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Le Présent Défini
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19 mai 2014

Corfou (Kerkyra), la trop domptée des Ioniennes - Introduction

Cela devait bien arriver un jour ou l’autre, une première déconvenue, un léger désenchantement, un petit dépit, un rendez-vous manqué, un tête-à-tête ajourné, bref, une non-rencontre avec une île grecque. Si, c’est possible. Et avec une Ionienne, en plus, ce qui nous a bigrement tourneboulés, ma moitié vouant un culte incommensurable à Céphalonie, ma pomme contemplant Ithaque avec les yeux d’Ulysse. 

Corfou pâtit lourdement des symptômes déjà observés en Crête, le bétonnage, le tourisme bas de gamme, le non-respect de l’environnement, le laisser-aller ; elle donne la sensation d’une île sur son déclin, qui ne peut plus entretenir son rang et qui mise désormais sur le vol incessant des charters venus d’Allemagne, d’Angleterre et de Russie pour survivre : hôtels low cost déjà défraîchis, villages de vacances sinistres, infrastructures vilaines, plages jonchées de détritus, nombre d’endroits transpirent la fin de règne. On enrage d’autant plus que la côte Nord recèle quelques sites de toute beauté, qui auraient dû être laissés à l’état sauvage et non transformés en protectorats de buveurs de bière. 

Autre source de déception pour une île qui a vu défiler nombre d’occupants (Rome, Byzance, Venise, Maison d’Anjou-Sicile, Venise à nouveau, les Français, les Britanniques…), l’absence quasi-totale (à l’exception de Corfou ville, j’y reviendrai longuement dans d’autres posts) de vestiges, de sites archéologiques, de monastères, de chapelles, de fresques, de tout ce qui donne à une île sa tonalité particulière. On cherche fébrilement un village typé, singulier (après Tinos et Chios, la barre est très haute, mais tout de même…), on veut respirer une atmosphère originale, unique, distincte des autres îles et … ça ne vient pas, l’insatisfaction s’installe. 

Alors, faut-il bouder Corfou ? Eh bien non, malgré toutes ces réserves, l’île nécessite une visite pour son « chef-lieu », sa « capitale », Corfou-ville étant pour moi un joyau incomparable. Nous sommes tombés sous le charme immédiat de sa saveur italienne, de ses couleurs, de son dédale de ruelles, de sa richesse culturelle, de sa gastronomie. On flâne des heures entières, le nez en l’air pour capter les détails d’une architecture superbe, où chaque « prédateur » a laissé sa marque. Alors que nous devions loger au Nord, après les deux premiers jours passés à l’arpenter en tous sens, nous y sommes revenus à fond de train, tant elle a su nous ravir par sa simplicité, son naturel, sa sincérité.  

Je crois qu’il s’agit, en quinze ans de Grèce, du premier voyage qui ne se déroule pas du tout comme nous l’avions prévu. En neuf jours nous avons fait et défait quatorze fois nos sacs et mangé du kilomètre : pas de vrais coups de cœur, d’innombrables atermoiements sur nos lieux de chute, une météo capricieuse, comme si l’île devenait un brin revêche, voire hostile. Nous avons alors écourté notre séjour et rappliqué plus tôt que prévu à Athènes, sous un franc soleil qui nous a redonné la pêche et le sourire. 

Quand ça ne veut pas, c’est que cela ne devait pas… on aura plus de chance en septembre, du moins je l’espère !

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5 avril 2014

Théorème de la lumière…Jacques Lacarrière à la galerie Desmos

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Pour tous ceux qui, dans leurs jeunes années, ne connaissaient de la Grèce que L’Été grec, le premier voyage en terre hellène avait forcément quelque chose de décalé ; même si les derniers chapitres ajoutés au livre pour sa réédition nous montraient un Lacarrière tout déconfit par les bouleversements qu’avait connus le pays, lors de son retour en terre promise après une longue parenthèse choisie, nous n’avions pris le pouls de la Grèce qu’au travers des déambulations pédestres d’un jeune homme qui l’avait arpentée à une époque totalement révolue. On avait du mal à raccorder ses récits avec ce que l’on avait sous les yeux, un état moderne et prospère (enfin, pour la prospérité, je parle des années 90…). 

Lacarrière nous a fait goûter la saveur d’un monde disparu, que nous avions un peu tendance à idéaliser, comme une sorte de paradis perdu dont on garde une nostalgie, mal à propos : combien de fois ai-je subi les admonestations de πουλακι μου, me claironnant aux oreilles l’état d’extrême pauvreté de la Grèce qui se relevait alors comme elle le pouvait de la guerre civile et la dureté du régime qui s’est instauré ensuite ? Je faisais à chaque fois profil bas, sachant pertinemment le bien-fondé de ses remarques.

Mais j’ai tout de même couru dans le XIVe, dès que j’ai su que Lacarrière avait aussi joué de son Leica lors de ses pérégrinations et que l’on allait replonger dans la Grèce « d’avant »… Des clichés noirs et blancs, des portraits, la vie des humbles ou des reclus (superbes photos des ermites du mont Athos), des jeux d’ombres de lumière, de cette lumière coupante qui aplatit les reliefs, « un pays, en somme, où la rigueur janséniste de la chaux s’opposait aux vertiges de l’ombre, un pays presque inhumain tant il devient austère ». « Ces lieux nus et brûlants avec leurs arêtes vives et leurs surfaces arasées évoquent pour moi les vieilles géométries d’Euclide et de Thalès. C’est d’ailleurs ici qu’elles sont nées, dans ce pays géométrique où le soleil joue aux mathématiques avec l’ombre. »

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Photographies de Jacques Lacarrière - "Ombre et lumière"

Librairie-galerie Desmos

14 rue Vandamme – 75014 PARIS

Jusqu’au 13 avril / 15 heures – 19 heures

Métro Edgar Quinet ou Gaité

14 février 2014

Nauplie sous la pluie - Nafplio sous la flotte

Deux heures trente de bus (au départ du terminal A – Kifissou) séparent Athènes de Nauplie. Si en nous levant, le ciel affichait pour la première fois plus de gris que de bleu, nous étions loin d’imaginer la quantité d’eau qui allait nous accompagner toute la journée en Argolide. Le soir, au retour, c’est Athènes qui s’imbibera sous la rincée et comme d’habitude, la pluie en Grèce fait rarement semblant. Nous prenons d’ordinaire le bus jusqu’à Patras pour gagner les îles ioniennes mais cette fois-ci, passé l’isthme de Corinthe qui fait toujours son petit effet, nous bifurquons sur la gauche vers Nauplie, via Argos. Visiblement, cette région est un vaste verger d’agrumes ; durant une bonne demi-heure, le bus traverse des orangeraies chargées de fruits bien mûrs (la récolte ne devait plus tarder)  - lorsque l’on voit cette profusion, on se demande pourquoi le prix du jus d’oranges frais est aussi cher…

Tous les Guides parlent de Nauplie avec un vibrato dans la plume : « plus jolie cité du Péloponnèse », « authentique carte postale », « ruelles chaudement colorées par le soleil couchant »… j’étais venue ici lors d’un voyage d’étudiants il y a, approximativement, environ, à peu près deux décennies, et force est de constater que mes souvenirs manquaient, malgré ces louanges extasiées, de netteté. C’est devant le musée du Komboloï que la lumière s’est rallumée, me renvoyant en effet à des déambulations folâtres sous le soleil, à une bruyante euphorie juvénile et à des dégustations de glaces : après les visites studieuses d’Épidaure et de Mycènes, musarder dans Nauplie nous avait ravigotés !

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L’intérêt de revenir à Nauplie en hiver, sous un ciel brouillé qui se répand abondamment en pluie continue, c’est que vous êtes quasi les seuls à déambuler. Passée l’heure de la sortie du lycée, 14h, les rues se vident, le silence s’installe, la ville se fige. Une brève accalmie nous a permis de passer le museau hors de la capuche pour goûter l’évidente beauté de Nauplie, mélange architectural harmonieux qui fait cohabiter des bâtiments d’époques et d’influences variées, sans discordances. Les Byzantins, les Francs, les Vénitiens (par deux fois), les Ottomans (par deux fois itou) mirent successivement la main sur la cité, carrefour commercial entre l’Orient et l’Occident, capitale du Péloponnèse puis brève capitale de la Grèce (1829 - 1834). L’ancienne mosquée côtoie l’arsenal vénitien, le Lion des Bavarois* cohabite avec celui de la Sérénissime, l’église catholique des Francs est bâtie sur l’emplacement d’une mosquée qui avait déjà pris la place d’un monastère vénitien… avec ses balcons, ses fontaines, ses ruelles étroites, ses façades aux couleurs chaudes, ses toits de tuiles, la ville basse possède une saveur et une douceur très italiennes. Mais le fort Bourtzi construit sur l’îlot en 1473 à l’entrée du port rappelle très vite que Nauplie tient une situation stratégique au fond du Golfe Argolique et que la ville est restée durant des siècles une citadelle, bien à l’abri de ses murs d’enceinte.

L’Akronauplie est la plus ancienne partie fortifiée de la ville, dès l’Antiquité jusqu’au XVe siècle, sur les hauteurs de la presqu’île : les Francs construisirent deux enceintes, séparant le centre militaire et les habitations des Francs, du quartier grec, qui bénéficiait déjà d’un rempart dès l’époque byzantine. En 1470, les Vénitiens qui se savaient sous la menace ottomane prolongèrent les fortifications et ajoutèrent au « Castello dei Franchi » et au « Castello dei Greci », une nouvelle enceinte plus à l’Est, le « Castello di Toro ». Enfin, en 1706, après la première parenthèse ottomane, les Vénitiens bâtirent en 1706 le dernier bastion, dit « Grimani », qui n’empêcha pas les Turques de reprendre la cité en 1815. On grimpe à l’Akronauplie facilement en suivant les escaliers qui partent de la ville basse. Il suffit ensuite de se balader sur les hauteurs des fortifications, austères, dépouillées, pour découvrir un panorama de toute beauté, même avec un ciel bouché. N’ayant plus un poil de sec, j’ai déclaré forfait devant le fort Palamède à la rectitude tout militaire, (857 marches à gravir sous le déluge, même un canard aurait décliné), déjà bien impressionnant vu de l’Akronauplie, tel un vaisseau fantôme de pierre se révélant fugitivement dans un brouillard dense. Construite entre 1711 et 1714, c’est la pièce maîtresse de la défense de la cité, composée de huit bastions que l’on atteint après un long escalier zigzagant.

Nauplie   Nauplie

Nous avons préféré nous mettre à l’abri et croquer des gâteaux aux amandes chez Glykos Peirasmos, tailler le bout de gras avec un traducteur grec quadrilingue qui nous alpaguera dans une ruelle, étonné de découvrir deux Français tout sourire malgré l’ambiance détrempée, et arpenter le quai avec le Bourtzi pour panorama, laiteux, embruiné, presque irréel, comme une Mer du nord au clair de lune sous le pinceau de Friedrich…

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* Othon de Bavière fut imposé comme souverain de la Grèce en 1833 par les puissances européennes, remplacé ensuite par un Danois en 1862…

 

5 février 2014

Sounion sous le soleil

L’Odyssée, chant III (Voyage de Télémaque à Pylos)

« Nous naviguions ensemble, au sortir des combats,
Quand, devant Sunium, le cap sacré d’Athènes,
Phœbe-Apollon tua de ses flèches sereines
Phrontin, fils d’Onétor, nocher de Ménélas. »

Un camp de base de plusieurs jours à Athènes permet non seulement de profiter des différentes facettes de la ville mais aussi de rayonner dans les îles saroniques, en Argolide ou en Attique. Lorsque l’on arrive de Paris avec les poumons bien encrassés, on a soif de grand air, d’embruns et de larges espaces dégagés. Surtout lorsque le ciel matinal s’est peinturluré de bleu outre-mer, à peine moucheté de cotons blancs. Rendre visite au temple de Poséidon, posé au bord d’une falaise de 80 mètres, sous un chaud soleil quasi-printanier, au bout du bout du monde, du cap, de la péninsule, était alors une évidence. Les lunettes de soleil n’étaient pas de trop, on se serait même tâté de ressortir la crème solaire – d’accord, j’exagère un brin, mais nous croiserons à plusieurs reprises, en longeant la mer avec le bus, des plages bien garnies et des baigneurs batifolant dans la grande bleue.

Pour vous rendre à Sounion en transport en commun, ne suivez pas les indications du Routard, il y a beaucoup moins compliqué : le bus orange KTEL passe aussi tout prêt de Syndagma, rue Filellinon, à droite de la place quand on regarde le Parlement. Douze euros soixante pour un trajet aller-retour, qui suit une côte trop bétonnée, peu engageante et monotone. Fort heureusement, Sounion bénéficie encore d’un environnement protégé, puisque classé parmi les dix parcs nationaux de Grèce. Aucune construction anarchique, pas de marchands du temple, le site n’est troublé que par des fouilles archéologiques.

Sounion

Que le dieu de la mer possède son temple là où une terre s’achève n’a rien d’étonnant : Zeus le lui aurait accordé pour calmer sa fureur d’avoir été recalé, comme protecteur d’Athènes, au profit d’Athéna. C’est aussi de ce promontoire que le roi Égée se serait jeté dans les flots par désespoir, croyant son fils Thésée occis par le Minotaure, en distinguant les voiles noires de son navire, que l’on avait oublié de remplacer au retour par des blanches.

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Mais plus qu’un simple temple, Sounion est depuis le VIIe siècle av. J.-C. un sanctuaire archaïque, un vaste site où deux cultes étaient rendus à deux endroits distants de 500 mètres : celui de Poséidon à l’aplomb de la mer, majestueux et imposant, et celui d’Athèna, modeste, sur une colline plus au nord et dont il ne reste que peu de vestiges. Les somptueux et imposants kouroi, que l’on peut admirer au Musée Archéologique d’Athènes, datent de cette époque (615-590 av. J.-C.) ; ils étaient au total dix sept, certains haut de trois mètres, dressés dans le téménos ; ces géants de marbre devaient faire un fameux effet aux marins qui doublaient le cap… Et c’est au début du Ve siècle av. J.-C. qu’un premier temple fut construit dans l’enceinte sacrée de Poséidon : il fut détruit par les Perses en 480, avant même l’achèvement de sa construction. Un second temple fut élevé sur le même plan, entre 450 et 440, dont il ne reste aujourd’hui qu’une sorte de carcasse dégraissée. En 412, les Athéniens bâtirent la forteresse de Sounion, qui encerclait largement tout le promontoire et le temple, pour protéger leurs navires transportant le blé des agressions spartiates. Le mur de la forteresse fut ensuite renforcé au IIIe siècle av. J.-C., avec un bastion et un double mur de fortification, au dessus de l’anse où mouillaient les bateaux. Á l’époque romaine, les temples de l’Attique sont abandonnés ou déplacés dans l’Agora d’Athènes. Le temple de Poséidon perd de sa superbe sous Auguste, et est totalement abandonné dès le IIe siècle ap. J.-C.

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Aujourd’hui, si les restes du mur de la forteresse sont bien visibles, on ne peut en dire autant des propylées et des deux portiques, que l’on devine plus qu’autre chose. Mais les vestiges très diminués du téménos sont de toute façon écrasés par la silhouette altière du temple, ces longues colonnes rendues encore plus hautes par l’effet d’optique (diamètre plus large à la base qu’au sommet). On se réjouit presque que le naos pointe aux abonnés absents et que la lumière puisse jouer sur toute la rondeur du marbre. Six colonnes au Nord, neuf au Sud, leurs architraves, deux pilastres, une unique colonne du pronaos… et c’est tout. Et cela suffit pour vous laisser tout ému devant cette succession de pleins, de vides, de courbes, de creux, telle une épure, une esquisse qui griffe le bleu du ciel d’un fin pinceau blanc. On se pose alors sous son ombre, les yeux portés vers le large, effleuré par la brise, bercé par la mélancolie d’un « culte déserté, d’un dieu négligé, immergé dans l’absence ».*

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* Jean Starobinski in L’invention de la liberté, 1964

 

30 janvier 2014

Dans les rues d'Athènes

Athènes est bien souvent pour les visiteurs une porte d’entrée vers les îles où l’on s’attarde peu ; on y passe une nuit avant d’embarquer dans les ferries du matin, on visite l’Acropole au pas de charge avant l’avion du retour. Le périmètre rassurant déborde rarement du delta Syndagma, Monastiraki, Plaka, où le novice pose doucement ses marques. Et puis au fil des voyages, des passages, on ose sortir à pas feutrés du secteur balisé pour faire connaissance avec la ville, lever le regard, écouter, respirer, ressentir le juste tempo…

On peut par exemple s’éloigner de la si commerçante, si fréquentée et si standardisée rue Ermou (boutiques de fringues en enfilade, où s’affichent les logos des marques que l’on retrouve dans toutes les grandes villes d’Europe), en tournant à angle droit sur Athinas (οδος Αθηνας), la station Monastiraki dans le dos. Étonnant comme en trois cents mètres, on peut changer d’atmosphère ! Ici, pas de baskets ou de jeans tendance, mais un joyeux capharnaüm, des façades un peu fanées, du bruit, du trafic, de la vie, et des magasins de jardinage, de bricolage, des brocantes un peu toc, de vastes antres où s’entassent de la vaisselle, des fripes, de la déco vintage, de grands bazars poussiéreux. Sur les trottoirs, on slalome entre les bétonneuses, les gros bidons de lait et les cages à oiseaux. Nous, on adore ! Surtout que, bien avant d’arriver place Omonia, Athinas vous mène au ventre d’Athènes, aux Halles. Il ne faut pas avoir la narine sensible dans les rangées consacrées à la viande : l’odeur de barbaque, laissée à l’air libre, sature l’atmosphère et vous poisse le museau à vous secouer l’estomac ; les bouchers s’égosillent, ça bêle, ça brame, ça meugle, ça découpe, ça scie, ça tranche prestissimo ! Du côté des étals des poissonniers, j’en connais un qui salivait devant le banc des encornets, sèches, calmars, pieuvres, poulpes… et des petits poissons bien rangés.

Halles viande

De l’autre côté de la rue, les marchands de fruits et légumes jouent avec les couleurs des végétaux, alignent leurs produits au cordeau, sourient, vous interpellent, communiquent leur bonne humeur,  l’éventaire des fromagers laisse perplexe (mais combien de sortes de feta existe-t-il ?), les fruits secs et les épices adoucissent l’air de leurs senteurs douces et moelleuses. C’est un spectacle pour les yeux, les oreilles et le nez, qui peut vous ouvrir ou vous couper l’appétit, selon le sens parcouru.

Les Halles fruits

Olives et feta

 

Arrivé à Omonia, on peut bifurquer en biais sur la droite, en remontant Themistokleous (Οδός Θεμιστοκλέους) pour déambuler dans Exarchia (Εξάρχεια). Quartier rebelle et frondeur, contestataire, repère de ceux qui pensent un peu différemment et le font savoir - par conséquent aussi, lieu d’affrontements vifs avec les policiers -, Exarchia a su garder son caractère et ses particularités. Contrairement au Ve arrondissement de Paris, nul embourgeoisement ni reniement des idéaux, le coin reste le refuge des démerdars et d’une certaine forme de bohème (à des années-lumière de la « bobo attitude » parisienne). De vrais gens y vivent, s’organisent, affrontent les séquelles des plans de rigueur successifs, s’autogèrent, occupent les espaces, cultivent des jardins visiblement partagés. Nulle grisaille, neurasthénie ou prostration à Exarchia, la couleur, les œuvres d’artistes, les îlots de verdure, les murs peints, les banderoles racontent l’histoire et les combats du quartier. Alors, oui, il y a aussi comme une odeur « d’herbe » qui flotte parfois et d’autres substances ne seraient pas très difficiles à se procurer ici. Mais en plein jour, ce sont les petits cafés, les restos un peu branchés, les magasins de livres et de disques, les ruelles qui grimpent sec, les cours intérieures, la végétation un peu folle, qui donnent à ce petit espace un charme incontestable. 

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En parlant de livres, pour ceux qui cherchent des librairies pointues, c’est à la sortie du métro Panépistimio (ligne rouge) que vous trouverez votre eldorado. Le carré des rues Solonos, Asklipiou, Akadimias foisonne de librairies (l’université est tout à côté), grouille d’étudiants et de leurs professeurs. On ne soulignera jamais assez la gentillesse et la disponibilité des Athéniens : un professeur de mathématiques, rencontré par hasard parce qu’il nous avait entendu parler français, nous servira de guide et de traducteur dans le dédale des librairies, à la recherche d’un livre sur le Théâtre d'Ombres. Il nous consacrera une bonne demi-heure, interrogeant pour nous le responsable, nous conseillant, échangeant avec nous sans une faute de grammaire (cinq langues à son actif !), alors que son fils l’attendait patiemment. Quand on sait comment les touristes sont considérés chez nous et le niveau pitoyable d’anglais qui est le nôtre…

Si votre temps est trop serré pour cette balade, dépasser Monastiraki et allez flâner dans Psiri (Ψυρή), vieux quartier des artisans. De jour, les devantures débordent de marchandises, on découvre de vieilles boutiques de cuivre, des ateliers anciens, des antiquaires, des temples de la mercerie ou de la plomberie ; c’est un peu désuet parfois mais les habitants détournent aussi les objets d’une manière toute personnelle… le soir et tard dans la nuit, les bars et les restos à la mode s’ouvrent sur une ambiance on ne peut plus festive !

Psiri bobines

Psiri

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26 janvier 2014

Un dimanche à Égine – le temple d’Aphéa (Aphaia ou Αφαια)

Réflexion de Πουλακι μου : « T’as eu grand beau à Athènes ? Tu peux remercier Alcyioné ». Longues secondes de flottement et d’intense pédalage dans les méandres de la mémoire… mais oui, les jours alcyoniens (Αλκυονιδες ημερες), je les avais oubliés ceux-là ! La fille d’Éole et son époux Céyx, transformés en oiseaux pour s’être prétendus plus heureux qu’Héra et Zeus ! Alcyoné, contrainte de pondre ses oeufs en plein hiver et de voir ses petits mourir de froid, finit par obtenir la clémence de Zeus qui lui accorda en janvier quelques jours de soleil et de températures clémentes pour l'éclosion de ses oisillons. Au XXIe siècle, les Olympiens gardent toujours à leur manière un œil sur la vie des citoyens grecs ; ces télescopages sont absolument savoureux !

Et lorsque l’on se réveille sous un ciel bleu tranchant un dimanche matin, prendre l’air à Égine s’impose – d’autant plus qu’il y en a un dont le moral atteint des sommets de béatitude dès qu’il met le pied sur un ferry. Métro ligne verte, arrêt Pirée, billets, direction Gate 8… et là, notre ignorance des usages nous a définitivement recalés dans la catégorie « touristes neuneux ». J’ai dû arpenter à fond de train ce quai à la recherche du ferry dans tous les sens avant de comprendre qu’un petit « Dolphin » vert n’est pas un gros cachalot façon « Blue Star Ferries » et qu’il ne nous attend pas sagement en se dandinant sur l’eau. Prévu à 11h, il s’est pointé à 10h55 et est reparti aussitôt.

Vers Egine

 

Le port d’Égine est bien agréable, inondé d’un soleil qui teinte les murs ocres de nuances miel, avec sa chapelle moult fois photographiée, ses marchands de pistaches et son petit marché aux poissons.

Egine

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Faute de bus, nous négocierons un aller et retour en taxi au temple d’Aphéa, qui forme avec Sounion et l’Acropole le triangle sacré. Nous serons seuls sur le site durant les 45 minutes que nous passerons à tourner autour du temple dorique, ne nous lassant pas de voir jouer la lumière sur ses colonnes. Construit au sommet d’une colline, le temple d’Aphéa est en fait un sanctuaire, où, dès 1300 ans avant notre ère, un culte était rendu à une déesse-mère, selon les statuettes mycéniennes retrouvées. Trois temples y furent construits successivement, le dernier, très bien conservé, vers 500 av. J.C. Aphéa, de son vrai nom Britomartis, serait une nymphe crétoise poursuivie par Minos, recueillie en mer par un pêcheur qui l’emmena à Égine, et qui finit par se cacher des assiduités des hommes dans les bois de l’île où elle disparut pour toujours : elle devint "Αφανης", "celle qu'on ne peut plus voir". Ce culte se confondit ensuite avec celui d’Athéna, qui ornera les deux frontons du temple en leur centre.

Temple d'Aphéa - Egine  Temple d'Aphéa - Egine

La relative bonne santé du temple permet de visualiser facilement son état d’origine et d’y reconnaître les différents éléments : comme le commun des mortels ne pouvait passer la porte sacrée, une galerie, un périptère, permettait d’en faire le tour (6x12 colonnes) ; au centre, on distingue la salle principale, le naos, et sa rangée de colonnes surmontée d’un second étage de colonnes ; c’est dans cette antre consacrée que trônait la statue de la déesse Aphéa, recouverte d’or et d’ivoire. Le site est réellement magnifique, la vue sur la mer par temps clair, superbe, et on n’arrive pas à se décoller de ce lieu magnétique quand aucune voix humaine ne vient troubler le silence. Sans doute aussi parce que la main de l’homme du XXe siècle a su rester discrète (contrairement au Parthénon) et que l’on se dit qu’il a sans doute encore des nymphes ou des déesses pour venir humer le vent chaud qui caresse la pierre blanche à l’en faire frémir …

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19 janvier 2014

Kali Orexi ! Καλή όρεξη στην Αθήνα - Χειμώνα 2014

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Si l’envie de la Grèce vous picote l’épiderme quand il fait détrempé et grisounet à Paris sous les flots, nul besoin de béer devant votre calendrier en attendant des jours soleilleux. Athènes en hiver est le bon plan pour se remettre du bleu partout. Je ne sais pas si nous avons eu beaucoup de chance ou si chaque année nouvelle s’ouvre sur  un climat aussi radieux mais je ne m’attendais pas à cette caresse de l’astre solaire, à ces températures printanières, et à ce ciel azuréen. Certes, il a plu à seaux très généreux le dernier jour, mais Nauplie sous la pluie, c’est tout aussi joli. Cependant, laisser choir pull, écharpe et caban pendant 8 jours était inespéré.

Pour les coutumiers d’Athènes entre mai et septembre, le contraste avec la ville en janvier est saisissant. On y respire enfin ! Oublié le galimatias de langues, l’oreille ne perçoit qu’une mélopée grecque, les sites archéologiques n’attendent que vous ou presque,  les rues sont d’un calme impressionnant, Plaka est silencieux à 21h (!!!) et dans les tavernes, vous vous retrouverez bien souvent les seuls touristes. Les tauliers finiront fréquemment la soirée à votre table, corrigeant gentiment vos fautes de grec (désespérant, je n’y arriverai jamais !), souvent amusés de la vision un peu trop culturelle et passéiste de leur pays que les Français trimballent avec eux. Et le fait de résider une grosse semaine, permet d’être plus curieux gustativement et de laisser les incontournables Palia Taverna tou Psara et autres Scholarchio Ouzeri Kouklis pour de nouvelles rencontres.

 

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Evcharis, Adrianou 49 Monastiraki

Testé au déjeuner et au dîner. De l’ambiance, vu l’importante fréquentation. La salle du fond sous verrière est bien engageante avec sa jolie déco, musique le soir. Très bon agneau au four en papillote (arvaki), salades très fraîches. Beaucoup plus de Grecs que de touristes malgré l’adresse.

Dia Tafta, Adrianou 37 Monastiraki

Dans la même rue que le précédent, un peu plus loin lorsque l'on va vers la station Thissio. Malgré des chaises de paille inconfortables au possible, bon repas de taverne, sans surprise mais réconfortant. Assiettes généreuses, trois mezzés sont suffisants pour rassasier le soir deux estomacs.

Ciccus, Andrianou 31 Monastiraki

Ciccus est le lieu où nous prenons souvent un verre (pas sur sa terrasse très fréquentée mais à l'intérieur, sous sa verrière, pour la déco), ouzo pour J-P, Spritz pour moi. Coincés un soir de fin septembre par un temps exécrable, nous y avons dîné, faute de pouvoir mettre un pied dehors sans être immédiatement douchés. La carte est plus "moderne" que les tavernes habituelles et nous avons été assez étonnés de la qualité des plats, et surtout par la carte des vins (attention, l'addition peut très vite s'envoler). Un plan B qui s'est révélé plus que convenable.

To Steki tou Ilia, Eptahalkou 5 Thissio miam-45

Pas facile à trouver, cette psistaria ! Prendre à droite, dans le chemin sous les arbres, juste après la station de métro, ne surtout pas remonter Apostolou. Vous ferez un saut dans le temps et l’espace. L’établissement semble ne pas avoir bougé depuis des décennies, avec ses nappes à carreaux, ses murs couverts de lambris et ses tonneaux en hauteur. C’est grec de chez grec, ça parle haut, ça fume beaucoup et ça boit sec. Courte carte, les locaux viennent pour les païdakia de haute volée. J’en connais un qui s’en lèche encore les doigts… Deux merveilles trouvées dans la traduction très poétique des plats en français : Tirokafteri devient trempette dans le fromage épicé et les Païdakia,  lait de brebis... le repas n’a pas commencé mais vous êtes déjà de bien belle humeur…

Nikitas, Agion Anargyron 19 Psiri

Ne cherchez plus To Zidoron, juste à côté, remplacé désormais par un café

Bonne cantine de déjeuner, blindée à partir de 14h30 par les employés du coin. Plats du jour à la craie sur l’ardoise murale, pas toujours faciles à déchiffrer. Le plus simple, aller en cuisine et choisir sur place. Service souriant. Boeuf mijoté à la tomate et aux petites pâtes (kokkinisto me kritharaki) goûteux.

To Krassopoulio tou Kokkora, Esopou 4 Psiri miam-45

Voilà le genre d’endroit comme on les aime, où on se sent bien sans savoir pourquoi, où l’on revient sans se poser de question. Un lieu vite familier, où l’on a l’impression de dîner depuis des lustres, comme en famille. Très belle déco de chineur bien chargée (transistors collector, vieilles horloges, gravures de mode, affiches d’époque - en tout cas pas de la notre -, photos des années cinquante, certaines un peu coquines mais il faut s’approcher de très près pour le voir), bref, plus une place sur les murs. Produits d’excellente qualité (tourte à la courgette succulente, poulet au yaourt et au miel fondant, plats aux saveurs de l’Asie Mineure, desserts maison) et vin chaud à la cannelle en pousse-café. Propriétaire avenant qui aime papoter avec les étrangers et éclairer la crise grecque de ses réflexions toutes personnelles. Gay friendly aussi.

Pour prendre un verre, avant ou après, The Party, plus haut en remontant Karaiskaki.

Psistaria Achilléas, Valtetsiou 62 Exarchia

Taverne de quartier, fréquentée par les habitués et ce jour-là par quelques prof's de fac. Service un peu bourru mais l’assiette de briam nettoyée en cinq minutes mettra le sourire aux lèvres du serveur. Bons mezze. Sans surprise mais couleurs locales assurées.

Athinaïkon, Thémistokléous 2 Omonia

Vieille taverne fondée en 1932, où l'on croise touristes et locaux. Bon assortiment de mezze, plats copieux, bonnes ondes, on en redemande et on y retourne.

O Andreas, Themistokléous 18 Omonia

Toute petite ouzeri cachée dans une ruelle qui coupe Themistokléous sur sa gauche, lorsque l'on descend d'Exarchia vers Omonia. On y vient pour sa longue carte d'ouzo, ses produits de la mer très frais (sardines, poulpes, calmars...) et son atmosphère vraiment grecque (pas un seul touriste à chacun de nos passages). Une bonne taverne de quartier où il fait bon se poser aussi sous l'auvent, quand la pluie tombe à pleins baquets.

Paradosiako Oinomageirio, Voulis 44A Syndagma/Plaka

Á deux pas de la floppée d'hotels des rues Apollonos et Mitropoléos, toute petite taverne familiale sympathique, grecque à l'heure du déjeuner, fréquentée par les touristes le soir. Plats classiques et simples, poissons du jour, pas chers et copieux. Mais un peu bruyant car situé en angle de deux rues très fréquentées.

O Tzitzikas kai o Mermygas, Mitropoleos 12-14 Syndagma

Changement d’ambiance avec un resto plus jeune dans sa déco design et ses plats plus originaux. Salade d’épinards bien troussée, mille feuilles de légumes entre deux fromages de mastelo, feuilles de vigne fines et parfumées, riches d’herbes et de feta, une cuisine moderne et légère. Tsipouro avant le dîner, liqueur de mastic à la sortie. Desserts au poil !

The Greco's Project, Nikis 9 Syndagma

Si votre ferry arrive au Pirée vers 15h30, que vous avez huit heures de traversée à jeun dans les jambes et que votre petit-déjeuner pris à 6h00 pour semble bien loin, où grignoter dans le quartier de Syndagma vers 17h, après vous être dessalés sous la douche à votre hôtel ? Trop tard pour un vrai déjeuner, bien trop tôt pour un dîner, pas envie de sucre à la pâtisserie du coin, nous avons donc tenté ce nouveau lieu à l'angle de Mitropoléos et de Nikis. Un peu branchouille, mais l'assiette, sans être transcendante, s'est révélée honnête et pas chère. 

Sardelles, Persephonis 15 Gazi

Comme son nom l'indique, taverne de poissons de bonne tenue dont les prix varient selon le produit de la mer que vous choisissez. Il y en a pour tous les goûts, toutes les bourses, selon l'arrivage du jour (poissons frais, mais aussi salés ou fumés). Pour les viandards, alternative carnée avec Butcher Shop à côté, appartenant au même proprio.

Kanella, Konstantinoupoléos 70 Gazi

Resto découvert par hasard en arpentant le quartier. Rien à voir avec une taverne, il s'agit d'un lieu lumineux à la déco tout à la fois simple mais tendance. La carte est imaginative et propose des assiettes plus originales que la sempiternelle horiatiki et autres tiropites ; très bons plats de pâtes, viandes sautées relevées, salades sympas, saveurs méditerranéennes bien marquées en bouche, c'est vif et bien troussé. Service cool et souriant.

Odos Mitropoléos et Apollonos alignent un bon nombre d’hôtels (Amazon, Central, Hermes, Plaka…). Si comme nous vous faites la moue devant les petits déjeuners aseptisés, allez réveiller vos papilles à la pâtisserie Chatzi - καφεζαχαροπλαστεία Χατζή (5 odos Mitropoléos). D’accord, le service est souvent limite mais les employés doivent à la fois servir rapidement les habitués de leur café matinal préféré et supporter les atermoiements des touristes perdus devant les vitrines de  gâteaux, de feuilletés, de riz au lait, de crèmes… et qui demandent des doubles expresso, des oranges pressées et des yaourts au miel alors que la queue s’allonge, s’allonge… hein J-P, y’en a un à qui ça parle ??? 

Toujours pour les becs sucrés, deux adresses de choix à Nauplie, Glykos Peirasmos, 10 Plapoutos et la pâtisserie Katsigiannis, 18 Staikopoulou, après le café qui fait l’angle où se retrouvent les jeunes. Chez la première, on savoure des bouchées de pâte d’amandes d’une finesse à rouler par terre et des biscuits craquants croquants gourmands. Chez la seconde, vous entrez dans le temple des gâteaux orientaux (pâte filo, miel, noix, miel, pistache, miel…). J’y suis venue un peu par hasard, avec les dents en avant après 2h30 de bus depuis Athènes et la simple tyropita était déjà renversante de délicatesse, certainement la meilleure jamais dégustée. 

 

27 août 2013

Et Gortyne, ville antique, re-jaillit !

Si vous n’avez pas trop somnolé dans les amphis de Nanterre en cours de Fondements Historiques du Droit - première année -, l’énoncé du nom de Gortyne devrait allumer un phare dans la nuit, une lampe torche dans le brouillard, au moins une allumette sous le crachin. Ce cours était l’un des rares que l’on suivait sans bailler, heureux de quitter un moment les fiches de jurisprudence et les méandres de la procédure pénale, pour retourner tailler un brin de causette avec Hammourabi, les Hittites, Pharaon, Dîké, Aristote… Au contraire de V qui est toujours capable, à l’heure qu’il est, de me commenter de mémoire les grands arrêts du Droit Administratif, avec une prédilection notoire pour l’arrêt dit du « bac d’Eloka », Société commerciale de l’Ouest africain, Tribunal des Conflits, 22 janvier 1921, sans substance hallucinogène ou ivresse caractérisée (private joke de bonne guerrecontent (100)), j’ai en ce qui me concerne appuyé sur la touche reset de ma mémoire vive et supprimé ces dossiers périmés. Hé bien oui, mais voilà, le disque a dû buriner dans le dur et l’info est restée tapie dans les couches basses du programme, bien sournoisement, en attendant son heure.

Gortyne et sa Grande Inscription ! La plus ancienne législation écrite d’Europe, la Loi des Douze Tables, datée de la première moitié du Ve siècle av. J.-C., miraculeusement conservée et déchiffrée, Moïse à côté peut remballer. Le premier fragment de ce Code de Lois a été découvert en 1857, par un coup du sort, car réutilisé par un paysan dans la construction du mur de la maison de son moulin à huile. Déchiffré en 1878, on s’aperçu que ce fragment de pierre plate gravée discourait d'un sujet assez inattendu pour un moulin, l’adoption… Français puis Italiens saisirent très vite la portée de cette découverte et des fouilles furent alors organisées dans les champs voisins, à la recherche d’autres fragments de pierres gravées. Et c’est en réalité un mur circulaire d’1,75 mètre de haut sur 9 mètres de long, couvert d’inscriptions, qui fût mis au jour : les règles de vie de la Cité étaient en quelque sorte placardées sur les murs de l’Assemblée du peuple, pour n’être ignorées de personne.

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Cet Ekklesiasterion, fût transformé en Bouleutérion, puis en Odéon à l’époque romaine mais dura lex, sed lex, le Code de Gortyne traversa les siècles sain et sauf. Il est donc très émouvant de découvrir ce précurseur du Dalloz dans son emplacement d’origine, au fond de l’Odéon, derrière les gradins, protégé sous une structure en briques. La Grande Inscription ne couvre évidemment pas tous les domaines du Droit mais elle nous renseigne sur les pratiques de l’époque, les mentalités, les articulations d’une société : car ce registre des lois traite avant tout du Droit de la Famille (mariage, adoption, succession, héritage, donation, divorce), du Droit Pénal (cas d’adultère et de viol), du statut des esclaves plutôt bien protégés dans la Cité et de Procédure (la fonction de Juge et l’exécution de la sentence). Tous les commentateurs soulignent la grande modernité de la législation, la place faite aux femmes, la reconnaissance de certains droits aux esclaves, des règles justes, protectrices des plus faibles.

Le site de Gortyne se situe en Messara, à l’Est de Mirès. Contrairement à Phaistos et Agia Triada, les ruines y sont romaines, à l’exception donc de la Grande Inscription. Il s’agit du plus vaste site archéologique de Crète, d’une superficie de 400 hectares, sur les ruines duquel sont construits trois villages, qui ont englobé dans leurs constructions des morceaux de monuments antiques. Si vous arrivez par Metropoli, vous ne cesserez de freiner tous les 10 mètres pour observer les différents chantiers de fouille, les mosaïques, les colonnes et les pierres qui jonchent le sol, dans un indescriptible méli-mélo. On soupçonne vite que les habitants ne peuvent donner un coup de bêche dans leurs champs sans tomber sur des vestiges et des trésors archéologiques. Il faut souligner que le lieu est habité depuis le néolithique, que Gortyne succéda à Phaistos comme puissance dominante de la Messara, avant de ravir à Cnossos la place de capitale de la Crète romaine pour presque mille ans. On ne pouvait en attendre moins qu’une cité bénie des Dieux et berceau de Rois passés à la postérité : Zeus, métamorphosé en taureau s’acoquina avec Europe sous un platane campé sur les terres de la future cité, arbre tellement traumatisé par ce coït zoophile qu’il en restât tout vert, encore aujourd’hui ; de cette saillie naquirent Minos et son frère Rhadamanthe, fondateur supposé de Gortyne, parmi d’autres éventualités familiales (son frère, son fils…). C’est dans ces mêmes champs qu’un autre bovidé forniqua joyeux, cette fois-ci avec la Reine Pasiphaé, pour donner naissance au minotaure, dont le labyrinthe serait en fait tout proche, selon une croyance byzantine.

Si la tradition grecque chahute un peu ses Dieux et ses puissants, la tradition religieuse chrétienne est moins licencieuse… on raconte que l’apôtre Paul vint prêcher la bonne parole à Gortyne, et qu’il fit de l’apôtre Tite le premier évêque de Crète. C’est aussi dans l’amphithéâtre de Gortyne que furent martyrisés et décapités les Dix Saints (Haghioi Deka), perçus comme de dangereux perturbateurs, sur ordre de l’Empereur romain Trajan Dèce. Du passage de Paul et Tite, restent les ruines d’un magnifique bâtiment, que l’on a considéré indûment durant des siècles, comme la Grande Basilique de Tite. L’authentique basilique monumentale à cinq nefs, dévouée au premier évêque de Crète, se trouve en fait dans le village actuel de Metropoli, totalement détruite par un tremblement de terre, et il ne reste aujourd’hui plus grand’ chose à se mettre sous la dent.

Sur le même site que l’Odéon et la Grande Inscription, se dressent donc les vestiges d’une église du VIe siècle, appelée illégitimement « Saint-Tite », saisissante comme un décor d’opéra. Trois absides/chapelles latérales (?), comme sorties de terre en l’état se détachent sur le ciel ; devant elles, des pierres, des chapiteaux renversés, des colonnes à terre, comme accablés par la toute puissance de ce monument séculaire. Et c’est tout. Pourtant, je suis restée un long moment devant ce gardien d’un autre âge, cette porte du temps qui semble vous inviter dans son vortex, dans ses profondeurs arquées, sans trouver le passage très secret qui doit renvoyer les seuls initiés vers les splendeurs passées de Gortyne…

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15 août 2013

Les monastères à la crétoise… des bastions fortifiés (Odiyitria et Toplou)

Terre de pillages, de conquêtes et d’occupations successives, mais aussi de désobéissance et d’insurrection face à toutes les tyrannies, la Crète porte les signes de ses frondes opiniâtres dans son architecture, civile comme religieuse : loin des monastères romanesques (Μονή Μουνδων), mythiques (Νέα Μονή) ou prodigieux (Παναγια Χοζοβιωτισσα), l’île engendre des citadelles, des fortins bien épais, lestés d’héros légendaires, de combats mémorables et de tragédies marquées au fer. Pousser les portes d’un monastère crétois ne porte pas au recueillement mais à la leçon d’histoire.

Πονη Οδηγητριας, à quelques kilomètres de Matala, est un monastère de la fin du XIVe siècle, rénové au XVIe sous sa forme actuelle. Si l’agencement des cellules basses des moines lui confère des allures douces d’hacienda mexicaine, le lieu est fameux pour ses fortifications, refuge des résistants crétois à l’oppression turque, comme il le sera plus tard durant l’occupation allemande. Base arrière de toutes les rebellions, le monastère fournit abri, subsides, soutien et réconfort, autant spirituel que matériel. Le monastère entretient toujours la mémoire de Ioannis Markakis, plus connu sous le nom de Xopateras, pope valeureux, protecteur zélé des chrétiens brutalisés par les Turcs. Ayant tué un janissaire, il est chassé des rangs de l’Église et, avec un groupe de maquisards, fuit la vengeance des oppresseurs. Informé de l’assaut programmé contre le monastère d’Odiyitria pour fraternisation avec les rebelles, Xopateras et ses hommes combattront durant trois jours et trois nuits dans la tour du monastère aux côtés des moines, avant de se faire massacrer par les Turcs en surnombre : ces derniers le décapiteront et ficheront sa tête au bout d’une pique, portée en triomphe dans les campagnes environnantes…

Monastère d'Odiyitria12  Monastère d'Odiyitria5

Monastère d'Odiyitria4

Dévasté, le monastère sera restauré en 1841 : il reste aujourd’hui une infime partie du mur d’enceinte, l’église à deux nefs peinte de fresques du XVe siècle, très abimées, de belles icones, ainsi que la fameuse tour, qui conserve, malgré de nombreux rapiéçages, ses caractéristiques premières. Á l’opposé de la porte d’entrée, une partie du monastère est devenue musée ; de vieux instruments, pressoirs, moulins, métiers à tisser méritent quelques minutes.

Plus à l’Est, proche de Sitia, Πονη Τοπλου (appelé aussi Notre-Dame de l’Akrotiri - Παναγία η Ακρωτηριανή) est réputé pour être un vieux briscard de la lutte pour l’indépendance de la Crète, et l’un des mieux conservés : il faut dire qu’il saisit avec ses allures de forteresse austère et froide, son haut mur d’enceinte, sa façade altière qui se lève d’un seul bloc compact sur le bleu outremer du ciel.

Monastère Moni Toplou1

S’il n’existe aucune archive datant précisément la construction du monastère, on peut imaginer que Toplou a émergé de ces innombrables petites communautés religieuses développées à la fin du XIVe siècle, autour d’un simple Katholiko, accueillant les rebelles crétois pourchassés par l’occupant vénitien. Une première source fiable vénitienne du XVe siècle relate des attaques pirates en 1471 et 1498 contre un monastère côtier de la Vierge, déjà suffisamment riche pour intéresser des pillards. Deux familles de Sitia (hé oui, toujours les Kornaros et les de Mezzo) vont décider au XVIe siècle de doter le monastère de solides défenses, capables de protéger moines et biens de la puissance maritime turque, qui vient de faire tomber Rhodes et Chypre. C’est à cette époque que le monastère est désigné comme Ακρωτηριανή, (d’ακρωτήρι, la pointe, le cap), vu sa situation aux confins de la côte orientale de l’île. En 1612, un fort séisme secoue le monastère : le Sénat vénitien finance les rénovations et modifie la structure des lieux, telle qu’elle apparaît encore de nos jours, pour consacrer Notre-Dame de l’Akrotiri dans son rôle d’avant-poste de défense de la côte Est. C’est alors l’âge d’or du monastère avec un afflux constant de moines, de dons, extension des dépendances et rachats de terres fertiles. Les Vénitiens vont commettre l’erreur de faire appel aux Chevaliers de Malte pour contrecarrer les velléités d’expansion des Turcs… Les Chevaliers, débarquant à Sitia, préféreront s’adonner au sac des monastères et au brigandage des richesses de la Crète, plutôt que de renforcer les protections de l’île et s’enfuiront comme des lâches devant les navires turcs. Notre-Dame de l’Akrotiri prend alors le surnom de Toplou (du turc top, obus ou canon), eu égard à la pièce d’artillerie que les Vénitiens lui avaient concédée, pour assurer sa mission de bastion défensif. Ce nouvel occupant mènera la vie dure aux congrégations religieuses, écrasées sous de lourds impôts et le vol de ce qui leur restait d’objets précieux. Le monastère résistera avec bravoure, jusqu’à la délivrance du joug turc, cachant des rebelles, des munitions, malgré de sanglantes représailles, des moines torturés et des terres saisies. Durant la Seconde Guerre Mondiale, le monastère perpétuera cette tradition de lutte contre toutes les tyrannies en protégeant, au péril de la vie des moines, les résistants crétois. Aussi, pénétrer dans la cour du Πονη Τοπλου se fait avec déférence : on est étonné de l’exigüité d’un lieu entré dans la grande histoire, de son très petit patio central, sa modeste chapelle, ses portes étroites et basses, ses ouvertures étriquées, ses modestes arcades : seule s’élève cette façade démesurée, qui a du en imposer à bien des malandrins, comme un rempart écrasant à l’oppression.

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PS : ne pas manquer l’icône du XVIIIe siècle de Ioannis Kornaros, représentation picturale en 61 scénettes de la prière de la Grande Bénédiction (Megas ei Kyrie – Tu es Grand, Seigneur)

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1 août 2013

Mode d’emploi de la Messara

Kalamaki1

L’organisation d’un premier voyage en Crète peut rapidement virer à l’essorage du cervelet devant la dimension de la terre promise. Où poser son sac, quels coins privilégier, comment restreindre les longs déplacements en voiture… et vite comprendre qu’on ne pourra pas prendre l’île à bras le corps, qu’il faudra se contenter de morceaux choisis à défaut de l’œuvre complet.

La première halte sur le chemin fût donc pour la Messara, plein Sud un poil vers l’Ouest : la région additionne les bons points, avec Gortyne, Phaistos, Agia Triada pour les amateurs de vieilles pierres, de vastes plages de sable (Kalamaki, Kommos), des villages pas trop rancis, de bonnes tables, et la montagne toute proche s’il vous prend des envies de fraicheur, de monastères et de chapelles retirées. Nous avions élu Kamilari comme camp de base… après usage, je prêcherais plutôt pour Sivas, village plus harmonieux, à l’architecture vénitienne plus préservée et qui propose aussi la meilleure table du coin, Sactouris, ignorée du Routard.

Je ne vous conseille pas vraiment notre point de chute, Asterousia où nous ne serions pas restés si je n’avais commis la bévue de régler l’addition de Paris. Impossible de réserver moins d’une semaine à moins de payer un supplément (alors que certains studios resteront vides), ambiance plus germanique que grecque (rédhibitoire en ce qui me concerne), pas l’ombre d’un coup de balai dans la piaule ou de serviettes changées en 6 jours, et gros travail de sape du proprio qui ironise lourdement sur notre prochaine étape Kato Zakros (« mais qu’allez-vous faire là-bas, y’a rien ! »), désireux d’encaisser une semaine de location supplémentaire. Quand nous découvrirons ce paradis qu’est la pointe extrême orientale, une soudaine envie de lui claquer rétrospectivement le museau me démangera sérieusement.

Et il y a le cas Matala, ancien village de pêcheurs quasi inévitable, qui a un peu, beaucoup, vendu son âme… témoin pourtant de la petite comme de la grande histoire, d’abord point de chute de Zeus lorsqu’il revint en Crète après avoir enlevé Europe, puis ancien port de Phaistos pour les Minoens, de Gortyne à l’époque romaine, mais aussi escale des hippies sur la route de Katmandou. Il ne reste plus grand’ chose d’authentique dans cet endroit, dont on entretient la légende fanée avec de faux vestiges et quelques nouveaux « décroissants » qui habitent les grottes des falaises à la place de Joni Mitchell, Bob Dylan et Cat Stevens. Cependant, il faut bien reconnaître que le soir et le calme revenus, lorsque les à-pics, qui bordent le croissant de plage s’allument, la baie de Matala retrouve un peu de sa séduction et on perçoit le charme qu’elle pouvait distiller alors.

Matala   Matala1

Matala2   Matala3

Nous avons été plus sensibles au cachet de Zaros, village de montagne blotti au pied du mont Psiloritis, au Nord de Mires, et à la gentillesse de ses habitants diamétralement opposée à l’humeur ronchonnante des attrape-nigauds de Matala. 

De Zaros, filez à Vorizia, et descendez ensuite, sur la gauche, en suivant la direction de Valsamonero (μονη βαλσαμονερου), puis d’Agios Fanourios (Αγιος Φανουριος) : si vous êtes en veine, cette toute petite église, insignifiante de l’extérieur, ne vous opposera pas porte close et vous laissera bouche ouverte. Agios Fanourios appartenait autrefois à l’un des plus éminents monastères de Crète, vaste ensemble de bâtiments, foyer d’érudition, reconnu pour sa bibliothèque et son école religieuse. De ce monastère Valsamonero, bâti au XIVe, ne reste que cette église, dont la première des trois nefs, vouée à la Vierge, date de 1332. La nef Sud, dédiée à Αγιος Ιοαννις, est ajoutée en 1428 et dix ans plus tard, une nef latérale, consacrée à Αγιος Φανουριος complètera le bâtiment. Les murs sont totalement recouverts de fresques magnifiques, et très bien conservées, issues de cette école crétoise qui prospère sous l’occupation vénitienne : même si l’on reste un peu sur notre faim de ne trouver aucune monographie disponible sur le lieu, on suit sans trop de difficultés les grandes scènes bibliques qui se déroulent sous nos yeux émerveillés.

Agios Fanourios

 

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22 juillet 2013

Kritsa et sa Panagia Kera

Si comme nous vous avez pris la clef des champs après avoir difficilement survécu à Agios Nikolaos (station balnéaire qui n’a de crétoise que le nom, moderne et sans caractère, grouillante comme une fourmilière, tape-à-l’œil et synthétique), faites dix kilomètres dans les terres jusqu’à Kritsa… je sais, j’entends bon train les commentaires, « Kritsa, pas contrefaite ? Kritsa, pas falsifiée ? ». Moderato siouplait. Kritsa est avant tout un vrai et vieux village construit à flanc de montagne avec, sur ses hauteurs, d’anciennes demeures bordant des ruelles typiques, étroites et fraîches. Certes, la magie opère moins lorsque des armées de cars déversent les touristes venus d’Agios Nikolaos, pour arpenter la rue principale, ourlée de boutiques de broderie : si quelques mamies cousent, crochètent, festonnent encore sur leur pas de porte, les quintaux de tissus manufacturés viennent tout droit … de très loin. Nous avons été médusés par l’agressivité de ces grand' mères vêtues de noir, devenues business women, qui vous intiment l’ordre d’entrer dans leurs échoppes à grand renfort d’admonestations tonitruantes : c’est à celle qui braillera le plus fort, qui vous attrapera par le bras, qui jettera sur vous les pires anathèmes en vous voyant entrer chez leurs voisines. Vous aurez l’inconfortable impression d’être tombé dans un nid d’araignées sous amphétamines, qui n’ont de cesse de vous capturer dans leur toile. Flippant.

Il faut déambuler tard le soir, lorsque le calme revient, que les rues sont désertes, pour goûter l’atmosphère paisible qui se dégage de ses murs, ou venir très tôt le matin, lorsque la lumière douce dore les pierres et joue dans la vigne vierge des balcons : on y croise encore des papys sur leurs ânes qui ramènent les herbes fraîchement coupées, les livreurs de fromages frais et de lait auxquels les mamies encore sereines tendent leur bidon, et un bottier sans âge qui confectionne encore des bottes crétoises certifiées conformes.

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Kritsa  Kritsa7

Ceux qui ont pu voir le film de Jules Dassin, Celui qui doit mourir, adapté du roman de Kazantzakis, Le Christ crucifié, reconnaîtront les ruelles de Kritsa comme toile de fond de cet hymne à la résistance grecque devant l’occupation turque (la place centrale du village porte d’ailleurs le nom de son actrice de prédilection et épouse). Le choix de Dassin n’a rien d’étonnant, puisque Kritsa est le lieu de naissance de Rhodanthe, surnommée Kritsotopoula, jeune fille héroïque dans sa lutte contre l’occupant et qui batailla avec les rebelles crétois dans des habits d’homme, jusqu’à tomber en 1823, sous les balles turques.

Enfin, Kritsa est surtout fameuse pour sa Panagia Kera, église à trois nefs et coupole, dédiée à la Dormition de la Vierge, située sur la route du village. De l’extérieur, ce bâtiment court sur pattes, lourd comme une pâtisserie retombée, encore épaissi par des contreforts bourratifs, ne vous secoue pas de curiosité. Mais une fois le seuil franchi, les couleurs vont littéralement… retentir, sonner, carillonner, vous aciduler le palais.

Panagia Kera

La nef centrale à coupole basse, de structure archaïque, date de la fin du XIIe siècle ; un siècle plus tard, lors de sa restauration à la suite d’effondrements, on la flanquera de deux nefs latérales, communiquant par des passages intérieurs arqués. S’il reste encore des fresques originelles datées du milieu du XIIIe siècle dans l’abside du sanctuaire de la nef centrale, tous ses autres murs seront alors recouverts de nouveaux motifs, comme le seront, au milieu du XIVe siècle, les deux nefs supplémentaires. L’intérêt de la Panagia Kera est donc de suivre l’évolution sur un siècle des motifs, des caractères, de la facture des fresques, admirablement conservées.

Ainsi, de la première couche picturale de la nef centrale dédiée à la Vierge, ne subsistent que des évêques officiants, quelques Saints et des Archanges, suivant une représentation bien établie par les codes de l’époque, empreinte de solennité, de spiritualité… et de sévérité. La seconde vague de fresques de la nef centrale, réalisée cinquante ans plus tard, illustre les grands temps de la vie du Christ, de sa naissance à sa Résurrection, entouré d’Archanges, des Évangélistes, des Apôtres, de Diacres et de Prophètes mais aussi d’une très étonnante vision des enfers, bien audacieuse. Les visages s’humanisent, expriment des sentiments, prennent de la chair et du volume, même si les corps restent encore figés et mal proportionnés.

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La nef Sud, dédiée à Sainte Anne et à la conception de la Mère du Christ, est habillée de  fresques qui s’éloignent totalement du style de la nef centrale : dans une très complète monographie de la Panagia Kera, l’archéologue Katerina Mylopotamitaki relie la fragmentation de l’Empire byzantin après la chute de Constantinople et la disparition d’un pouvoir fort centralisé, avec une liberté d’expression artistique accrue, davantage tournée vers l’homme, ses sentiments et les problèmes sociaux de l’époque. Disparue la raideur des postures, les vêtements suivent désormais les mouvements et dessinent les rondeurs des femmes, la ligne épaisse et sombre des visages s’affine jusqu’à disparaître, les couleurs s’éclaircissent, le rendu des scènes acquiert un certain réalisme : les textes bibliques ont désormais des résonnances et des prolongements dans le monde terrestre.

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Les couleurs des fresques du Jugement Dernier de la nef Nord, vouée à Saint Antoine, claquent un peu moins : il faut bien reconnaître que le sujet se prête à plus de sobriété, respectant ainsi le caractère funèbre de la thématique. Néanmoins, on retrouve comme dans la nef Sud, des visages fins et expressifs et des vêtements aux plissures délicates.

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De nombreux commentateurs soulignent l’apparition du clair-obscur dans le traitement des visages, dès la fin du XIIIe siècle, dans la seconde couche picturale de la nef centrale, puis dans les deux autres nefs. J’ai eu beau chercher les effets d’ombre et de lumière, force est de constater qu’il ne s’agit en fait, pour donner du relief aux traits des personnages, que de coups de pinceaux blancs sur de l’ocre claire, creusée d’ocre brune. Il y a loin de la coupe aux lèvres…

 

16 juillet 2013

Esquisse de la Crète vénitienne… Etia (Ετια) et Voïla (Βοϊλα)

Dans l’imaginaire collectif, la Crète évoque la terre de rois légendaires, de monstres terrifiants, de palais fabuleux, le berceau d’une civilisation remarquable toujours auréolée de mystères. Mais elle est fût aussi romaine, arabe, byzantine, vénitienne et turque. Á la pointe orientale de l’île, il est aisé de se perdre dans le lacis de routes étroites et zigzagantes (pas toujours asphaltées) qui desservent de petits villages tranquilles, et qui vous plongent sans préliminaires dans une ambiance médiévale inattendue.

Etia* a émergé devant nous brusquement, alors que nous cherchions une supposée route, imaginée de toutes pièces par le Routard, dont le sens de l’orientation rivalise parfois avec le mien… (!). Petit village peuplé de ruines et de fantômes des temps glorieux, Etia déroule aujourd’hui des ruelles vides et silencieuses, entre des murs écroulés, jusqu’au Palazzo Seragio Serai, trapu comme une forteresse, construit au XVe siècle par ses riches propriétaires du temps jadis, les De Mezzo. Pour les amateurs d’Erotokritos (le poème ou l’opéra), la famille De Mezzo n’est autre que la branche maternelle de Vitsentzos Kornaros… Lorsque la Crète quitte l’escarcelle byzantine pour tomber entre les mains des Doges de Venise, ces derniers attribuent des fiefs aux nobles de la Sérénissime, des terres riches en vignes et en oliveraies, pour accroître encore davantage leur puissance commerciale. Pietro De Mezzo, d’abord installé à Sitia, construit sur les terres fertiles d’un petit village byzantin un magnifique palais de trois étages, flanqué de son blason. Etia se développe de concert jusqu’à devenir, à son âge d’or, le plus grand village de la région avec plus de 500 habitants.

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Etia

Devenu demeure des janissaires durant l’occupation turque, et refuge du plus cruel d’entre eux, Memetakis, tristement fameux pour ses actes de barbarie contre les chrétiens, le Pallazo sera décapité de deux étages lors de l’insurrection crétoise, la vindicte populaire faisant ainsi du passé mortifiant, table rase. En 2008, des travaux de réhabilitation ont redonné sa splendeur au bâtiment, sans toutefois lui restituer toute sa hauteur, stigmate assumé de la victoire grecque sur l’oppresseur.

Si, d’Etia, vous suivez la route de Katelionas, guettez (attentivement) le petit décrochage sur la droite, après Handras, qui vous mènera à Voïla, autre domaine abandonné, propriété de la famille vénitienne Zenos, qui se convertit à l’arrivée des Turcs jusqu’à modifier son patronyme en Tzen Ali ou Djinalis. Voïla est construit sur un rocher, comme une citadelle, plus austère que la belle demeure patricienne des De Mezzo. Du bâtiment principal de trois étages et de ses dépendances, ne restent qu’une tour, deux pièces voûtées, une église, quelques vestiges de maisons de paysans, dont une particulièrement bien conservée, avec un four extérieur. Si les vestiges sont plus délabrés qu’à Etia, le site distille un charme prenant, la lumière jouant sur le relief, le vent murmurant dans une nature qui a repris ses droits.

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Une seconde église, Agios Georgios, construite derrière la tour au XVe siècle, mérite que l’on pousse sa porte grinçante : elle y abrite, sous une fresque de la Vierge, la tombe d’un membre de la famille Solomos…dont on retrouve les armes au dessus de la porte. J’ignorais totalement que la dynastie du poète Dionysos Solomos prenait racine dans ce petit hameau crétois, et non à Zante.

Dans le même après-midi, en vagabondant dans le silence de ces ruines oubliées, nous avons croisé les ombres de trois grandes familles vénitiennes qui ont engendré deux immenses poètes grecs : il y a décidemment de sacrées bonnes ondes, sur ces chemins de traverse…

 * Pour en savoir plus, je vous recommande le livre de Nicole Fernandez, L'habitat crétois : instrument et symbole de la société, chez l'Harmattan - 2011

 

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Le Présent Défini
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