucun cas une « nouvelle version pour les incultes» de l’œuvre d’Homère. Nulle prétention de la part de Baricco de ré-écrire une œuvre majeure qui sentirait de nos jours la naphtaline et la poussière. Le texte initial est toujours là, libre aux auditeurs/lecteurs ensuite de se tourner vers lui s’ils le souhaitent. Les lectures publiques se sont déroulées devant plus de dix mille spectateurs. Alessandro Baricco raconte dans sa préface que des automobilistes, écoutant la retransmission, sont restés scotchés dans leur voiture, incapables de couper la radio avant la fin de l’histoire. Passer, transmettre, diffuser, perpétuer un grand texte, même retouché, est toujours une victoire. Faire la fine bouche devant un succès populaire est affaire de pédants boursoufflés ou d’ignorants. Et enfin, s’imaginer qu’il existe, quelque part, UN manuscrit authentique de l’Iliade, sacré et consacré, avec empreinte d’Homère* certifiée conforme, est risible.

On peut se demander si la portée du texte est encore d’actualité. Or, le choix de l’Iliade fait toujours sens. Elle nous parle de guerres absurdes, amorcées par un « presque détail » que l’on aurait pu régler autrement que par le fracas des armes. L’épopée parle d’hommes qui, tout compte fait, adorent combattre, frapper, massacrer, comme si la gloire et le salut ne pouvaient s’acquérir que dans un bain de sang. Baricco a raison de sortir les dieux du récit car l’immortalité d’un homme s’acquiert sur le champ de bataille, la guerre est une aventure physique, terrestre, et tous se complaisent dans la volupté de la destruction. Le dépassement de soi, et donc, le moment de vérité, prévaut sur l’idéal que l’on a  depuis longtemps oublié. Au bout de dix longues années de féroces combats, les Grecs et les Troyens savaient-ils encore pour quoi ils luttaient ? En contre-chant, la voix d’Achille, et celles des femmes, raisonnent d’un autre choix, celle de la paix et de la toute puissance de la vie. Option vite balayée. Comme nous rappelle Baricco dans sa postface : « on considère toujours la guerre comme un mal à éviter, mais on est loin de la considérer comme un mal absolu : à la première occasion, tapissée de beaux idéaux, l’idée de partir à la bataille redevient très vite une option réalisable. On la choisit même parfois avec une certaine fierté. » **

 

* Dont l’existence est de toute façon remise sérieusement en cause.

Alors que dire d’un recueil tardif de textes disparates transmis oralement, donc déformés, tronqués, sans cohérence et passés ensuite entre les mains de copistes, de commentateurs qui les ont retouchés durant des siècles ? De quoi donner des migraines aux paléographes qui ont dédié leur vie de chercheur aux poèmes homériques…

** Il suffit d’entendre les va-t-en guerre en chemises blanches qui rêvent de voir aujourd’hui s’enflammer la Syrie, l’Iran et tout le Moyen-Orient.

 

24 juillet 2012

Vous reprendrez bien une p’tite « Fée verte » ?

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Si je vous dis « Auvers-sur-Oise », vous me répondez « son église, Van Gogh, le docteur Gachet, Pissarro… ». Nous sommes d’accord. Mais, ce village du Vexin, hyper touristique dès que le soleil rapplique, héberge aussi un inattendu et discret musée de l’absinthe, qui apporte son lot de révélations. Inattendu ? Je vous entends d’ici : « hé bien, le peintre aux Tournesols, il ne biberonnait pas un peu beaucoup passionnément l’absinthe ? Á tel point qu’il y a laissé une oreille, son bon sens,  et sa vie ». Oui mais non, c’est un tantinet plus compliqué que cela et un détour par le musée éclairera votre chandelle (verte). *

 

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Maître de Conférences en Biologie cellulaire à l'Université Pierre et Marie Curie, Marie-Claude Delahaye domine le sujet depuis 30 ans (en scientifique et en collectionneuse) et ouvre en 1994 à Auvers un musée dédié à la liqueur maudite. Objets, dessins de presse, tableaux, on suit l’histoire de l’absinthe, de 1805 à sa prohibition en 1915 et à travers elle, celle du XIXème, sociale, économique et artistique.

La boisson que l’on afflige de tous les maux, par la présence de la thuyone** dans sa composition, fascine et révulse à la fois ; Vie de Bohème, Montmartre, Toulouse-Lautrec, Verlaine, tous les grands poètes s’en sont largement abreuvés et l’ont élevée à un art du boire, tandis que Degas, Manet ou Picasso désignent par un cru réalisme, - relayé par les images terrifiantes de "malades" et les comptes rendus médicaux de délires caractérisés -, la déchéance, la dégénérescence, consécutives d’une absorption débridée.

Le musée dé-romantise et dé-dramatise l’absinthe en lui rendant sa vérité première (l’Artemisia absinthium est d’abord une plante médicinale aux vertus éprouvées depuis l’Antiquité). On suit au fil des salles l’élaboration du spiritueux, mélange d'alcool et de plusieurs herbes (grande absinthe, petite absinthe, anis, fenouil, hysope, badiane, mélisse...), sa conquête de l’Europe, puis en Algérie, pour conjurer malaria et dysenterie, sa démocratisation lorsque l’absinthe, moins chère alors que le vin, devient « la boisson nationale » des ouvriers. Cette coulée verte effrénée va rencontrer deux digues qui vont la stopper nette ;

-         les producteurs de vins, (pour qui le jus de la treille est un produit du terroir, honnête et patriote), cherchant à reconquérir un marché dévasté durant dix ans par un parasite de la vigne

-         la Ligue nationale contre l’alcoolisme, s’appuyant sur des études médicales de nocivité, caractérisée par des hallucinations, délires, crises d’épilepsie, convulsions…

Or, on sait aujourd’hui que ses symptômes étaient d’avantage dus à une consommation abusive de l’absinthe (comme tout autre boisson ingurgitée sans modération), à la mauvaise qualité des alcools utilisés pour la distillation, à l’ajout de produits chimiques tels le sulfate de cuivre et le chlorure d’antimoine à la place de plantes, par des fabricants rapiats.

Avant de quitter le musée, je vous encourage à goûter l’absinthe (salon de dégustation au RDC) : le rituel de dégustation est suivi dans les règles. Fontaine Art Nouveau, cuillère ouvragée, goutte à goutte d’eau fraîche sur le sucre, précipité laiteux dans la liqueur vert pâle. C’est étonnement doux, frais, riche en parfums, sans amertume ni dominante herbacée clairement définie.

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Celle qui titre à 72% est à goûter avec parcimonie, tout de même alcool (171) !!

 

* Pour Alfred Jarry, l’absinthe était « l’herbe sainte ».

** toxique à très très haute dose (mais on la consomme aussi sans le savoir dans la sauge, le vermouth, la Chartreuse et la Bénédictine...)

 

Informations pratiques :

Site du musée : http://www.musee-absinthe.com

Adresse du musée : 44 rue Callé - 95430 Auvers-sur-Oise

Ouvert de début mars à mi-novembre tous les samedi, dimanche et jours fériés de 11 h à 18 h.

Du 15 juin au 15 septembre,
les mercredi, jeudi, vendredi de 13h 30 à 18h. (en plus du week-end).

 

18 juillet 2012

Louis Wolfson, flamboyance de la folie peu ordinaire

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Seconde découverte inouïe aux Éditions Attila, - après le choc du roman de Jacques Abeille (ici) -, que ce récit dément d’un auteur octogénaire, publié pour la première fois en 1984, Ma mère, musicienne, est morte de maladie maligne à minuit, mardi à mercredi, au milieu du mois de mai mille977 au mouroir Memorial à Manhattan. Oui, il s’agit bien du titre du livre, à l’assonance singulière…, car, dit-il, « ma mère avait choisi de mourir de manière allitérative ».

Paul Auster, Gilles Deleuze, Michel Foucault, Jacques Lacan avaient déjà remarqué cet Américain de New York, lors de la parution d’un premier texte en français chez Gallimard, en 1970, Le Schizo et les Langues. Diagnostiqué schizophrène très jeune, habitué des asiles psychiatriques, vouant aux gémonies sa langue maternelle *, l’homme vit en permanence avec des écouteurs aux oreilles pour se repaître d’autres idiomes, le français en première place. Sous perfusion financière de l’état pour « incapacité depuis l’enfance », Louis Wolfson parie et perd et passe cette pension sur les champs de courses, échafaudant à longueur de journée de fumeuses théories pour présager des résultats. Comportement obsessionnel, compulsion maniaque, férocité, narcissisme, délires et paranoïa, tout peut être retenu contre lui. Il tient à distance ce qui touche à l’émotionnel, au relationnel, étanche à la souffrance de ses proches. Muré dans un implacable détachement, il consigne par écrit, d’une manière clinique et glaciale, en alternance avec les carnets personnels de sa mère, la maladie, la décrépitude, la mort de sa génitrice. Aucune ironie, même pas de persiflage ou de deuxième degré, il ne ressent rien, il est juste factuel. Il est un homme effroyablement seul, exposé à un monde hostile, dont il n’attend qu’une chose, éructée à longueur de paragraphe, la destruction prochaine, lors d’un cataclysme nucléaire. 

Cette haine profonde de l’humanité qu’il considère ignorante, abrutie et perverse, est ressassée, mâchouillée, opposée à son intelligence, sa culture, sa propre clairvoyance. Á moult reprises, il affirme que, selon les Grecs, le plus grand bonheur qui puisse échoir à un homme, c’est de ne pas être né. Lui a eu la poisse. Il faut attendre la page 237, sur 301, pour percevoir enfin la propre souffrance de Wolfson, lorsqu’il décrit, sans s’y attarder,  les traitements subis en hôpitaux psychiatriques : électrochocs, lobotomie par brûlure neuronale, cerveau toasté, chocs insuliniques, comas hypoglycémiques répétés et l’arrogante prétention des « médecins », « des saletés qui semblent devoir s’acharner agressivement, tout en remplissant leurs goussets et en se procurant un sentiment accru de pouvoir arbitraire et dictatorial, à aider des malheureux  qui ne veulent pas être aidés par contrainte et au prix de la privation, moralement illégale, de leur liberté, au nom d’une sacro-sainte santé mentale ! » Tout à coup, sous la folie hallucinée de Louis Wolfson, apparaît comme un ricanement d’hyène, qui renvoie à la société sa propre responsabilité. Monumental.

 

* dans les deux sens du terme …

 

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13 juillet 2012

Ithaque - Á table !

La meilleure table d’Ithaque ne se situe pas les pieds dans l’eau mais en plein cœur du village de Stavros. Πολυφημο (Polyphemus) est un endroit assez unique… qui tient de la chair et de l’esprit. Si vos convictions personnelles s’épanouissent amplement sous des doctrines « libérales débridées », passez votre chemin. Car le premier étage de la bâtisse vénitienne abrite un musée dédié au Che, et un drapeau cubain flotte à l’entrée (la bobine de Lénine est aussi accrochée en bonne place). Vous savez où vous mettez vos sandales…

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Si une chef grecque règne sur les cuisines, la propriétaire du lieu est une suissesse polyglotte, haute en couleurs, avec qui nous avons plus d’une fois refait le monde à pas d’heure, en sirotant un excellent mais perfide tsipouro. Les tables sont disposées au cœur d’un grand jardin, décoré d’objets de récup' retapés et judicieusement agencés, dont les chats ont fait leur terrain de jeu. La carte mélange des mezzés traditionnels, des plats végétariens avec des recettes plus créatives :  la chef usant des épices, aromates, marinades, nos papilles jubilent devant les saveurs et le bouquet des plats, comme cette daurade marinée « psari savoro » dont la recette date de l’occupation italienne « pesce in saor » ou cet agneau en papillote, d’une succulence et d’un fondant jamais égalé. Pour trempouiller dans la salade d’aubergines, testez la pita craquante faite à la minute, qui arrive toute chaude sur votre table, c’est un must. Alors, évidemment, tout cela a un prix, supérieur aux tavernes traditionnelles. Mais il serait vraiment dommage de ne pas goûter au moins une fois à cette cuisine simple en fait, légère et délectable.

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Et puis, il y a le cas Kalypso… on va dire que je m’acharne sur le village de Kioni, mais cette table est à l’image du lieu, prétentieuse et fausse. Même si on y dîne très bien. Je crois que c’est la première fois que nous sommes confrontés à un serveur aussi … peu grec. Comme Kioni est le port des voiliers loués par les Anglais (beaucoup de frime, pas beaucoup de voileux qui savent manœuvrer), le serveur vous parle d’office dans la langue de Shakespeare, tapote votre commande sur un PDA (!!!) et insiste lourdement pour vous faire consommer davantage (business is business). Il cajole les tables de Grands-Bretons qui s’empiffrent en vidant leurs pintes, bruyamment. Même si les plats se sont révélés excellents (poulpe parfaitement cuit, la salade de figues rôties, feta et noix ultra fraîche et savoureuse, comme le tirokafteri), nous avons dès le lendemain délaissé le lieu, pour du couleur locale plus accueillant et amical.

Calypso

 

Á l’opposé de cette attitude de courtisan servile, à Frikes (décidemment, les villages ont les tavernes qu’ils méritent !), on vous accueille, on vous dorlote, on échange avec vous… et on vous surprend. Chez Penelope (encore une), il faut venir tard, en même temps que les Grecs, pour le meilleur rapport/qualité prix de l’île. Plats locaux, tout simples mais très bons, belle ambiance, chaleur humaine et bonne humeur. Un jour que nous avions manifesté notre enthousiasme pour Anogi, nous avons vu le sourire de Constantina, la femme du patron Stathis, s’épanouir jusqu’aux deux oreilles : native de ce bel endroit, elle posa sur notre table un plat de fromage au thym et la menthe, lové dans une feuille de filo croutillante, avec un sourire entendu : ce fromage de brebis fondant descendait tout droit d’Anogi. 

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Les deux tavernes contiguës à Penelope (Symposium et Rementzo), sont tout autant dignes de combler votre appétit, avec peut-être une préférence pour la dernière, souvent pleine. Nektarion et … Poppy (oui, encore) sont plein d’attention avec leurs clients, prennent le temps de bavarder, d’expliquer les plats, s’excusent parfois de la lenteur du service mais comme tout est fait maison et savoureux, on attend en souriant que les copieuses assiettes arrivent sur la table, arrosées d'un second "lefko krasi", offert par la maison.

 

11 juillet 2012

La Bohème aux Chorégies… Ennui d’une nuit d’été…

Elle commence assez mal, cette saison des festivals. Pour une fois que la télévision troque sa médiocrité coutumière pour nous offrir une soirée Puccini, force est de constater que nous sommes restés un peu sur notre faim.

- Pourquoi choisir un opéra « intimiste » pour une scène qui mesure plus de 65 mètres de long, où l’émotion se délite continuellement?

- La Bohème mérite t’elle d’ouvrir les Chorégies d’Orange ? J’avoue ne pas être une grande admiratrice de cet opéra au livret faiblard et au texte indigent.

- Le décor rappelle l’univers du Dogville de Lars Von Trier, film on ne peut plus sinistre et malsain. Quel est le lien avec l’histoire qui nous est narrée ?

- Mise en scène sans surprise, on reste dans l’époque, rien d’innovant.

- On ne croit pas un seul instant au couple Rodolfo/Mimi. Vittorio Grigolo cabotine et s’essouffle vite, sans une once de subtilité. Inva Mula est aussi expressive qu’une bûche… et n’a plus l’âge du rôle (ni le tour de taille). On prend plus de plaisir à suivre le tandem Marcello/Musetta, vivant et énergique, dont les voix sont irréprochables.

- Orchestre sans beaucoup de couleurs, sans exigence. Moite.

Un spectacle où manquaient l’implication, la fraîcheur, la passion, le romantisme.

Rendez-vous le 31 juillet pour un autre Puccini, Turandot,  avec Alagna dans le rôle de Calaf. Plaise au ciel qu’il se passe enfin quelque chose sur scène…

 

9 juillet 2012

Ithaque - « plages » du nord, et plus encore

L’île d’Ulysse se distingue de ses consœurs ioniennes par son dédain total des étendues de sable. La mer l’aborde sur de minces rivages de galets blancs polis (au mieux), voire de cailloux coupants au possible. Les plus belles criques sont bien souvent impossibles d’accès sans bateau. Cette inaptitude au farniente au long cours, aux jeux de plages turbulents, et au regroupement familial bruyant, préserve Ithaque de l’envahissement touristique.

En-dessous de Stavros, après quelques lacets, l’anse de Poli n’attend que vous, à côté d’un tout petit port où se dandinent des bateaux de pêche. Le lieu est connu pour abriter les ruines d’une ville engloutie après un violent séisme en 967 ainsi que la grotte de Loïzos, où fut trouvé le fragment de terre cuite portant l’inscription « Vœu à Ulysse ». S’il n’y a plus grand' chose à voir de ce sanctuaire dédié au plus grand des marins grecs, à demi-immergé par le dernier tremblement de terre, en usage dès l’époque mycénienne et dont les découvertes archéologiques sont visibles au musée de Stavros, la petite anse à gauche du port vous offrira une eau transparente pour vous ragaillardir.

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Poli cache aussi un autre lieu de culte, un peu moins archaïque mais plus touchant, tout de suite à droite : une petite chapelle de pierre, bien discrète, un peu écroulée, protégée par un vague toit de bois. La rencontre est inattendue : on reste stupéfait de découvrir, parmi les vestiges, que les ravages du temps ne découragent pas les visites des fidèles. Peut-être, est-elle devenue le lieu des offrandes à Ulysse pour les pêcheurs du port de Poli, qui restent ainsi sous sa protection depuis l’effondrement de la grotte primitive ?

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De l’autre côté de Stavros, on atteint en peu de temps la baie d’Aphalès, toute au Nord, déserte en ce début juin. Nous n’y croiserons qu’un jeune couple de Finlandais, sacrifiant à Hélios dans le plus simple appareil. Sa côte découpée, qui plonge brutalement dans l’eau, aligne une suite de toutes petites criques, assez risquées pour de jeunes enfants. Même la mer, plus froide ici, oppose un méchant courant dont on se méfie très vite. L’ambiance est celle d’un chaos total de pierres, dégringolant jusque dans l’eau. C’est sauvage, brutal, primitif, un paysage indompté où les éléments se fracassent crûment.

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Et puis, il y a « notre » plage, la plus belle, Aspro Gialos, proche du village de Lefki, en face de Céphalonie que l’on pourrait presque rejoindre à la nage - presque. On laisse sa voiture, on descend un chemin dans la végétation et on arrive sur une petite plage de galets tout ronds. L’eau est translucide, le silence, total, le calme, absolu. La mer est pour vous seul, en juin… nous avons aperçu des transats empilés (peu nombreux, les rivages étant très étroits à Ithaque) qui témoignent d’une certaine fréquentation en haute saison, loués 10 euros la journée !!!!

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Si des impératifs vous obligent à venir en juillet ou en août, vous trouverez de la tranquillité en louant des petits bateaux à moteur (40 euros la journée), au port de Kioni. Nous avons testé, c’est très maniable et on s’amuse beaucoup lorsqu’il faut jouer de l’ancre et du bout’ en même temps pour amarrer le frêle esquif avant de plonger dans une eau émeraude.

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4 juillet 2012

Ithaque - en passant par Anogi (Ανωγή)

Après le goulet d’étrangement qui ceinture l’île comme un corset bien sanglé, deux routes permettent de relier Stavros selon votre humeur du jour. Soit vous restez au niveau de la mer, Céphalonie bien visible à main gauche, sur une corniche qui sinue parmi une dense végétation verte et touffue, soit, vous prenez de la hauteur en partant à droite, en suivant une saillie de la roche qui vous monte sur les flancs du mont Neritos, culminant à 806 m. Cette route est bien plus attachante, même si elle vire souvent sec. Domaine des quadrupèdes à poils, plus ou moins longs, et à laine, il est recommandé de ne pas dépasser le 30 à l’heure, pour éviter de freiner comme un sauvage devant des biquettes qui traversent nonchalamment devant votre pare-chocs. Elles sont chez elles et leur regards hautains, voire dédaigneux vous le font vite sentir. Le paysage s’assèche, les oliviers et les pistachiers se raréfient, on circule dans une quasi garrigue brossée par les vents, constellée de pierres imposantes qui émergent des broussailles.

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Le premier arrêt, à 600 mètres, sera pour le Monastère de la Panagia ton Katharon, lieu de pèlerinage des habitants de l’île. La vue sur Vathi est époustouflante, mais attention au souffle d’Éole, redoutable, qui vous empoigne sans ménagement. Un moine venu du Mont Athos s’est établi dans le monastère, en grands travaux pour le moment, mais il est toujours possible de visiter l’église, qui protège l’icône sacrée de la Nativité de la Vierge, attribuée à Saint Luc ainsi que l’hôtellerie, qui nous a laissés comme deux ronds de flan. Le long bâtiment blanc, décrépi et vétuste repose en l’état. Les cellules à l’abandon, qui accueillaient les pèlerins, sont encore encombrées de lits et de couvertures, le tout poudré d’un bon centimètre de poussière, de toiles d’araignées épaisses, qui ne datent pas d’hier. On parcourt ce corps de logis dans le silence, le vent sifflant à travers les vitres brisées et les portes disloquées. Ambiance singulière…Mais c’est aussi dans ce Monastère qu’on redoute visiblement de voir s’envoler les cloches…le Moine, qui ne manque visiblement pas d’humour, ouvre t-il la cage à Pâques, au moins ?

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Si vous êtes gourmand des belles découvertes, il faut reprendre la route jusqu’à Anogi, village médiéval tranquille, où les belles maisons de pierre se sont endormies depuis des années. La petite centaine d’habitants, âgés pour la plupart, parlerait encore un dialecte fortement influencé par la présence dans l’île des Italiens ; le campanile vénitien se dresse d’ailleurs à côté de l’église de la Dormition de la Vierge, bâtie au XIIème siècle. Et si vous arrivez à une heure orthodoxe, allez chercher la clef au café d’à coté : boom, vous allez en prendre plein les yeux. Au XVIIème siècle, tous les murs furent recouverts de fresques byzantines, par un artiste de l’école de Vraggiana Agrafa, qui perpétuait alors cette tradition. Restaurées après le tremblement de terre de 1953, les peintures murales alignent La Vierge et les Martyrs, les Saints et les Anges, Sainte Hélène et Constantin, dans une débauche de couleurs. On s’agite d’un bout à l’autre de l’église, on tourne, on s’approche, on veut tout voir, on s’émerveille et on s’y attarde sans voir le temps courir.

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Ce qui est étonnant, c’est qu’Anogi est davantage réputé pour ses énormes rochers qui se dressent autour du village, dans un sol désolé et stérile, certains dotés même d’un petit nom, - Psilolithari, Irakles – que pour son église. Ce n’est pas la première fois que nous soupçonnerons les Ithaquiens, un peu taquins, de se faire discrets sur les trésors cachés de leur île, et qu’il faudra quelquefois mouiller le tee-shirt pour tomber nez à nez avec des splendeurs. Un post suivant le confirmera.

 

2 juillet 2012

Ithaque - les trois villages du Nord

Village le plus important de la partie Nord de l’île, Stavros n’a rien d’original ou d’attractif et pourtant, on s’y sent très bien ; église solide, grande place centrale ou trône un arbre centenaire - lieu de rassemblement des habitants dans la fraîcheur du soir -, buste d’Ulysse, musée archéologique, point de vue sur la baie de Poli, rien de frelaté. Un des rares endroits où la présence du roi d’Ithaque aurait laissé deux empreintes, un fragment en terre cuite d’un masque portant l’inscription « Vœu à Ulysse » datant de 300 av et la colline de Pilikata, conforme à la description d’Homère et sur laquelle le palais aurait pu se dresser.

Comme une benête que je suis, j’ai suivi moutonesquement les commentaires des guides et sites internet pour le choix de notre point de chute. Tous décrivent Kioni comme le plus beau village de l’île, classé et protégé, blotti au fond d’une baie croquignolette : et de vanter ses trois moulins à l’entrée du port, ses maisons traditionnelles, son site séduisant et gracieux. Même le Routard enfile les lieux communs, dévotement. Alors, tout cela est vrai… et ennuyeux au possible. Il est extrêmement compliqué de mettre des mots sur une impression, surtout quand on ne peut l’illustrer par des exemples concrets et vérifiables : or, Kioni, c’est très pittoresque, mais ça sent le factice, le ripolinage trop coquet, le trafiqué pour plaire aux touristes et la magie n’opère pas (en tout cas pour nous). Le village qui dégringole au-dessus du port pourrait se situer dans n’importe quelle anse de la Méditerranée : c’est un peu comme si les spécificités grecques avaient été gommées au profit d’une standardisation touristique, d’une neutralité pratique, faussement idyllique, sans aspérités (mais cela semble ravir les Anglais qui y accostent vers 18h00 leurs voiliers de location). As far as we are concerned,  c’est bien fâcheux.

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Si vraiment vous voulez séjourner ici, je ne peux honnêtement que vous recommander notre lieu de villégiature, Likoudis Villa, qui propose des studios avec de grandes terrasses privatives, piscine d’eau de mer, pierres du pays, poutres apparentes, fresques sur les murs… c’est limite « too much », tant ça se veut folklorique. Mais impossible d’y trouver quoi que ce soit à redire, on sent que l’adorable propriétaire (Pénélope…si si !) s’est mise en quatre pour que ses visiteurs soient rassasiés.

Si Kioni nous a laissée sur notre faim, Frikes a su combler notre appétit de simplicité plus modeste. Imaginez un port minuscule, collé au bas de deux falaises qui contrarieraient les velléités de toute nouvelle construction, où rien n’a changé depuis un demi-siècle (à l’exception gourmande et sucrée d’un fringuant Δωδώνη). Les ruines des belles demeures écorchées durant les tremblements de terre de 1953 sont toujours là, pas question de faire table rase pour construire un hôtel, les villageois vivent avec le souvenir de la colère de Poséidon sous leurs yeux.

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Je crois que je pourrais y passer des heures à ne rien faire, humant le temps qui passe, suivant la course du soleil, la journée rythmée par la vie calme des quarante habitants. Le matin, les pêcheurs aux visages bien burinés remaillent leurs filets après avoir frappé les poulpes sur le quai, les mamies papotent, leur balai à la main, les hommes repeignent de vieilles barques, les chats cavalent, les voiliers prennent la mer. Le soir, les papis refont le monde en prenant le frais, les enfants jouent pendant que les femmes bavardent, savourant leur Frappé, les voiliers sont de retour. Ce Katapola* en miniature agit comme un analgésique, un baume réconfortant, une dimension parallèle où l’on flotte, béat, dans un continuel bien-être, un sourire permanent aux lèvres.

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* l’un des deux ports d’Amorgos, le plus attachant des deux

 

28 juin 2012

Ithaque, l’unique (prologue)

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« Garde toujours Ithaque présente à ton esprit.

Y parvenir est ta destination finale.

Mais ne te hâte surtout pas dans ton voyage.

Mieux vaut le prolonger pendant des années ;

et n’aborder dans l’île que dans ta vieillesse,

riche de ce que tu auras gagné en chemin,

sans attendre d’Ithaque aucun autre bienfait.

 

Ithaque t’a offert ce beau voyage.

Sans elle, tu n’aurais pas pris la route.

Elle n’a rien de plus à t’apporter. »

 

Κωνσταντίνος Καβάφης          

Extrait Ιθάκη, 1911

 

Pour nombre de voyageurs, l’évocation de cette toute petite île ionienne, séparée de Céphalonie de quelques brasses, fait naître des images épiques, des envies d’errance, des aventures fabuleuses, des héros nobles et intrépides, une épopée légendaire. On aborde Ithaque lesté du mythe, en retenant son souffle, avec un mélange de respect et d’exaltation. La traversée entre Sami et le modeste port de Pisaetos ne prend que 20 minutes, bien courtes pour changer d’époque et d’ambiance. Ithaque, c’est une rencontre forte, une tombée en amour, aussi brutale et définitive qu’a été pour moi la plus belle des Cyclades, Amorgos (d’ailleurs, les deux îles, bien qu’ancrées dans des archipels contrastés, ont bien des points communs).

Les querelles d’archéologues, les empoignades des exégètes homériques, les chicanes entre habitants des ioniennes, les fouilles sans résultat ou si peu, entretiennent le flou sur le lieu exact de l’île d’Ulysse. Chacun se forge sa mythologie selon sa lecture de l’Odyssée. En ce qui me concerne, que ce tout premier routard ait construit son palais ici ou là-bas m’indiffère. Les quelques lieux qui corroboreraient la présence du vagabond de la Méditerranée sur Ithaque, sont bien chiches et déprimeraient par leur discrétion n’importe quel prof de grec. Quelques pièces de monnaie, une unique pierre gravée portent son nom, un lieu désigné en haut d’une colline cerclée de murailles de pierre, habitée des Mycéniens aux Romains, aurait été l’emplacement de choix pour la demeure d’un roi. Mais rien de probant.

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Ithaque, c’est avant tout une terre, deux émeraudes posées sur un saphir, reliées par un isthme de quelques mètres, un havre épargné du développement touristique (pas de plages de sable, quelques criques de galets et de cailloux, les plus belles accessibles uniquement par bateau... que tout l'Olympe en soit remercié !), cinq villages au Nord, une route qui fait le tour de l’île, un chef-lieu au Sud, des monastères, des fresques byzantines, pas de constructions anarchiques, des falaises abruptes (le paradis des chèvres), des zones boisées et de douces collines où le travail de dame Nature reste intact. Je ne sais pas à quoi ressemblait la Grèce il y a 50 ans mais nul doute qu’Ithaque offre encore une sincérité incontestable. Les habitants n’ont pas vendu leur âme au tourisme de masse, à l’argent facile, à une croissance artificielle qui n’entretient que les faux semblants. Les villages restent isolés et silencieux (bémol pour Kioni, j’y reviendrai), les hôtels et les restaurants ne poussent pas comme des mauvaises herbes, l’homme reste discret et humble face à son environnement. Et les quelques touristes qui posent leurs sandales à Ithaque, comme les voileux qui viennent mettre leurs bateaux sous la protection des baies bien abritées, respectent ce caractère unique de l’île.

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Ithaque, c’est un rythme particulier, une atmosphère sereine et paisible, une lenteur communicative, une mise entre parenthèse, une rêverie en solitaire tout éveillé dans un calme permanent, un écrin sauvage, peint de vert et de bleu.

 

26 juin 2012

Ντίνα Νικολάου s’épanouit dans le VIème sans se diluer…

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Décidemment, les réussites gastronomiques grecques à Paris sont histoires de famille. Si la tribu chypriote Mavrommatis régnait sans partage depuis des décennies sur les bords de Seine, les sœurs Nikolaou lui taillent doucement des croupières.

Je tiens le restaurant du chef grec Dina Nikolaou et de sa sœur Maria, Evi Evane, pour la meilleure table grecque testée selon mes papilles. Nous y sommes retournés samedi dernier un peu par hasard pour goûter le menu déjeuner à 16 euros et je maintiens mon appréciation. Si le dîner du soir peut faire grimper l’addition (carte des vins excitante et plats à la carte plus élaborés), ce menu du midi tient bien la route. Haloumi saganaki, deux mezzés froids au choix, salade  grecque copieuse ou poulpes confits, suivis selon vos appétences d’un excellent poulet farci au poivron et à la feta, de keftedes grillés riches en herbes, d’une moussaka maison ou de brochettes marinées. Tout est ultra frais,  riche en goûts, léger, délicat et très raisonnable, vu les prix pratiqués dans ce quartier. Il y a toujours une importante marge de progression en ce qui concerne le service, qui peut vaciller dangereusement selon le serveur qui vous sera octroyé.  L’un est un garçon de Rhodes, charmant et souriant, l’autre… un vieux bougon à la comprenette ralentie, l’humeur chagrinée par les longs hivers parisiens sans soleil, qui a tout oublié de l’hospitalité légendaire de son pays (j’ai senti passer la correction glaciale d’un accusatif utilisé malencontreusement à la place d’un nominatif - oups, plantage -  assénée on ne peut plus sèchement). Pour un peu, il m’aurait envoyée au coin…

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Mais la bonne nouvelle, c’est l’ouverture d’une boutique « traiteur – épicerie – plats sur le pouce », à deux pas du Bon Marché, rue Saint Placide. Accueil plus enthousiaste, chaleur dans la voix, on se sent très bien venu… et on retrouve pour pas cher la bonne cuisine de la maison-mère. Goûtez leur tarama blanc, c’est juste l’extase. La volonté de ne proposer que des produits de très bonne qualité est évidente. Vous pourrez ainsi multiplier les saveurs en emportant des portions de vos mezzés préférés, ou des parts de plats familiaux (moussaka, gratins de légumes, poulets farcis…), feuilletés légers, salades savoureuses et colorées, nombreux fromages grecs, desserts (galatopita, baklavas, kourabiedes…), huiles d’olives, grand choix de vins (dont le Robola blanc de Céphalonie, vous m'en direz des nouvelles), tisanes bio, miels, ainsi que divers aliments de base pour confectionner des plats typiques quand le manque de la Grèce se fait trop sentir.

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