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Le Présent Défini
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25 juin 2014

Anvers à l'endroit...

Lors du dernier week-end à Amsterdam il y a quatre ans, je m’étais fait la réflexion que bien peu de passagers descendaient du Thalys à l’arrêt « Anvers ». J’en avais conclu que cette cité des Flandres sans canaux devait être bien peu affriolante, à moins d’avoir le compte en banque d’un prince du Qatar, pour frimer dans l’une des quatre Bourses du diamant que compte la ville.

Ce que l’on peut trimbaler comme préjugés, parfois ! Je me suis vertement tancée de ma sottise, au regard de la splendeur d’Anvers. Nous y sommes restés trois jours, ce qui est très insuffisant pour ce grand pan d’histoire qui vous gifle, du XVIème à nos jours. Contrairement à Paris, Anvers n’est pas une ville-musée endormie, on pourrait presque la rapprocher d’une certaine manière de Londres, qui fait, elle aussi, le grand saut entre un passé illustre et une modernité sans cesse renouvelée (toute proportion gardée).

Avant de plonger dans ses entrailles, rapide tour d’horizon « de l’Anvers pratique », parce qu’il n’y rien de pire que d’arpenter les rues et les églises le ventre vide…

Si vous arrivez par le train, vous pouvez retirer votre City Card, (24, 48 ou 72 heures*), réservée par internet, au kiosque d’informations de la gare centrale. C’est le passe magique qui vous ouvre toutes les portes des joyaux de la ville (réductions diverses itou), amorti dès le quatrième musée. La gare se trouve en plein quartier des diamantaires et vous croiserez donc en sortant, nombre de juifs hassidim en tenues sombres - déjà présents dès le XIIe, - qui travaillent dans les 1 500 sièges de sociétés diamantaires (85% de la production mondiale de pierres brutes passe par Anvers). Mais à moins d’être venu pour votre bague de fiançailles, c’est un endroit ultra-sécurisé où il n’y a rien à voir.

Nous avons logé dans la vieille ville, à cent mètres de la Grand-Place (Grote Markt) et de la cathédrale, dans un hôtel douillet, à la jolie déco ; le coût s’en ressent ! Hôtel Matelote, chambres premier prix (100 euros tout de même) un peu petites, préférez les Deluxe Cosy, voire les Suites, si vous êtes en fonds. En plus de son excellente situation dans une rue piétonne, on trouve à vingt mètres un bar à bières très couleur locale et à l’angle, une excellente pâtisserie pour les douceurs du petit-déjeuner ; brioches, torsades feuilletées, pains fourrés, biscuits sablés accompagnent le premier café, puis le second, voire le troisième, pris en terrasse au café du coin (nous testons rarement les petits-déj’ des hôtels, souvent aseptisés. Mon estomac est aussi très peu demandeur du breakfast complet du Nord et de son fumet d’œufs/fromage/jambon, à huit heures du matin…).

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Comme à Amsterdam, Bruges ou Gand, vos mollets assureront vos déplacements ; le quartier historique est interdit aux voitures, ce qui permet de lever le nez sur les détails des façades sans danger. Pour se promener au bord de l’Escaut et relier les deux quartiers, au Nord et au Sud du centre historique, on enfourche un vélo. Soit vous testez le Vélib’ anversois pour la journée, soit vous louez une bicyclette sur le Steenplein, au bord de l’Escaut, à 150 mètres de la Grand-Place, (entrée du local de location directement dans les toilettes publiques… bizarre, mais c’est ainsi !).

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Anvers est une ville cosmopolite où l’on peut déguster toutes les cuisines du monde - ce n’est pas un port pour rien. Nous avons préféré nous en tenir aux saveurs belges, même si quelques fois un peu rugueuses : croquettes de crevettes, asperges à la flamande, waterzoi de poissons, viandes mijotées, carbonades, cabillaud à la sauce hollandaise, hochepot… arrosés de bières belges aux mille saveurs. Il y en a pour tous les palais, des douces, des ambrées, des corsées, des épicées, des délicates, des élégantes, des raffinées... Au lieu de regarder niaisement des cartes longues comme le bras où s’affichent des noms bien souvent énigmatiques pour moi, je laissais faire le/a serveur/euse pour l’accord bière/plat : pas une fausse note !

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Déjeuners :

Stadsherberg – Kaasstraat, 3 (près de la Grote Markt)

Nous avons demandé en arrivant à l’hôtel une adresse typique, où on ne mange qu’Anversois… on n’a pas été déçu ! C’est une brasserie un peu brute, à l’accueil « frais », pas du tout l’endroit pour un repas romantique mais une bonne entrée en matière pour plonger dans l’ambiance flamsk’(ou Vlaams, si vous parlez le néerlandais).

Chez Fred – Kloosterstraat, 83 (entre le centre historique et le Zuid)

Petite cantine du midi comme il y en a tant à Anvers. Quelques tables en terrasse, carte courte mais bien troussée et délicieux plats végétariens.

De Herk – Reyndersstraat, 33 (pas loin du musée Plantin-Moretus)

Petit resto caché dans une cour charmante. Service assuré par une seule jeune fille totalement dépassée, mais repas correct.

Dîners :

‘t Hofke – Oude Koornmarkt, 16 (près de la Grote Markt)

Notre coup de cœur, découvert par hasard en suivant un passage entre Oude Koornmarkt et Hoogstraat. Croquignolet resto avec jardin intérieur, plats ultra-frais et goûteux, sauces à tomber. Service un peu longuet mais en vaut la peine (quelques commentaires mitigés sur Tripadvisor mais venant de Belges d'Anvers... avis bidonnés des concurrents ??)

Het Vermoeide Model – Lijnwaadmarkt, 2 (près de la cathédrale)

Une institution du coin. On y dîne sur plusieurs étages et surtout sur le toit, qui est une des terrasses de la cathédrale (!!!). Belle situation donc mais un peu usine, avec des tablées de Belges venus croquer des moules/frites. Moins mimi que le précédent.

De toute façon, on ne meurt pas de faim à Anvers : salons de thé, friteries, chocolateries, pâtisseries, bars à bière… on mange partout et à toute heure. Pas donné tout de même, prévoir un bon budget « couette et assiette » si vous voulez profiter des douceurs d’Anvers…

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*19 euros pour 24 heures, 25 euros pour 48 heures ou 29 euros pour 72 heures.

 

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18 juin 2014

Athènes après Corfou... comme on se sent tout de suite mieux !

C’est bien beau de décider sur un coup de tête qu’une île décevante ne vaut pas qu’on y reste, surtout sous le vent et les averses, encore faut-il avoir un plan B… si avancer un vol se fait sans trop de dommage pécuniaire avec les nouveaux billets « flex » d’Aegean, trouver un hôtel à Athènes du matin pour trois soirs, en plein mois de mai, ressemble au parcours du combattant. Tous nos points de chute habituels s’affichaient archi-bondés, même en s’éloignant du centre. Il a fallu ouvrir la bourse et accepter les tarifs exorbitants de l’hôtel Herodion, situé derrière le musée de l’Acropole (4 odos Rovertou Galli, Koukaki), un quatre étoiles qu’il faut fuir comme le choléra (piaule minuscule en RDC, vue sur un mur, accolée au climatiseur de l’hôtel qui ronronne toute la nuit… j’ai fini par agresser, à quatre heures du matin, en petite tenue, les cheveux en pétard, la bave aux crocs, le staff de nuit pour obtenir une chambre où il était possible enfin de dormir. Miracle, il y avait des chambres inoccupées dans les étages ! Le personnel de jour tentera bien de nous renvoyer en bas au matin mais, peine perdue, mes cordes vocales utilisées à plein volume devant des touristes anglais un peu coincés, produiront l’effet escompté.)

Hormis ce souci de gîte, quel soupir de soulagement en remontant la rue Vyronos pour une première Mythos chez Diogène, en bas de Plaka, là ou commence tout séjour athénien ! Il fait grand bleu, pas trop chaud, on se recale les grandes balades classiques autour de l’Acropole, un saut à Sounion pour comparer la lumière de janvier à celle de mai, les musées qu’on aime, Exarchia dans tous les sens, un bout de Kolonaki pour le Lycabette, la halte crème glacée de 19h, dans la petite rue qui croise Ermou à la hauteur de l’église de la Kapnikréa, et les cantines préférées, To Steki tou Ilia pour l'un, To Krassopoulio tou Kokkora, pour l'autre.

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Comme tous les touristes, on revient régulièrement saluer le Musée de l’Acropole, le Musée national (qui reste mon préféré, et pas seulement pour le point de vue imprenable sur les fesses des Kouroi… malgré ce qu’en dit perfidement mademoiselle I.G. sourire119), et admirer les figurines du Musée d’Art cycladique. Mais si vous avez des enfants que lassent ces grands espaces un peu froids, n’hésitez pas à les emmener dans des plus petits endroits, comme le Musée grec d’Art populaire de Plaka, où sont exposés des costumes traditionnels, des tenues de fêtes excentriques, ainsi qu’une jolie exposition sur la manière de vivre dans l’île de Karpathos (et pour J-P qui est resté un grand gamin, quelques panneaux consacrés au Théâtre d’Ombres).

Si vous traînez dans Monastiraki le soir, avant ou après dîner, voilà deux adresses où nous avons nos habitudes :

- Ciccus, sur Adrianou au numéro 31, le long de la voie ferrée, là où s’enchaîne une longue succession de bars et de restos. Ne pas rester en terrasse, bondée et bruyante mais rentrer, aller au fond, sous une sorte de verrière assez haute qui abrite un jardin intérieur. Excellents cocktails et très bonne programmation musicale, ciblée trentenaires.    

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- Θεσις 7, agios Filippou, que l’on prend en venant de Psiri. Organise certains soirs des concerts live. Ce fut le cas le 14 mai avec un trio formidable (voix + instruments à vent), mélange de créations du groupe et de chansons traditionnelles grecques que le public reprend en chœur. Convivial, chaleureux, on est vite intégré dans l’ambiance, sans voir le temps défiler. Venir vers 23h les soirs de concert.

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Et pour se faire beau quand on est un garçon, pour ceux qui crèchent entre Syndagma et la place Mitropolis, allez tenter l’expérience du barbier-coiffeur à l’ancienne, sur Apollonos. Il fallait au moins cela pour récupérer les abominables échelles que j’avais infligées à la nuque de ma moitié. Ambiance délicieusement surannée avec ces deux barbiers qui ont largement dépassé les 70 printemps, mais un coup de ciseau magistral, un beau résultat assez moderne (pas une coupe de papy) et une franche jubilation du Figaro local, devant le carnage effectué par mes soins : « don’t touch him anymore, hair cut is a job » - message reçu !

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En passant un soir très tard dans Mitropoléos (il devait être pas loin d’une heure et demie), nous avons aperçu, sur le parvis de la basilique, un jeune couple qui valsait, dans la nuit silencieuse. Pas de musique, juste leurs pas glissants sur le sol. Cette vision de deux silhouettes légères tournant sans bruit dans la nuit avait quelque chose d’irréel et d’éminemment gracieux…

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12 juin 2014

Corfou - épilogue : un barbier, deux goyim, un romancier

Pour Ben et Linda

En flânant dans les ruelles de Corfou-ville, un samedi vers treize heures, notre regard s’accroche soudain à des bâtiments en ruines, qui dénotent nettement dans l’architecture italienne ; leur allure a je-ne-sais-quoi de déjà-vu, mais un déjà-vu* qui nous met un peu mal à l’aise, une impression de vague gêne, d’inconfort. Les maisons sont plus hautes, les fenêtres empilées, plus serrées, dessinent des pièces bas de plafond. Je sors mon APN pour isoler quelques détails quand le barbier du coin sort de sa boutique, un peu plus haut, et me demande avec le sourire pourquoi je veux photographier cette partie de la rue. Je n’ai aucune raison valable à donner, je bredouille en anglais une vague réponse, imaginant qu’il me prend pour une touriste un peu toquée. En réalité, il est ravi de nous voir préférer ces ruines étroites aux belles maisons joliment retapées, car dit-il, « c’est là que ça commence ». « Allez tout droit, tournez à droite et trouvez le passage, vous verrez, vous verrez… » .

Nous avons souvent rencontré dans les îles ce genre de passeur, un inconnu sorti de nulle part qui nous a orientés vers une chapelle, une ruine, un beau point de vue, comme on murmure un secret, une émotion personnelle que l’on souhaite partager. Nous suivons ses indications, repérons une ouverture dans la maçonnerie qui borde une petite place, nous nous faufilons entre deux pans de murs un peu affligés et nous comprenons que nous nous trouvons au cœur de ce qui reste du quartier juif, devant l’immeuble de naissance d’Albert Cohen, qui se dresse en hauteur, au fond d’une cour où la nature a repris ses droits. Le bâtiment n’a plus que ses quatre murs extérieurs, en très mauvais état mais il se dresse toujours vers le ciel, entouré de maisons qui abritent des familles et d’un petit jardin, où poussent des roses et un figuier. Le brouhaha de la ville semble loin, seuls les oiseaux viennent troubler le silence. On se souvient alors de ces romaniotes**, des juifs ni sépharades, ni ashkénazes, des juifs grecs, installés depuis plus de 2 000 ans autour de la Méditerranée, jusqu’en mer Noire ; la langue, les rites liturgiques les distinguent de leurs frères. Albert Cohen (1895 - 1981) est issu par son père de cette communauté et a passé ses cinq premières années là, à jouer dans cette cour où nous restons plantés. Corfou a été le théâtre de pogroms dès 1891 et la famille Cohen émigre à Marseille en 1900. Ce lieu respire aujourd’hui le souvenir, le calme, presque une certaine douceur. Une plaque commémorative est apposée sur la maison natale de l’écrivain, la placette porte son nom, cet hommage posthume passe un baume sur de terribles événements (87% des juifs grecs ne reviendront pas des camps).

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En quittant cet enclave riche en émotions, nous tomberons sur la synagogue, que le gardien nous ouvrira, tout sourire de nous voir sortir de ce pan d’histoire. Nous avons beau lui expliquer que nous ne sommes pas juifs et que sans doute, il est déplacé de déambuler dans un lieu consacré, il n’en démord pas et nous offre l’hospitalité. C’est sans doute la seule et unique fois de ma vie que j’arpenterais en totale liberté les allées d’une synagogue en activité et que l’on me laissera me pencher sur des « objets de culte » dont j’ignore tout, dans un élan sincère de partage et de fraternité.

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Nous n’avons pas pu remercier le barbier, qui avait dans l’intervalle fermé sa boutique, pour ce moment suspendu. C’est désormais chose faite.

 

* Déjà-vu à Venise, of course…

**ce mot viendrait de « Romaioi », qui signifiait « romain », ancien nom des Grecs byzantins.

In the provinces close to Constantinople, where the Greek language predominated over the Latin of Old Rome, the idea of Roman citizenship and identity appealed to a broad segment of the population. Greek speaking citizens were proud to be Romans: in Latin, "Romani," or, in Greek, "Romaioi." The word "Romaioi" became descriptive of the Greek speaking population of the Empire. The old ethnic name applied to Greeks, "Hellene", fell into disuse.

http://www.romanity.org/htm/fox.01.en.what_if_anything_is_a_byzantine.01.htm

10 juin 2014

Corfou - le centre et le Sud, de l'aigre et du doux

Corfou a essuyé un printemps particulièrement pluvieux, ce qui a conféré à sa campagne de très beaux paysages, des fleurs à foison, des collines bien vertes, des champs bordés de genêts et de coquelicots en pleine forme. C’est en suivant ses routes intérieures qu’on se souvient qu’elle est une ionienne, la grande sœur de Céphalonie, de part sa végétation et ses hauts cyprès qui pointent vers le ciel.

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Si on longe la côte Ouest en descendant après la plage de Glyfada, on traverse une forêt d’oliviers, puis une sorte de sous-bois, avant d’arriver au village de Pélékas, haut perché sur le « Trône de l’empereur »,  point de vue remarquable sur le littoral, où venait méditer Guillaume II. On y monte surtout à l’heure du couchant, lorsque le temps est bien dégagé (je radote, mais quand les nuages plaquent leur brumaille sur le panorama, c’est tout de suite moins enivrant…).

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Le soleil nous accordera une bonne heure de lumière et de relative chaleur à Sinarades, petit village de caractère où nous ferons une longue pause, ravis d’arpenter enfin des ruelles bordées de demeures relativement anciennes ; clocher du XVIIème, voûtes, arcades, escaliers de pierre, vigne en treille, café où des papis taiseux regardent défiler la journée, la Mythos à un euro cinquante, une parlote en trois langues, plus celle des signes, avec une mamie bien affable, tout ce qu’il faut pour nous redonner le sourire et redorer un peu le blason de Corfou. Comme indiqué sur le Routard, nous continuerons jusqu’à la falaise d’Aérostato, déserte, où la dispersion temporaire de la brume nous donnera enfin un bel aperçu de la côte et des plages en à-pic des falaises.

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Faites l’impasse sur Agios Gordis, toujours en descendant vers le Sud (front de mer en béton, constructions anarchiques…) mais arrêtez-vous au bout d’une route en lacets qui monte sec, dans le tout petit village de Pendati, silencieux, discret, modeste. On en fait vite le tour mais il respire au rythme nonchalant des lieux bien ancrés dans le passé, qui n’ont pas l’intention de se renier.

Toujours plus bas, on atteint le lac Korission, et la plage d’Agios Georgios avec ses dunes de sables, qui serait magnifique sans des monceaux de détritus qui dégradent le lieu ; c’est la première fois, en quinze ans de Grèce que nous avons à déplorer un tel laisser-aller, une si manifeste démonstration d’abandon, de je-m’en-foutisme radical qui ne semble pas gêner les locaux : infrastructures délaissées, carcasses de buvette, ossature de taverne, poteaux rouillés, piliers de bois solitaires, bouteilles, canettes, plastique, métal, l’incurie la plus totale ! Visiblement, tant que la saison n’a pas commencé, transformer les plages en dépotoirs ne choque pas les corfiotes, nous si ! Les plages de Gardenos et d’Agia Varvara nous ont semblé plus propres mais pas encore bien nettes… de toute façon, sous le ciel chargé, y’a plus que des canards pour s’y balader…

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Cette dégringolade le long de la côte Ouest prendra fin en bifurquant à l’Est vers le petit port (propre et silencieux) de Boukaris, où nous poserons enfin nos sacs. Le vieux village de Chlomos, accroché à son épieux rocheux mérite une visite, pour la vue que l’on a jusqu’en Albanie : la terrasse du café Balis est parfaite pour s’en mettre plein les yeux en dégustant un café (remarque pour les filles, le proprio a les mains bien baladeuses…).

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5 juin 2014

Corfou - le Nord : ce fût, ce n'est plus !

Le Nord de Corfou, plus élevé, plus escarpé, plus contrasté, compose la partie qui devrait être la plus fascinante de l’île. Ben oui mais ça, c’était avant ! Avant que les cages à touristes ne sortent de terre, avant que les figuiers, les oliviers ne disparaissent sous les pelleteuses, avant que les sous-œuvres des architectes inaptes ne gangrènent un littoral de carte postale.

Il n’y a que Peroulades que je sortirais du lot, village en fin de vie au bout du quel les falaises dominent en à-pic : la roche blanche, striée de nervures plus sombres, couronnée d’arbustes verts, surplombe un mince trait de plage ocre, balayé par une mer aux mille nuances de vert et de bleu. Nous y sommes allés en fin de journée venteuse qui interdisait la baignade et le site, vide de toute présence humaine, était vraiment magnifique. Un seul café restaurant est installé là-haut, doté d’un promontoire qui permet d’embrasser le panorama à couper le souffle. Pourvu que se maintienne ce respect, totalement inattendu au vu des ravages rencontrés, d’un des derniers coins de nature intact.

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Je n’en dirai certes pas autant de Sidari, exemple accablant de dégradation sans limites. Sidari est une baie, avec plages de sable et eaux limpides, dont il ne reste aucun mètre carré non construit : béton, baraquements bien vilains, piscines, sono, bar, pintes au litre, matchs du championnat anglais retransmis à fond, tout ce bazar au rabais va, de plus, très mal vieillir. Ce chancre ultra-touristique vient souiller une suite de petites falaises blondes érodées, sculptées, découpées, qui semblent s’avancer sur le turquoise de la mer, comme des bras. Elles dessinent des petites criques protégées où il ferait bon paresser en silence. Impossible, car les hôtels ont envahi jusque très loin les saillies rocheuses et déversent leurs décibels. J’ai un peu de mal à comprendre alors le plaisir que l’on peut prendre à s’imbriquer comme des sardines, et ce dès le mois de mai, dans un espace défiguré. Mais visiblement, les tours operator britanniques font le plein !

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Autre haut lieu malmené par le ballet incessant des cars de tourisme, Paléokastritsa, doubles arêtes rocheuses qui dessinent trois baies, cannelées de plages et de criques, aux eaux bleues et vertes de toute beauté. Oui mais, le charme s’évapore devant les marchands du temple qui ruinent l’ambiance : on aurait pu construire de jolies infrastructures pour garder le cachet du lieu, éloigner le parking des bus, garder à distance les boutiques et les restos, protéger un écosystème que l’on devine fragile, non, rentabilité maximum à moindre coût, retour rapide sur investissement à court terme, une mise à sac. Paléokastritsa serait le lieu de résidence du roi Alkinoos, qui recueillit Ulysse et lui fournit un navire pour rejoindre Ithaque. Un parmi d’autres, puisque comme souvent, les fouilles archéologiques n’ont rien donné de probant. La vue, du haut du monastère de la Panagia Théotokos, construit au bout de la plus importante des presqu’îles, est fabuleuse… le monastère en lui-même n’a pas grand intérêt, historique ou culturel, c’est une halte agréable de quelques instants au calme, dans un petit jardin peuplé de chats qui se prélassent sous les rosiers, avant de replonger dans le tumulte.   

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Si vous reliez ensuite Angélokastro, arrêtez-vous à Lakones (vous ne serez pas les seuls…) : La vision du paysage et des deux écueils de pierre, s’avançant dans cette eau aux teintes sublimes, vaut le détour : Paléokastritsa est bien plus beau, vu d’en haut ! La forteresse d’Angélokastro est un poste de garde du XIIIème siècle, le plus à l’ouest du Despotat d’Épire (un des successeurs de l’empire byzantin affaibli et découpé, sur le territoire qui englobait l’actuelle Albanie et Corfou), qui s’élève sur un rocher, 160 mètres au dessus de la mer. Elle est trapue, courte sur patte, construite comme une vigie qui protégeait l’île des incursions pirates ou turques.

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Évidemment, panorama impressionnant… par beau temps...  meteo011

 

 

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1 juin 2014

Corfou, suite - le cas Kanoni

Image emblématique, tarte à la crème des guides, sempiternel symbole de Corfou, la presqu’île de Kanoni est un passage obligé pour tous les visiteurs. J’y suis allée avec un rythme cardiaque de junkie sous emphét’, découvrant dans le Routard que le site aurait inspiré Böcklin et ses différentes versions de L’Île des morts, tableaux qui illustraient, avec ceux de Friedrich, un grand nombre des œuvres littéraires du XIXe dans mes manuels de littérature du lycée. Cette plongée soudaine et inattendue dans les Nuits de Musset et le « luth constellé » de Nerval appelait sur-le-champ une visite matutinale.

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Le bus N°2 part du Liston et s’arrête dans son périple juste en surplomb du site : on descend alors à pied en pente douce, jusqu’au niveau de la mer. Deux îlots sont posés sur l’eau, chacun coiffé d’un lieu de culte (monastère de la Vlacherna, accessible à pied par une jetée pour le premier, église du Pantocrator, pour le second, au loin). C’est évidemment celui à l’arrière-plan, que l’on ne peut atteindre qu’en bateau qui sollicite toute mon attention (on le nomme en grec Pontikonissi - l’île de la Souris -, pour une vague ressemblance de forme avec le dos du rongeur)  … ah, il faut faire preuve de beaucoup d’imagination pour retrouver la vision du peintre suisse, qui a, dans ses toiles, ceint le bosquet d’arbres central de hautes falaises blanches. J’ai beau tenter de m’extraire du brouhaha ambiant, du va-et-vient des touristes, rien n’y fait, la magie ne prend pas.

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Outre le décalage entre la réalité de l’île et l’hallucination picturale qu’elle a su faire naître chez Böcklin, la présence de la piste d’atterrissage de l’aéroport à moins de 500 mètres perturbe violement ce qu’il reste de magie au site ; je ne sais dans quel cerveau moisi a germé cette idée scélérate d’accoler le tarmac à ce décor de carte postale, mais on aimerait lui dire deux mots, peu conviviaux. Tous les quarts d’heures, un charter survole à très basse altitude le clocher du monastère de la Vlacherna avant de se poser dans un hurlement de réacteur : on se pince pour y croire !

D’autant plus que Kanoni, serait aussi le lieu de la dernière halte d’Ulysse avant son retour pour Ithaque. On ne peut décidément pas mettre une demi-sandale sur une île ionienne sans retrouver la trace du protégé d’Athéna! Poséidon, très remonté contre Ulysse qui a sérieusement aveuglé son fiston, le cyclope Polyphème, le poursuit de sa vengeance et le retrouve sur les rives de Corfou (enfin, plutôt de Schéríe, comme la nomme Homère, l’île des Phéaciens) ; pour contrarier son retour, il retourne le navire de « l’homme aux mille ruses » et le pétrifie, le transformant en rocher. Seul survivant de ce désastre, Ulysse s’échoue sur le rivage où il sera découvert et secouru par Nausicaa, fille du roi Alkinoos.

Comme il est difficile aujourd’hui de s’immerger dans des univers mythiques, quand la main de l’homme a saccagé des lieux qu’il fallait préserver. Voilà l’état des lieux de la destruction du site de Kanoni (monastère de la Vlacherna en bas à droite) quand la seule vénalité règne sur la gestion d’une île, (photo prise dans le guide Toubis)… édifiant, non ?

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27 mai 2014

Corfou ville - bienvenue en Italie !

Impossible de s’imaginer en Grèce lorsque l’on musarde dans les venelles étroites de la vieille ville de Corfou, coincée entre deux forteresses et la mer. Ses façades jaunes et ocres, ses petites piazzetta, le linge tendu au travers des ruelles, les balcons, les arcades, les loggia sentent d’avantage le basilic que l’origan : quatre siècles de présence vénitienne (1387-1797), ça laisse de sérieuses empreintes. Le tremblement de terre de 1953, qui mit en vrac les autres îles ioniennes, épargna Corfou. On s’en réjouit car la cité historique porte toujours, outre les griffes du lion de la Sérénissime, le souvenir - plus discret - de ses autres conquérants européens.

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Sur la Spaniada, vaste esplanade arborée qui s’étale derrière la vieille forteresse, se côtoient des édifices aux origines variées : jet d’eau vénitien, rotonde anglaise, monument du rattachement de l’Heptanèse* à la Grèce et le Liston français. Le Liston rappellera aux Parisiens les bâtiments, les arcades et les lanternes de la rue de Rivoli, percée en France dix ans plus tôt (1801)**. Les Britanniques laisseront à leur tour sur la Spaniada, le palais à colonnades de Saint-Michel et Saint-Georges, ou Palais Royal, d’abord résidence des Hauts-Commissaires anglais avant d’abriter le Sénat des îles ioniennes.

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L’ancienne citadelle, construite à l’extrémité de la péninsule fortifiée, qui s’avance dans la mer comme un navire, est réellement impressionnante. Elle est lourde, massive, construite à partir d’une première muraille de l’époque byzantine, jusqu’à devenir une forteresse au XVIe siècle, lorsque les Vénitiens sentirent la menace ottomane approcher : douves, tours, ligne de défense, remparts, mouillage pour les galions, caserne, bastion, on comprend mieux l’invulnérabilité de la ville sur une si longue période. Les Anglais continueront d’y apporter leur touche au XIXe, jusqu’à cette incongrue église néoclassique, en 1840, qui jure dans cette atmosphère de génie militaire. Mise à part la vue sur la mer, pas grand-chose à se mettre sous la dent à l’intérieur ; si l’architecture défensive vous laisse de marbre, regardez-là de loin. Á l’opposé, la nouvelle forteresse (fin XVIe, début XVIIe, le terme « nouveau » est bien relatif) est tout aussi vide et encore plus mastoc : on peut faire l’impasse !

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C’est dans la rue que le charme opère surtout, du vieux quartier du Campiello, avec ses petites places, les fontaines, les cours dérobées, jusqu’à la place de l’Hôtel de ville (d’abord « loges » des aristocrates de la ville, puis opéra). Déambulez dans les très étroites venelles perpendiculaires aux ruelles touristiques, posez-vous dans ces petits cafés qui dévalent les escaliers, humez l’air du temps place Kremasti, sirotez un Spritz (plus couleur locale que l’ouzo, en fait) place Aghios Spyridonas, avant d’entrer dans l’église du même nom : clocher imposant, iconostase de marbre et non de bois, influence italienne évidente dans les peintures, ossements du Saint dans un somptueux reliquaire en argent, présence de nombreux croyants grecs et russes, elle est considérée comme la plus belle des trente-neuf que compte la ville. C’est son plafond peint et doré, ultra-chargé qui surtout attire l’œil. Datée de la fin XVIe, elle est dédiée au protecteur de la ville Spyridon, évêque de Chypre, qui aurait tenu à bonne distance des remparts de la ville, la peste, les Turcs et la famine, rien que ça !

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* Heptanèse (les 7 νησιά/îles de la mer Ioniennes : Corfou, Paxos, Leucade, Céphalonie, Ithaque, Zante et à l’époque Cythère), tombées sous la domination de Venise, puis de la France, ensuite des Britanniques, avant d’être cédées à la Grèce en 1864, à la signature du Traité de Londres.

** Bourde dans le guide Toubis, qui crédite l’ingénieur Ferdinand de Lesseps, né en 1805, des plans du Liston…il s’agit plutôt de Matthieu de Lesseps, le père, commissaire impérial de Corfou entre 1810 et 1814.

 

22 mai 2014

Corfou - le couvert et le gîte

Si j’en crois le verdict attesté par ma balance, la cuisine corfiote n’a pas été sans conséquences sur ma ligne… la présence vénitienne a laissé bien des traces dans les assiettes, et c’est tant mieux, pour varier les saveurs tout au long d’un séjour.

Il Vesuvio, 16 Odos Guilford - Corfou ville (2x)

Resto napolitain sympathique et généreux ; faites l’impasse sur les entrées (et pourtant, que les involtini d’aubergines sont bons !) car les plats de pâtes sont bien servis. Gnocchi, linguine aux fruits de mer, tagliatelles à la roquette et aux crevettes, tout est bon, ultra frais.

La Famiglia, Kantouni Bizi, ruelle perpendiculaire à Nikiphoros Théotoki - Corfou ville (2x)

Comme son nom l’indique, trattoria familiale chaleureuse dans la plus pure tradition, avec nappes à carreaux et bougies. Clientèle plutôt locale. Antipasti sympas, bonnes salades, véritables linguine aux vongole, excellentes linguine au pesto. Bonne ambiance, on s’y sent bien. Fermé le dimanche.

Bellissimo, platia Lemonia, perpendiculaire à Nikiphoros Théotoki - Corfou ville

Comme son nom ne l’indique pas, cuisine plus corfiote qu’italienne, où l’on vient goûter les spécialités locales ; le bourdeto (poisson accompagné d’une sauce tomate bien épicée, d’origine vénitienne), la pastitsada (coq ou bœuf mijoté dans une sauce tomates-oignons-cannelle-piments, servi avec des pâtes) ou le sofrito (fines tranches de veau ou de bœuf dans une sauce à l’ail). Le reste de la carte propose des plats grecs plus standardisés si vous avez peur de vous lancer.

New Fortress, 26 Odos Solomou - Corfou ville

Taverne classique, très touristique et sans prétention au pied de la nouvelle forteresse… bon plat de poisson frais plus salade.

Beaucoup de bars sympas, certains très branchés, d’autres plus calmes et familiaux, à mesure qu’on s’éloigne du Liston et de ses arcades ; fermez votre guide et allez-y à l’instinct. Passez tout de même au Bristol (Odos Evgéniou Voulgareos), la déco intérieure et ses ampoules valent le coup d’œil. Et pour changer de la Mythos, de la Fix ou de l’Alpha, goûtez à la bière locale, la Corfu beer Real Ale, non pasteurisée et non filtrée, presque rouge, qui rappelle les bières belges, et la Royal Ionian, une blonde très douce. Á éponger avec les pâtisseries locales :-)

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Le kumquat est à Corfou ce que le mastic est à Chios, une manne ! En Europe, Corfou et la Sicile sont les deux seules îles qui cultivent ce petit agrume, avec lequel je n’ai d’ailleurs aucune affinité. Mais j’en connais un qui en raffole et qui en a ramené une palanquée… confis, au sirop, en liqueur, en qumkacello, pour aromatiser les loukoums, la pâte de figue, on en trouve sous toutes les formes. La liqueur est pour moi imbuvable, sucrée, poisseuse, très écœurante. On frôle l’overdose devant les bouteilles aux formes de l’île qui semblent se trémousser sur les étals.

Á Corfou-ville, nous avons logé, une et deux, puis trois fois à l’hôtel Arcadion, angle d’Odos Vlassopoulou et de Kapodistriou, au-dessus du Mac Donald, très bien situé, avec vue sur la Vieille Forteresse éclairée. Les balcons donnent sur la place, ce qui est un peu bruyant les vendredis et samedis soir mais le spectacle est là, lorsque les corfiotes envahissent les lieux, comme les Italiens à l’heure de la Passeggiata.

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Nous sommes revenus à plusieurs reprises (au grand amusement du staff !) dans ce camp de base puisqu’aucun village du Nord n’a su nous séduire. Un membre du personnel nous a regardé avec effarement lorsque nous lui avons demandé, déçus de nos virées, où trouver un lieu « wild and unspoiled » sur l’île. Il a commencé par nous rappeler que Corfou est la deuxième île grecque la plus fréquentée après la Crête (oui, on avait vaguement remarqué une certaine similitude dans le bétonnage…) et a mis un peu de temps avant de pointer du doigt un périmètre au Centre puis au Sud de notre carte. Ce n’était pas gagné…

Et pourtant, son index avait eu raison de nous orienter sur un petit bout de la côté Sud Est, à Boukaris, minuscule port de pêcheurs où nous avons trouvé notre bonheur, en dépit d’une addition exécrable pour un mois de mai, pluie + vent. Boukaris, c’est une poignée de bateaux de pêche, deux tavernes, deux hôtels, un petit supermarché, une dizaine de maisons particulières et une magnifique situation sur la mer. Quand je dis la mer… étonnamment, l’endroit, par son calme, son silence, rappelle davantage la tranquillité d’un lac ou d’une lagune. Les familiers du lac Majeur ou du lac d’Orta ne se sentiront pas dépaysés. Nous nous sommes posés au Golden Sunset (vu la météo, pour le Sunset, on repassera !), visiblement bien connu des touristes allemands. L’hôtel vaut le détour pour sa table, la maman des gérants officiant d’une main de maître dans les cuisines. Le poisson passe directement de la mer à votre assiette : daurade (pas d’élevage, une vraie), bar, puis calmar farci… nous avons franchi les trois marches de la béatitude gustative. Il a fallu à chaque repas attendre ses mets de roi (compter 45 minutes) mais la précision de la cuisson et le résultat en bouche en valaient largement la peine. Comme quoi, en cherchant bien, il peut y avoir encore des endroits préservés à Corfou…  

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19 mai 2014

Corfou (Kerkyra), la trop domptée des Ioniennes - Introduction

Cela devait bien arriver un jour ou l’autre, une première déconvenue, un léger désenchantement, un petit dépit, un rendez-vous manqué, un tête-à-tête ajourné, bref, une non-rencontre avec une île grecque. Si, c’est possible. Et avec une Ionienne, en plus, ce qui nous a bigrement tourneboulés, ma moitié vouant un culte incommensurable à Céphalonie, ma pomme contemplant Ithaque avec les yeux d’Ulysse. 

Corfou pâtit lourdement des symptômes déjà observés en Crête, le bétonnage, le tourisme bas de gamme, le non-respect de l’environnement, le laisser-aller ; elle donne la sensation d’une île sur son déclin, qui ne peut plus entretenir son rang et qui mise désormais sur le vol incessant des charters venus d’Allemagne, d’Angleterre et de Russie pour survivre : hôtels low cost déjà défraîchis, villages de vacances sinistres, infrastructures vilaines, plages jonchées de détritus, nombre d’endroits transpirent la fin de règne. On enrage d’autant plus que la côte Nord recèle quelques sites de toute beauté, qui auraient dû être laissés à l’état sauvage et non transformés en protectorats de buveurs de bière. 

Autre source de déception pour une île qui a vu défiler nombre d’occupants (Rome, Byzance, Venise, Maison d’Anjou-Sicile, Venise à nouveau, les Français, les Britanniques…), l’absence quasi-totale (à l’exception de Corfou ville, j’y reviendrai longuement dans d’autres posts) de vestiges, de sites archéologiques, de monastères, de chapelles, de fresques, de tout ce qui donne à une île sa tonalité particulière. On cherche fébrilement un village typé, singulier (après Tinos et Chios, la barre est très haute, mais tout de même…), on veut respirer une atmosphère originale, unique, distincte des autres îles et … ça ne vient pas, l’insatisfaction s’installe. 

Alors, faut-il bouder Corfou ? Eh bien non, malgré toutes ces réserves, l’île nécessite une visite pour son « chef-lieu », sa « capitale », Corfou-ville étant pour moi un joyau incomparable. Nous sommes tombés sous le charme immédiat de sa saveur italienne, de ses couleurs, de son dédale de ruelles, de sa richesse culturelle, de sa gastronomie. On flâne des heures entières, le nez en l’air pour capter les détails d’une architecture superbe, où chaque « prédateur » a laissé sa marque. Alors que nous devions loger au Nord, après les deux premiers jours passés à l’arpenter en tous sens, nous y sommes revenus à fond de train, tant elle a su nous ravir par sa simplicité, son naturel, sa sincérité.  

Je crois qu’il s’agit, en quinze ans de Grèce, du premier voyage qui ne se déroule pas du tout comme nous l’avions prévu. En neuf jours nous avons fait et défait quatorze fois nos sacs et mangé du kilomètre : pas de vrais coups de cœur, d’innombrables atermoiements sur nos lieux de chute, une météo capricieuse, comme si l’île devenait un brin revêche, voire hostile. Nous avons alors écourté notre séjour et rappliqué plus tôt que prévu à Athènes, sous un franc soleil qui nous a redonné la pêche et le sourire. 

Quand ça ne veut pas, c’est que cela ne devait pas… on aura plus de chance en septembre, du moins je l’espère !

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14 février 2014

Nauplie sous la pluie - Nafplio sous la flotte

Deux heures trente de bus (au départ du terminal A – Kifissou) séparent Athènes de Nauplie. Si en nous levant, le ciel affichait pour la première fois plus de gris que de bleu, nous étions loin d’imaginer la quantité d’eau qui allait nous accompagner toute la journée en Argolide. Le soir, au retour, c’est Athènes qui s’imbibera sous la rincée et comme d’habitude, la pluie en Grèce fait rarement semblant. Nous prenons d’ordinaire le bus jusqu’à Patras pour gagner les îles ioniennes mais cette fois-ci, passé l’isthme de Corinthe qui fait toujours son petit effet, nous bifurquons sur la gauche vers Nauplie, via Argos. Visiblement, cette région est un vaste verger d’agrumes ; durant une bonne demi-heure, le bus traverse des orangeraies chargées de fruits bien mûrs (la récolte ne devait plus tarder)  - lorsque l’on voit cette profusion, on se demande pourquoi le prix du jus d’oranges frais est aussi cher…

Tous les Guides parlent de Nauplie avec un vibrato dans la plume : « plus jolie cité du Péloponnèse », « authentique carte postale », « ruelles chaudement colorées par le soleil couchant »… j’étais venue ici lors d’un voyage d’étudiants il y a, approximativement, environ, à peu près deux décennies, et force est de constater que mes souvenirs manquaient, malgré ces louanges extasiées, de netteté. C’est devant le musée du Komboloï que la lumière s’est rallumée, me renvoyant en effet à des déambulations folâtres sous le soleil, à une bruyante euphorie juvénile et à des dégustations de glaces : après les visites studieuses d’Épidaure et de Mycènes, musarder dans Nauplie nous avait ravigotés !

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L’intérêt de revenir à Nauplie en hiver, sous un ciel brouillé qui se répand abondamment en pluie continue, c’est que vous êtes quasi les seuls à déambuler. Passée l’heure de la sortie du lycée, 14h, les rues se vident, le silence s’installe, la ville se fige. Une brève accalmie nous a permis de passer le museau hors de la capuche pour goûter l’évidente beauté de Nauplie, mélange architectural harmonieux qui fait cohabiter des bâtiments d’époques et d’influences variées, sans discordances. Les Byzantins, les Francs, les Vénitiens (par deux fois), les Ottomans (par deux fois itou) mirent successivement la main sur la cité, carrefour commercial entre l’Orient et l’Occident, capitale du Péloponnèse puis brève capitale de la Grèce (1829 - 1834). L’ancienne mosquée côtoie l’arsenal vénitien, le Lion des Bavarois* cohabite avec celui de la Sérénissime, l’église catholique des Francs est bâtie sur l’emplacement d’une mosquée qui avait déjà pris la place d’un monastère vénitien… avec ses balcons, ses fontaines, ses ruelles étroites, ses façades aux couleurs chaudes, ses toits de tuiles, la ville basse possède une saveur et une douceur très italiennes. Mais le fort Bourtzi construit sur l’îlot en 1473 à l’entrée du port rappelle très vite que Nauplie tient une situation stratégique au fond du Golfe Argolique et que la ville est restée durant des siècles une citadelle, bien à l’abri de ses murs d’enceinte.

L’Akronauplie est la plus ancienne partie fortifiée de la ville, dès l’Antiquité jusqu’au XVe siècle, sur les hauteurs de la presqu’île : les Francs construisirent deux enceintes, séparant le centre militaire et les habitations des Francs, du quartier grec, qui bénéficiait déjà d’un rempart dès l’époque byzantine. En 1470, les Vénitiens qui se savaient sous la menace ottomane prolongèrent les fortifications et ajoutèrent au « Castello dei Franchi » et au « Castello dei Greci », une nouvelle enceinte plus à l’Est, le « Castello di Toro ». Enfin, en 1706, après la première parenthèse ottomane, les Vénitiens bâtirent en 1706 le dernier bastion, dit « Grimani », qui n’empêcha pas les Turques de reprendre la cité en 1815. On grimpe à l’Akronauplie facilement en suivant les escaliers qui partent de la ville basse. Il suffit ensuite de se balader sur les hauteurs des fortifications, austères, dépouillées, pour découvrir un panorama de toute beauté, même avec un ciel bouché. N’ayant plus un poil de sec, j’ai déclaré forfait devant le fort Palamède à la rectitude tout militaire, (857 marches à gravir sous le déluge, même un canard aurait décliné), déjà bien impressionnant vu de l’Akronauplie, tel un vaisseau fantôme de pierre se révélant fugitivement dans un brouillard dense. Construite entre 1711 et 1714, c’est la pièce maîtresse de la défense de la cité, composée de huit bastions que l’on atteint après un long escalier zigzagant.

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Nous avons préféré nous mettre à l’abri et croquer des gâteaux aux amandes chez Glykos Peirasmos, tailler le bout de gras avec un traducteur grec quadrilingue qui nous alpaguera dans une ruelle, étonné de découvrir deux Français tout sourire malgré l’ambiance détrempée, et arpenter le quai avec le Bourtzi pour panorama, laiteux, embruiné, presque irréel, comme une Mer du nord au clair de lune sous le pinceau de Friedrich…

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* Othon de Bavière fut imposé comme souverain de la Grèce en 1833 par les puissances européennes, remplacé ensuite par un Danois en 1862…

 

5 février 2014

Sounion sous le soleil

L’Odyssée, chant III (Voyage de Télémaque à Pylos)

« Nous naviguions ensemble, au sortir des combats,
Quand, devant Sunium, le cap sacré d’Athènes,
Phœbe-Apollon tua de ses flèches sereines
Phrontin, fils d’Onétor, nocher de Ménélas. »

Un camp de base de plusieurs jours à Athènes permet non seulement de profiter des différentes facettes de la ville mais aussi de rayonner dans les îles saroniques, en Argolide ou en Attique. Lorsque l’on arrive de Paris avec les poumons bien encrassés, on a soif de grand air, d’embruns et de larges espaces dégagés. Surtout lorsque le ciel matinal s’est peinturluré de bleu outre-mer, à peine moucheté de cotons blancs. Rendre visite au temple de Poséidon, posé au bord d’une falaise de 80 mètres, sous un chaud soleil quasi-printanier, au bout du bout du monde, du cap, de la péninsule, était alors une évidence. Les lunettes de soleil n’étaient pas de trop, on se serait même tâté de ressortir la crème solaire – d’accord, j’exagère un brin, mais nous croiserons à plusieurs reprises, en longeant la mer avec le bus, des plages bien garnies et des baigneurs batifolant dans la grande bleue.

Pour vous rendre à Sounion en transport en commun, ne suivez pas les indications du Routard, il y a beaucoup moins compliqué : le bus orange KTEL passe aussi tout prêt de Syndagma, rue Filellinon, à droite de la place quand on regarde le Parlement. Douze euros soixante pour un trajet aller-retour, qui suit une côte trop bétonnée, peu engageante et monotone. Fort heureusement, Sounion bénéficie encore d’un environnement protégé, puisque classé parmi les dix parcs nationaux de Grèce. Aucune construction anarchique, pas de marchands du temple, le site n’est troublé que par des fouilles archéologiques.

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Que le dieu de la mer possède son temple là où une terre s’achève n’a rien d’étonnant : Zeus le lui aurait accordé pour calmer sa fureur d’avoir été recalé, comme protecteur d’Athènes, au profit d’Athéna. C’est aussi de ce promontoire que le roi Égée se serait jeté dans les flots par désespoir, croyant son fils Thésée occis par le Minotaure, en distinguant les voiles noires de son navire, que l’on avait oublié de remplacer au retour par des blanches.

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Mais plus qu’un simple temple, Sounion est depuis le VIIe siècle av. J.-C. un sanctuaire archaïque, un vaste site où deux cultes étaient rendus à deux endroits distants de 500 mètres : celui de Poséidon à l’aplomb de la mer, majestueux et imposant, et celui d’Athèna, modeste, sur une colline plus au nord et dont il ne reste que peu de vestiges. Les somptueux et imposants kouroi, que l’on peut admirer au Musée Archéologique d’Athènes, datent de cette époque (615-590 av. J.-C.) ; ils étaient au total dix sept, certains haut de trois mètres, dressés dans le téménos ; ces géants de marbre devaient faire un fameux effet aux marins qui doublaient le cap… Et c’est au début du Ve siècle av. J.-C. qu’un premier temple fut construit dans l’enceinte sacrée de Poséidon : il fut détruit par les Perses en 480, avant même l’achèvement de sa construction. Un second temple fut élevé sur le même plan, entre 450 et 440, dont il ne reste aujourd’hui qu’une sorte de carcasse dégraissée. En 412, les Athéniens bâtirent la forteresse de Sounion, qui encerclait largement tout le promontoire et le temple, pour protéger leurs navires transportant le blé des agressions spartiates. Le mur de la forteresse fut ensuite renforcé au IIIe siècle av. J.-C., avec un bastion et un double mur de fortification, au dessus de l’anse où mouillaient les bateaux. Á l’époque romaine, les temples de l’Attique sont abandonnés ou déplacés dans l’Agora d’Athènes. Le temple de Poséidon perd de sa superbe sous Auguste, et est totalement abandonné dès le IIe siècle ap. J.-C.

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Aujourd’hui, si les restes du mur de la forteresse sont bien visibles, on ne peut en dire autant des propylées et des deux portiques, que l’on devine plus qu’autre chose. Mais les vestiges très diminués du téménos sont de toute façon écrasés par la silhouette altière du temple, ces longues colonnes rendues encore plus hautes par l’effet d’optique (diamètre plus large à la base qu’au sommet). On se réjouit presque que le naos pointe aux abonnés absents et que la lumière puisse jouer sur toute la rondeur du marbre. Six colonnes au Nord, neuf au Sud, leurs architraves, deux pilastres, une unique colonne du pronaos… et c’est tout. Et cela suffit pour vous laisser tout ému devant cette succession de pleins, de vides, de courbes, de creux, telle une épure, une esquisse qui griffe le bleu du ciel d’un fin pinceau blanc. On se pose alors sous son ombre, les yeux portés vers le large, effleuré par la brise, bercé par la mélancolie d’un « culte déserté, d’un dieu négligé, immergé dans l’absence ».*

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* Jean Starobinski in L’invention de la liberté, 1964

 

30 janvier 2014

Dans les rues d'Athènes

Athènes est bien souvent pour les visiteurs une porte d’entrée vers les îles où l’on s’attarde peu ; on y passe une nuit avant d’embarquer dans les ferries du matin, on visite l’Acropole au pas de charge avant l’avion du retour. Le périmètre rassurant déborde rarement du delta Syndagma, Monastiraki, Plaka, où le novice pose doucement ses marques. Et puis au fil des voyages, des passages, on ose sortir à pas feutrés du secteur balisé pour faire connaissance avec la ville, lever le regard, écouter, respirer, ressentir le juste tempo…

On peut par exemple s’éloigner de la si commerçante, si fréquentée et si standardisée rue Ermou (boutiques de fringues en enfilade, où s’affichent les logos des marques que l’on retrouve dans toutes les grandes villes d’Europe), en tournant à angle droit sur Athinas (οδος Αθηνας), la station Monastiraki dans le dos. Étonnant comme en trois cents mètres, on peut changer d’atmosphère ! Ici, pas de baskets ou de jeans tendance, mais un joyeux capharnaüm, des façades un peu fanées, du bruit, du trafic, de la vie, et des magasins de jardinage, de bricolage, des brocantes un peu toc, de vastes antres où s’entassent de la vaisselle, des fripes, de la déco vintage, de grands bazars poussiéreux. Sur les trottoirs, on slalome entre les bétonneuses, les gros bidons de lait et les cages à oiseaux. Nous, on adore ! Surtout que, bien avant d’arriver place Omonia, Athinas vous mène au ventre d’Athènes, aux Halles. Il ne faut pas avoir la narine sensible dans les rangées consacrées à la viande : l’odeur de barbaque, laissée à l’air libre, sature l’atmosphère et vous poisse le museau à vous secouer l’estomac ; les bouchers s’égosillent, ça bêle, ça brame, ça meugle, ça découpe, ça scie, ça tranche prestissimo ! Du côté des étals des poissonniers, j’en connais un qui salivait devant le banc des encornets, sèches, calmars, pieuvres, poulpes… et des petits poissons bien rangés.

Halles viande

De l’autre côté de la rue, les marchands de fruits et légumes jouent avec les couleurs des végétaux, alignent leurs produits au cordeau, sourient, vous interpellent, communiquent leur bonne humeur,  l’éventaire des fromagers laisse perplexe (mais combien de sortes de feta existe-t-il ?), les fruits secs et les épices adoucissent l’air de leurs senteurs douces et moelleuses. C’est un spectacle pour les yeux, les oreilles et le nez, qui peut vous ouvrir ou vous couper l’appétit, selon le sens parcouru.

Les Halles fruits

Olives et feta

 

Arrivé à Omonia, on peut bifurquer en biais sur la droite, en remontant Themistokleous (Οδός Θεμιστοκλέους) pour déambuler dans Exarchia (Εξάρχεια). Quartier rebelle et frondeur, contestataire, repère de ceux qui pensent un peu différemment et le font savoir - par conséquent aussi, lieu d’affrontements vifs avec les policiers -, Exarchia a su garder son caractère et ses particularités. Contrairement au Ve arrondissement de Paris, nul embourgeoisement ni reniement des idéaux, le coin reste le refuge des démerdars et d’une certaine forme de bohème (à des années-lumière de la « bobo attitude » parisienne). De vrais gens y vivent, s’organisent, affrontent les séquelles des plans de rigueur successifs, s’autogèrent, occupent les espaces, cultivent des jardins visiblement partagés. Nulle grisaille, neurasthénie ou prostration à Exarchia, la couleur, les œuvres d’artistes, les îlots de verdure, les murs peints, les banderoles racontent l’histoire et les combats du quartier. Alors, oui, il y a aussi comme une odeur « d’herbe » qui flotte parfois et d’autres substances ne seraient pas très difficiles à se procurer ici. Mais en plein jour, ce sont les petits cafés, les restos un peu branchés, les magasins de livres et de disques, les ruelles qui grimpent sec, les cours intérieures, la végétation un peu folle, qui donnent à ce petit espace un charme incontestable. 

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En parlant de livres, pour ceux qui cherchent des librairies pointues, c’est à la sortie du métro Panépistimio (ligne rouge) que vous trouverez votre eldorado. Le carré des rues Solonos, Asklipiou, Akadimias foisonne de librairies (l’université est tout à côté), grouille d’étudiants et de leurs professeurs. On ne soulignera jamais assez la gentillesse et la disponibilité des Athéniens : un professeur de mathématiques, rencontré par hasard parce qu’il nous avait entendu parler français, nous servira de guide et de traducteur dans le dédale des librairies, à la recherche d’un livre sur le Théâtre d'Ombres. Il nous consacrera une bonne demi-heure, interrogeant pour nous le responsable, nous conseillant, échangeant avec nous sans une faute de grammaire (cinq langues à son actif !), alors que son fils l’attendait patiemment. Quand on sait comment les touristes sont considérés chez nous et le niveau pitoyable d’anglais qui est le nôtre…

Si votre temps est trop serré pour cette balade, dépasser Monastiraki et allez flâner dans Psiri (Ψυρή), vieux quartier des artisans. De jour, les devantures débordent de marchandises, on découvre de vieilles boutiques de cuivre, des ateliers anciens, des antiquaires, des temples de la mercerie ou de la plomberie ; c’est un peu désuet parfois mais les habitants détournent aussi les objets d’une manière toute personnelle… le soir et tard dans la nuit, les bars et les restos à la mode s’ouvrent sur une ambiance on ne peut plus festive !

Psiri bobines

Psiri

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Le Présent Défini
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